Le visage de l'Église catholique japonaise

Riche d’une histoire qui remonte au XVIe siècle, auréolée de nombreux martyrs, l’Eglise catholique au Japon est toujours restée très minoritaire. Avec 0,34% de la population, elle n’en exerce pas moins une influence remarquée au pays du Soleil levant. La visite ad limina des évêques japonais à Rome du 8 au 13 avril offre une occasion de s’intéresser à cette réalité.

L’évangélisation du Japon commence à une date précise: le 15 août 1549, jour où le jésuite espagnol François Xavier débarque dans l’archipel, rappelle l’agence vaticane Fides. La première communauté chrétienne a été fondée sur l’île de Kyushu, la plus méridionale des quatre grandes îles qui composent l’archipel. Après le départ de François Xavier du Japon, le jésuite italien Alessandro Valignano (1539-1606) arrive dans l’archipel.

Les jésuites furent suivis par des frères franciscains, principalement italiens. Les étrangers étaient appelés Nan Ban (»barbares du sud»), car ils étaient considérés comme des gens grossiers et sans éducation, parce qu’ils ne pratiquaient pas les coutumes et les traditions du pays.

Jésuites et franciscains

Au cours du XVIe siècle, la communauté catholique a atteint plus de 300’000 personnes et le diocèse de Funay fut créé en 1588. La ville côtière de Nagasaki en était le centre principal. Les missionnaires italiens, dans leur travail d’évangélisation, suivaient les règles établies par Valignano, auteur du Cérémonial fondamental pour les missionnaires au Japon.

En 1582, les jésuites japonais organisent un voyage en Europe pour témoigner de l’ouverture à la foi chrétienne du peuple du Soleil Levant. Le voyage dura huit ans. La délégation, composée de quatre prélats, a d’abord visité Venise, puis s’est rendue à Lisbonne et est finalement retournée en Italie, où elle a terminé son voyage à Rome. Les jésuites japonais furent reçus par le pape Grégoire XIII et rencontrèrent également son successeur, Sixte Quint. En 1590, ils retournèrent dans leur pays d’origine.

Persécutions et martyrs

Le shogunat Tokugawa se rendit rapidement compte que les jésuites, à travers leur travail d’évangélisation, influençaient la dynastie impériale, en fait reléguée à une fonction purement symbolique. Il interpréta la présence des chrétiens dans leur ensemble comme une menace pour la stabilité de son pouvoir.

Les martyrs chrétiens de Nagasaki (peinture japonaise du 16e siècle)

En 1587, le kampaku (chef politique et militaire) Hideyoshi, «maréchal de la couronne» à Nagasaki, publia un édit ordonnant aux missionnaires étrangers de quitter le pays. Cependant, ils continuèrent à opérer dans la clandestinité. Dix ans plus tard, les premières persécutions commencèrent. Le 5 février 1597, vingt-six chrétiens (6 franciscains, 3 jésuites et 17 japonais) sont crucifiés.

En 1614, le Shogun Tokugawa Leyasu, souverain du Japon, interdit le christianisme dans un nouvel édit et fait défense aux chrétiens japonais de pratiquer leur religion. La politique du régime devint de plus en plus répressive. En 1637-38, un soulèvement populaire éclata à Shimabara, près de Nagasaki. Animée principalement par des paysans et dirigée par le samouraï chrétien Amakusa Shiro, la révolte fut réprimée dans le sang avec de nombreuses exécutions sommaires. On estime à 40’000 le nombre de convertis massacrés.

Plus de contacts avec  l’étranger

En 1641, le shogun Tokugawa Lemitsu promulgue un décret, connu plus tard sous le nom de sakoku (»pays en armure»), par lequel il interdit toute forme de contact entre la population japonaise et les étrangers. Dès lors, les chrétiens créèrent pour leur usage une symbolique, une ritualité et même une langue propres, incompréhensibles en dehors de leur communauté. En 1644, le dernier prêtre chrétien encore en vie est condamné à mort.

Entre «chrétiens cachés»

Pendant deux siècles et demi, la seule porte ouverte au commerce avec l’Europe et le continent asiatique resta Nagasaki. Le port, ses environs et les îles de la côte (Hirado, Narushima, Iki) offraient un refuge aux quelques chrétiens clandestins. Sans prêtres ni églises, les catholiques s’organisent seuls: le chef de village dirige la communauté, fixe les fêtes religieuses selon le calendrier chrétien et conserve les livres saints; le catéchiste enseigne les enfants; le baptiseur administre le premier sacrement; le héraut visite les familles pour annoncer les dimanches, les fêtes chrétiennes, les jours de jeûne et d’abstinence.

Ouverture dans la deuxième moitié du XIXe siècle

En 1853, sous la pression des États-Unis, le pays est rouvert aux relations étrangères. Bien que le prosélytisme soit toujours interdit, de nombreux missionnaires catholiques, protestants et orthodoxes arrivèrent. Le christianisme pénétra à nouveau dans le pays par les voies du commerce et des ambassades, débarquant dans les ports de Kobe et de Yokohama.
En 1862, le pape Pie IX canonisa les vingt-six chrétiens martyrisés en 1597. L’année suivante, des missionnaires français construisent une église à leur mémoire à Nagasaki: l’église d’Oura.

Le christianisme a resurgi au 19e siècle au Japon, après deux siècles de répression. Eglise de Mizunoura, dans les îles Goto | Waka/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

Avec le renouveau Meiji de 1871, la liberté religieuse fut introduite, reconnaissant ainsi le droit à l’existence des communautés chrétiennes. De nouvelles églises furent construites, largement inspirées des modèles français. Le message chrétien a pu se répandre dans des villes marchandes comme Osaka et Sendai, et même dans la capitale de l’époque, Kyoto. Les communautés cisterciennes s’enfoncèrent dans les territoires hostiles du nord de l’île de Honshu et même au-delà de Hokkaido,

Le 24 février 1873, le gouvernement japonais abrogea enfin l’édit de persécution datant de 1614. En 1888, le droit à la liberté religieuse a été reconnu, puis étendu en 1899 au droit de promouvoir sa foi religieuse et de construire des édifices sacrés.

L’Église à visage japonais

Le premier évêque de nationalité japonaise, après le retour de la liberté religieuse, fut Januarius Kyunosuke Hayasaka, nommé le 16 juillet 1927 à la tête du diocèse de Nagasaki.

En 1981, Jean-Paul II a été le premier pape à visiter le pays. Suite à l’appel à la réconciliation et à la paix du 25 février, la Conférence épiscopale japonaise a organisé les «Dix jours pour la paix», une série d’événements organisés chaque année pour commémorer les victimes d’Hiroshima et de Nagasaki et la question nucléaire.

Le 24 novembre 2008, 188 martyrs catholiques, torturés et tués entre 1603 et 1639 ont été béatifiés à Nagasaki, lors d’une cérémonie en présence du pape Benoît XVI. Enfin le pape François s’est rendu au Japon en 2019. Les voyages apostoliques des papes ont grandement contribué à la visibilité de l’Église catholique dans les cercles politiques, intellectuels et culturels du pays, permettant au citoyen moyen de différencier l’Église des nombreuses autres confessions chrétiennes présentes dans le pays.

Certains édifices catholiques ont été déclarés «trésors nationaux». Le Japon a également établi une liste de monuments chrétiens  à soumettre à l’UNESCO, qui comprend 47 bâtiments construits entre 1864 et 1962.

Protéger toute vie

A la veille de la visite ad limina à Rome, le président de la Conférence épiscopale japonaise, Mgr Tarcisius Isao Kikuchi, archevêque de Tokyo, a livré au correspondant du National Catholic Register américain sa vision sur la situation de l’Église dans son pays et dans le monde.

L’archevêque japonais Tarcisius Isao Kikuchi élu à la présidence de la Caritas Internationalis le 13 mai 2023 | © Vatican Media

«C’est la première fois que nous rencontrons le Saint-Père depuis sa visite au Japon en novembre 2019 ! Le thème de la visite est Protéger toute vie, un thème que nous avons recommandé au Saint-Siège. Cela inclut non seulement la question de l’avortement au Japon, mais aussi le respect de la dignité humaine, l’abolition de la peine de mort, le fonctionnement des centrales nucléaires qui détruisent l’environnement, et les préoccupations écologiques.»

Tout au long de la vie d’un être humain, des questions touchent  la protection de la dignité, qui est vraiment négligée au Japon. Le système familial traditionnel est en train de disparaître, déplore le prélat.

Désarmement et dissuasion nucléaire

L’archevêque de Tokyo insiste aussi sur le désarmement. «Après la Seconde Guerre mondiale, à cause de ce qui s’est passé, nous avons aboli l’armée au Japon. La Constitution dit : «Pas d’armée». Pourtant, il y a bien une armée au Japon. Il y a donc une grande contradiction.(…). Pour le prélat, le Japon a besoin d’une certaine forme de protection, mais le gouvernement y consacre trop d’argent. (Encouragé par les États-Unis, le Japon a approuvé une augmentation de 16,5 % – 56 milliards de dollars – des dépenses de défense pour l’année 2024.) Le gouvernement utilise l’expansion de l’influence de la Chine et la présence de la Corée du Nord comme prétextes.

La question du désarmement nucléaire sera aussi au menu des discussions romaines. Pour Mgr Kikuchi, il faut penser que les personnes saines d’esprit n’utiliseront jamais d’armes nucléaires parce que ces armes détruiraient non seulement leur cible, mais aussi le pays à l’origine de l’attaque. Si les États-Unis attaquent la Russie et que celle-ci riposte, c’est la fin du monde. Mais ces menaces servent toujours d’excuse pour développer de nouveaux arsenaux, en dépensant beaucoup d’argent pour rien.

L’argent

Pour l’évêque japonais, qui est également président de Caritas internationalis, en fin de compte, «le plus gros problème est l’argent. Si nous regardons la réalité du monde, seul un très petit nombre de personnes possédant de l’argent contrôlent réellement l’économie et la politique mondiales. Et la plupart des gens sont sous ce contrôle. Le déséquilibre entre les nantis et les démunis s’accentue et affecte tous les problèmes politiques.» (cath.ch/fides/mp)

L’Église catholique au Japon
L’Église catholique au Japon compte aujourd’hui quelque 420’00 Japonais, auxquels il faut ajouter environ 500’000 travailleurs étrangers, philippins, vietnamiens, américains ou européens. La présence d’une importante communauté de catholiques étrangers constitue un défi pour l’Église locale, qui ressent également le besoin de préserver une identité catholique japonaise. Le service pastoral aux Japonais et aux étrangers exige de gérer avec discernement cette «coexistence multiculturelle».
L’Église du Japon peut compter sur les services d’environ 1’00 prêtres et 4300 religieuses. Les 15 diocèses du pays gèrent aussi de nombreuses institutions éducatives (828) et caritatives (653).
Les principales religions du Japon sont le shintoïsme (51,8%) et le bouddhisme (34,9%). Les chrétiens, de diverses confessions, représentent un total de 1,2%, dont environ un quart de catholiques. 12% de Japonais se déclarent «sans religion». MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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