Le pape redevient 'Patriarche d'Occident'

On sait le mépris du pape François pour les titres et les cérémonies de cour. La reprise en 2024 du titre de ‘Patriarche d’Occident’, abandonné par Benoît XVI en 2006, a surpris plus d’un vaticaniste. Volonté de rapprochement avec l’orthodoxie ou désir d’exprimer la synodalité? Les exégèses divergent.

Dans l’Annuaire pontifical 2024, publié par Libreria Editrice Vaticana disponible le 9 avril, la page contenant les titres attribués au Pape François, évêque de Rome, comprend à nouveau celui de ‘Patriarche d’Occident’. Cette définition avait disparu de la liste des titres pontificaux depuis 2006, à la demande du pape Benoît XVI. Pour le pape allemand ce titre de ›Patriarche d’Occident’, peu clair depuis les origines, était devenu obsolète dans l’évolution de l’histoire et continuer à l’utiliser n’avait donc plus de sens.

«Le terme ‘Occident’ fait référence à un contexte culturel qui n’est plus seulement lié à l’Europe occidentale.»

La signification du terme ‘Occident’ fait référence à un contexte culturel qui n’est plus seulement lié à l’Europe occidentale, mais qui s’étend des États Unis d’Amérique jusqu’à l’Australie et à la Nouvelle Zélande, se différenciant ainsi d’autres contextes culturels, rappelait alors le Saint-Siège. Une telle signification du terme ›Occident’ n’entend pas décrire un territoire ecclésiastique (comme c’est le cas pour les autres patriarcats NDLR). Il ne pouvait pas non plus être compris seulement en référence à l’Église latine, notamment face à l’existence de Conférences épiscopales dans chaque pays et de réunions internationales par continents.

Un titre jugé obsolète par Benoît XVI

Cette suppression avait un peu paradoxalement fâché les Églises orthodoxes qui y voyaient une volonté du pape d’étendre sa juridiction aux Églises d’Orient. Le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens avait dû s’en expliquer relevant que la suppression du titre patriarcal se référant à l’évêque de Rome n’impliquait pas la possibilité de «nouvelles prétentions papales» à l’égard des Églises d’Orient, mais exprimait un «réalisme historique et théologique» qui incitait à mettre de côté un titre considéré comme obsolète.

Volonté de rapprochement oecuménique

Pour quelles raisons le pape François a-t-il donc décidé de restaurer le titre de ›Patriarche d’Occident’? Pour les vaticanistes, la décision du pontife romain peut être liée à son insistance sur l’importance de la synodalité et à son souci œcuménique qui le pousserait à regarder en arrière vers les premiers siècles du christianisme, lorsqu’il n’y avait pas de divisions entre les Églises.
Le titre de ›Patriarche d’Occident’ rappelle l’expérience du premier millénaire chrétien, lorsque les cinq sièges de l’ancienne chrétienté (Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem), malgré leurs histoires et leurs accents spirituels différents, coexistaient en se référant tous à l’unique Tradition apostolique. Une période que les historiens de l’Église définissent comme la ›Pentarchie’. Les cinq Sièges étaient également reconnus par les puissances impériales comme ayant une responsabilité partagée «pour l’orthodoxie de la foi et le gouvernement de l’Église universelle».

Le 1er Concile de Nicée a eu lieu du 20 mai au 25 juillet 325 | domaine public

Ce souci œcuménique voit comme une occasion propice l’approche du 17e centenaire du Concile de Nicée, tenu en 325. Convoqué par l’empereur Constantin, cette assemblée, réunissant environ 300 évêques d’Orient et d’Occident, fut un moment décisif dans l’histoire du christianisme. C’est ce concile qui définit la profession de foi, dite de Nicée-Constantinople, partagée par tous les chrétiens et encore en usage aujourd’hui. Pour les chrétiens, il s’agit depuis 1700 ans d’un élément d’identification et de unité, en affirmant notamment la double nature humaine et divine du Christ.

1’700 ans du Concile de Nicée

Le 6 mai 2022, le pape François suggérait de saisir cette occasion pour se rassembler pour un nouveau départ. D’autant plus que, précisément en 2025, tous les chrétiens célébreront Pâques le même jour, le dimanche 20 avril.

Le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée qui entretient d’excellent liens avec le pape François a lui aussi a souligné son désir d’un rapprochement. «Nous implorons le Seigneur de gloire pour que la célébration commune de Pâques que nous aurons l’année prochaine ne soit pas une simple coïncidence heureuse, un événement fortuit, mais le début de la définition d’une date commune pour sa célébration annuelle par la chrétienté orientale et occidentale»

«Le patriarcat est le seul titre en commun entre les Églises grecque et latine»

En reprenant son titre de patriarche d’Occident François marquerait donc son désir de se mettre au niveau des autres patriarches des Eglises orthodoxes. C’est l’enjeu de la primauté d’honneur entre les différents centres historiques de la tradition chrétienne. Historiquement, le patriarcat est le seul titre en commun entre les Églises grecque et latine, expliquait en 2013, le Père Christophe Delaigue.

Après le schisme de 1054, l’évêque de Rome gardera symboliquement son titre de patriarche d’Occident. Restaurer cette référence commune exprimerait le désir de combler la rupture entre l’Orient et l’Occident. Une démarche qui ne touchera évidemment pas les Eglises issues de la Réforme protestante du XVIe siècle, pour lesquelles la notion de ›patriarche d’Occident’ ne fait pas de sens.

Pour plus de synodalité

Côté catholique, la décision de François devrait permettre aussi de réfléchir sur son fonctionnement interne. Depuis les années du Concile Vatican II, des théologiens, dont un certain Joseph Ratzinger, (futur Benoît XVI, NDLR) proposent de décentraliser certaines prérogatives détenues par Rome, pour les attribuer à des juridictions régionales. Au lieu d’un bloc monolithique, on a envisagé l’émergence d’Églises «continentales», en communion évidemment avec le pape. Une façon de préserver une figure forte dans un esprit de collégialité effective.

Il est un détail technique qui a marqué à l’unanimité les participants, qui l’ont répété à l’envi: les fameuses tables rondes autour desquelles se déroulaient les travaux. Le Synode était conçu en effet pour effacer les différences hiérarchiques | © Vatican Media

Cette sorte de patriarcat ›à l’orientale’ aurait l’avantage de redonner au successeur de Pierre son véritable charisme de ministre de la communion, et d’atténuer son rôle de monarque absolu. Jusqu’au synode sur la synodalité, cette proposition est restée lettre morte. Certes, Vatican II avait ouvert la porte en créant des conférences épiscopales continentales. Mais dans les faits, elles n’ont pas de pouvoir juridique, chacune dépendant de Rome.

«Le patriarche d’Occident serait-il un peu jésuite?»

La figure forte et unique du pape qui maintient l’unité est sans doute utile. Mais est-ce la meilleure gouvernance? La plus chrétienne? En lançant le synode sur la synodalité, le pape François s’aventure clairement sur cette voie. Même si certains lui reprochent aujourd’hui un gouvernement autoritaire et finalement très peu collégial. Le patriarche d’Occident serait-il un peu jésuite? (cath.ch/mp)

Maurice Page

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