Ce qui fait l’Eglise du Mali, ce n’est pas le nombre, mais l’autorité morale, dit Mgr Diarra

APIC – Interview

Enjeux et défis pour une Eglise largement minoritaire

Propos recueilles par Jean-Claude Noyé, correspondant de l’APIC à Paris

Paris, Bamako, 7 septembre 1998 (APIC) Ce qui fait l’Eglise du Mali, ce n’est pas le nombre mais l’autorité morale. Fils d’un couple de catéchistes, Mgr Jean-Gabriel Diarra, évêque de San, au Mali, a succédé‹ en 1996, à Mgr Ciss‹ à la présidence de la Conférence épiscopale de ce pays. L’APIC l’a rencontré à l’occasion de l’Université d’été de la Coopération missionnaire, tenu récemment à Viviers, en France. Il était invité comme témoin et conférencier. Ses explications sur l’Eglise du Mali, ses enjeux et ses défis…

Mgr J.-G. D.: Même s’il est au bas de l’échelle des pays les plus pauvres de la planète, avec un revenu annuel par habitant (PIB) de 780 francs suisses, le Mali se considère comme un grand pays. Par sa superficie, de 1’240’000 km2, par son histoire multiséculaire qui a connu la naissance, le rayonnement et la gloire de grands empires successifs. Le Mali est fier aujourd’hui, à tort ou a raison, d’être un modèle de démocratie en Afrique depuis 1991. Le pluralisme politique y est total. On y dénombre plus de 20 titres de journaux privés et 60 radios libres dont une catholique, dans un pays à majorité musulmane. Ces «titres de gloire» ne mettent pourtant pas le Mali à l’abri d’une pauvreté croissante et de plus en plus généralisée. Pays du Sahel, il est confronté à la menace omniprésente de la sécheresse. Sans oublier que 80% de la population (21 millions dont un tiers vit à l’étranger, comme travailleurs émigrés) est analphabète.

Apic: Quelle est la taille et la place de l’Eglise ?

Mgr J.-G. D.: Les premiers missionnaires ont été des Pères blancs, arrivés en 1895. La population chrétienne est estimée à 2% de la population totale, dont 8’000 catholiques, répartis dans 6 diocèses. Elle compte 80 prêtres, une centaine de religieuses autochtones, et plus de 200 catéchistes. Elle bénéficie en outre de l’aide d’une centaine de prêtres et de religieux expatriés. Son image emblématique, le Baobab, signifie qu’elle a pris racine et se nourrit de la terre locale, qu’elle a pris sa stature et tient sa place au service des hommes et des femmes de ce pays. Elle est petite, certes, mais l’Eglise du Mali, c’est pas le nombre mais son autorité morale. A l’occasion de la célébration du centenaire de l’arrivée de l’Evangile, elle a fait l’option d’être une Eglise communion fraternelle au service de l’Evangile. Elle a pris en même temps l’engagement de poursuivre la mission: mission à la fois d’évangélisation, avec un effort d’inculturation et de développement, en portant le souci du dialogue avec les animistes et surtout les musulmans (respectivement 29 % et 78 % de la population).

Apic: Comment se présente ce dialogue islamo-chrétien ?

Mgr J.-G. D.: C’est avant tout ce qu’on appelle le dialogue de vie, de bon voisinage, et un engagement commun sur des questions sociales et de justice. Depuis les événements douloureux (ndlr: conflit avec les Touaregs) d’un passé récent, la société civile a besoin de la médiation des chefs religieux. De fait, nous sommes minoritaires mais les musulmans nous demandent d’être de leurs côtés.

Apic: Les responsables d’Eglise sont, dit-on, écoutés avec respect. Pourquoi ?

Mgr J.-G. D.: L’Eglise s’est imposée par sa compétence, sa sincérité‹ et le sérieux de sa démarche. Notamment dans le domaine de l’éducation. Chaque paroisse a son école primaire et secondaire. Nous avons, à Bamako, 2 lycées et une école professionnelle de renom. Le centre Djoliba, de Bamako, compte une des meilleures bibliothèques du pays et un lieu très actif d’animation autour de la promotion féminine. Il faut signaler aussi notre réseau de mouvements de jeunes: JOC, JAC et JEC, Jeunesse ouvrière, agricole et étudiante, catholique ou non. La nuance est importante car jeunes chrétiens et musulmans se retrouvent là au coude à coude. Et ce sont autant de foyers féconds du dialogue entre chrétiens et musulmans.

Apic: Vous êtes très sensible au thème du maintien de la paix…

Mgr J.-G. D.: Paix et justice: voilà sans doute les biens les plus précieux et les plus urgemment attendus par l’Afrique. Ce sont de grands défis pour l’Eglise dont la mission est de prêcher l’Evangile de la paix. C’est une partie intégrante et prioritaire de sa mission en Afrique, à côté de multiples missions humanitaires au chevet de ce continent: développer la perspective évangélique de la paix, la proposer aux croyants comme chemin de vie, et aux sociétés et pays africains comme levain. Le Mali est pour l’instant à l’abri des tensions ethniques, mais pour combien de temps? Il faut être vigilant, sachant que de nombreux conflits sont à nos portes, et oeuvrer constamment à la réconciliation. Il s’agit de contribuer à l’avènement de sociétés où les inévitables conflits se résolvent autrement que par la force, où le bonheur des uns ne fasse pas le malheur des autres…(apic/jcn/ab/pr)

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