Rwanda: La propagande du pouvoir en place a pris l’Eglise catholique pour cible

APIC – Dossier

L’évêque de Nyundo déplore cette campagne haineuse

Kigali, 21 septembre 1998 (APIC) Le torchon brûle entre l’Eglise catholique du Rwanda et certains secteurs du gouvernement de Kigali. Ces derniers attribuent à l’Eglise une responsabilité dans le génocide de 1994. « La priorité de l’Eglise du Rwanda, rétorque l’agence missionnaire Fides, est pourtant « la réconciliation », mais ce mot même est refusé et réfuté comme un choix partisan par les adversaires de l’Eglise.

« Le conflit a ouvert des plaies difficiles à cicatriser à brève échéance », écrit l’agence de presse vaticane dans un dossier sur ce sujet controversé. « La haine et le désir de vengeance règnent dans de nombreux secteurs de la société. Le gouvernement ne facilite pas la tâche de l’Eglise catholique ».

Dans une interview accordée à Fides, Mgr Alexis Habiyambere, évêque de Nyundo, déplore cette campagne, qui présente les missionnaires comme des « apôtres de la haine  » . « Il peut se faire que quelqu’un se soit trompé, dit-il, mais l’on ne peut pasaccuser toute l’Eglise. Malheureusement, ces accusations trouvent bon accueil dans les moyens d’information ».

C’est à l’occasion de la visite « ad limina » à Rome des évêques du Rwanda (14-19 septembre) – la première depuis le génocide de 1994 -, que l’agence Fides fait le point. Jean-Paul II a reçu en privé chacun des évêques rwandais, puis l’ensemble du groupe. L’épiscopat du Rwanda a connu de profonds changements depuis 1994, puisque plus de la moitié de ses membres ont reçu l’ordination épiscopale durant les trois dernières années. Au centre des entretiens avec le pape figuraient la formation du clergé, la prolifération des sectes, les déséquilibres causés par les exodes qui ont suivi le conflit, la défense de la vie et de la famille, enfin la réconciliation.

Le dossier de l’agence vaticane est accusateur : « Le rôle de réconciliation de l’Eglise est freiné par la propagande de plusieurs secteurs du pouvoir en place qui lui attribuent une responsabilité dans le génocide de 1994. En mai dernier, des émissions sur la radio nationale et des articles parus sur la presse gouvernementale ont critiqué le rôle de l’Eglise dans l’histoire du Rwanda ».

« Une Eglise nationale rwandaise »

Parmi les principaux organisateurs de cette campagne, relève Fides, on trouve un ancien prêtre, Privat Rutazibwa, directeur d’une agence de presse gouvernementale. Il soutient que  » l’Eglise catholique est trop dépendante de Rome  » et qu’il est nécessaire de « créer une Eglise nationale rwandaise « .

L’agence se réfère à un article paru dans  » La Nouvelle Relève « , insinuant que le Saint-Siège voudrait installer dans l’Eglise du Rwanda « une nouvelle hégémonie missionnaire ». Cet article soutient que les missionnaires ne sont plus nécessaires au Rwanda et appuie la création d’une Eglise nationale.  » Dans certains milieux catholiques (comme par exemple l’Université de Butare), commente Fides, le sentiment d’hostilité envers l’Eglise et envers la hiérarchie locale est très fort. De son côté, le gouvernement a mis sous séquestre l’église de Nyamata, où se produisit un massacre de Tutsis, pour en faire un monument national du génocide de 1994, en rendant ainsi le sanctuaire inaccessible à la prière pour tous les défunts, mais seulement pour les défunts de l’une des parties du conflit en cours. « L’agence précise que, depuis le 1er janvier 1998, il y a eu huit assassinats de religieux au Rwanda ».

La dénonciation de génocide

Parmi les accusations les plus communes contre l’Eglise, Fides note le reproche d’un engagement tardif du Saint-Siège et le silence des évêques pour dénoncer le génocide. L’agence rappelle la vérité des faits: le 15 mai 1994, en plein conflit, Jean Paul II, a déclaré – le premier dans le monde à le faire – que les massacres en cours au Rwanda étaient « un génocide ». L’Eglise du Rwanda a, elle aussi, pris position « avec force », le 24 mars 1994, quand l’épiscopat a dénoncé la distribution d’armes à la population, puis le 10 avril 1994, en dénonçant les massacres et en invitant les gens à la réconciliation.

Dans la campagne contre l’Eglise, on attaque aussi les missionnaires, accusés par Privat Rutazibwa, d’être « des apôtres de la haine ». L’action des missionnaires est défendue avec fermeté par les évêques. Ainsi, Mgr Kizito Bahujimihigo, évêque de Ruhengeri, dans un message adressé à l’Assemblée des Supérieurs Majeurs en juillet dernier : « S’ils avaient agi selon la prudence dictée par l’instinct de conservation, ils auraient quitté la région depuis longtemps. Mais ils restent pour la population qui a besoin de prier pour ne pas céder au désespoir. « 

Mgr Habijambere :  » une nouvelle société est née « 

Mgr Alexis Habijambere, 59 ans, est depuis un an évêque de Nyundo, le diocèse le plus étendu du Rwanda. Lors de la tragédie de 1994, 32 prêtres ont été tués dans le diocèse et l’évêque d’alors, Mgr Wenceslas Kalibushi, récemment décédé, s’était sauvé par miracle. Pour l’heure, 16 prêtres sont toujours en exil. Mgr Habijambere, jésuite, n’a jamais quitté son diocèse, même dans les moments les plus durs, ce qui fait de lui, note Fides, « un témoin exceptionnel des épreuves et des espérances que vit le Rwanda ».

« Le rôle de l’Eglise est de travailler à la réconciliation, en réunissant tous les catholiques, sans distinction d’ethnie. Il y a des personnes réunies, par des situations dispersées, qui viennent de Tanzanie, du Burundi, du Zaïre, de l’Ouganda. Ce sont tous des Rwandais, et ils doivent apprendre à vivre ensemble », déclare l’évêque de Nyundo.. Un autre rôle fondamental est l’éducation :  » Depuis 1994, une nouvelle société est née, et les jeunes peuvent être éduqués à vivre ensemble, à construire cette nouvelle société « . Il y a enfin le problème de la charité et de la justice sociale pour lesquels l’Eglise peut faire de grandes choses, car elle gère de nombreux dispensaires et centres sanitaires, dont beaucoup dans des petits centres de l’intérieur.

Mgr Habijambere pense notamment aux orphelins qu’a laissés la guerre. L’orphelinat de son diocèse, à Nyundo, accueille 700 orphelins d’ethnies différentes. « Ils vivent, ils mangent, ils dorment, ils jouent, ils étudient ensemble », souligne l’évêque. Dans un tel endroit, la réconciliation est le fruit de la vie quotidienne. J’ai vu aussi de nombreuses familles accueillir en leur sein des orphelins de la guerre en les éduquant comme leurs propres enfants. Cela aussi c’est la réconciliation ».

Des signes d’espérance

Aux yeux de l’évêque, ce sont les jeunes qui sont le premier signe d’espérance. Un autre signe est la place que les laïcs prennent dans l’Eglise, par exemple dans des paroisses où il n’y a pas de prêtres, où des catéchistes très bien formés rassemblent les chrétiens et animent la vie des paroisses et des communautés de base.

Il y a aussi les vocations: « Il est surprenant de voir qu’après ce qui s’est passé en 1994, il y a une augmentation au lieu d’une baisse. Après les expériences dramatiques de la guerre, il semble que l’on a découvert ce qu’il y a de véritablement important dans la vie. « 

Pour Mgr Habijambere, la chose la plus capitale, c’est que les gens commencent à dire: « La violence a assez duré. Cà suffit! ». Les gens sont lassés de l’insécurité, des combats, des divisions. Ils veulent la paix, ils veulent travailler ».

130’000 personnes en prison

Restent les problèmes, dont le principal est la sécurité. Dans la région rurale de Kigali ou dans celle de Ruhengeri, les attaques des « infiltrés » sont sources d’une violence continue, de mort et de pauvreté. Il y a ensuite les conséquences de la guerre. Les orphelins et les veuves sont le phénomène le plus visible. Beaucoup ont été contraints de partir en abandonnant tout ce qu’ils avaient. Ceux qui sont rentrés d’exil n’ont plus rien eux non plus, ni maison, ni travail, ni nourriture.

Troisième problème: la justice. « Nous avons 130’000 personnes en prison, sous l’accusation de génocide, et tous attendent leur procès », explique l’évêque. Il y a des pères de famille qui attendent depuis des années à être jugés. Dans l’intervalle, les épouses et les enfants ne savent comment faire pour vivre. « 

Pour l’Eglise, le grand problème est la reconstruction : « Les prêtres manquent, ceux qui ont été tués ont laissé un vide difficile à combler en peu de temps, souligne encore Mgr Habijambere. De nombreuses structures ont été complètement détruites et il faut les reconstruire. Sur toutes les aides qui sont arrivées de l’étranger, rien n’a été utilisé pour aider l’Eglise.

Et puis, il y a le problème de ceux qui attaquent l’Eglise en l’accusant d’avoir préparé le génocide. L’évêque proteste : « Il peut se faire que des gens se soient trompés, mais l’on ne peut accuser l’Eglise toute entière. C’est une vision qui ne tient pas compte de l’histoire de l’Eglise au Rwanda. Malheureusement, cela trouve bon accueil dans les moyens d’information ». (apic/cip/fides/ba)

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