Asie du Sud-Est: Rapport du Bureau international du Travail sur la prostitution

APIC – Dossier

Une industrie aux profits énormes: 1,5% des femmes touchées

Genève,19 août 1998 (APIC) La filière du sexe en Asie du Sud-Est est une branche commerciale à part entière. Dans un contexte de crise économique, l’industrie du sexe, la prostitution et autres fléaux liés à ces phénomènes, sont même devenus généérateurs d’emplois et de revenus pour les pays de cette région, soutient le Bureau international du travail (BIT) à Genève, dans un rapport qu’il vient de publier à Genève sur le développement de la prostitution durant ces dernières décennies en Asie.

Bien qu’il soit impossible de calculer le nombre exact de prostituées que comptent les pays de l’Asie du Sud-Est en raison du caractère clandestin ou illégal de ce type de travail, les auteurs situent entre 0,25 et 1,5% le pourcentage de la population féminine qui se livre à la prostitution.

Pour l’Indonésie, ce nombre a été estimé entre 140’000 à 230’000 en 1993-94. Pour la Malaisie, les estimations sont de 43’000 à 142’000, mais le BIT considère que le chiffre le plus élevé est le plus vraisemblable. En ce qui concerne les Philippines, l’effectif est probablement proche d’un demi million. En Thaïlande, le recensement effectué en 1997 par le ministère de la Santé fait état de 65’000 prostituées, mais selon des sources non officielles, le nombre exact se situeplutôt entre 200’000 et 300’000. des dizaines de milliers de prostituées thaïlandaises et philippines travaillent dans d’autres pays. Il s’agit principalement de femmes, mais il y a aussi des hommes, des transsexuels et des enfants prostitués.

Création d’emplois et de revenus

Avec les propriétaires, les gérants, les proxénètes et autres employés des établissements spécialisés dans les services sexuels, de la branche correspondante du spectacle et de certaines ramifications du secteur du tourisme, le nombre des personnes tirant directement ou indirectement un revenu de la prostitution serait de plusieurs millions. Selon l’étude susmentionnée du ministère thaïlandais de la Santé, sur les 104’262 travailleurs des 7’759 établissements offrant des services sexuels, seuls 64 886 fournissaient directement les services sexuels. Les autres constituaient le personnel de soutien nettoyeurs, serveurs, caissiers, gardiens de parkings et responsables de la sécurité. Les auteurs d’une étude malaisienne ont classé parmi les professions liées au secteur du sexe les médecins (qui examinent régulièrement les prostituées), les vendeurs de nourriture qui se trouvent dans le périmètre des établissements, les marchands d’alcool et de cigarettes et les propriétaires des locaux que louent les pourvoyeurs de services sexuels. Aux Philippines, ce sont des agences de voyage spécialisées, les services d’accompagnateurs, ceux qui assurent le service dans les chambres des hôtels, les saunas et les clubs de santé, les casas ou maisons de prostitution, les bars, les brasseries, les bars des hôtels de luxe, les cabarets et des clubs spéciaux, qui se chargent du commerce du sexe.

Un cercle vicieux

Dans les quatre pays, l’industrie du sexe représente de 2 à 14% du produit intérieur brut (PIB) et, outre les prostituées elles-mêmes, les revenus qu’elle génère font vivre des millions de travailleurs. Les pouvoirs publics eux aussi perçoivent des sommes non négligeables dans les quartiers où existe la prostitution, que ce soit illégalement par la corruption ou légalement grâce aux différentes patentes et taxes auxquels sont assujettis les nombreux hôtels, bars, restaurants et salles de jeux qui pullulent dans ces quartiers.

En Thaïlande, par exemple, les femmes qui se prostituent dans les centres urbains rapatrient chaque année près de 300 millions de dollars des Etats-Unis dans les zones rurales, soit un montant bien souvent supérieur aux budgets des programmes de développement financés par le gouvernement. Pour la période allant de 1993 à 1995, on a estimé que la prostitution avait rapporté un revenu annuel de 22,5 à 27 milliards de dollars.

En Indonésie, le chiffre d’affaires de l’industrie du sexe oscille entre 1,2 à 3,3 milliards de dollars des Etats-Unis par an, soit de 0,8 à 2,4% du PIB, la majeure partie des gains des prostituées passant des maisons de prostitution urbaines dans lesquelles elles travaillent aux villages où vivent leurs familles. Dans la seule région de Jakarta, les activités liées au commerce du sexe représenteraient un chiffre d’affaires annuel de 91 millions de dollars.

Selon Mme Lin Lim, du BIT, sous la direction de laquelle a été réalisé ce rapport, « si les choses se passent comme lors de la récession du milieu des années quatre-vingt, il y a fort à parier que, lorsqu’elles perdront leur emploi dans le secteur manufacturier et le secteur tertiaire, les femmes dont le revenu est indispensable à la famille, seront contraintes de chercher du travail dans l’industrie du sexe ».

Une industrie aliénante aux profits alléchants

Alors que de nos jours, les études mettent généralement l’accent sur la tragédie que vivent les prostituées et en particulier sur le sort de femmes et d’enfants qui ont été dupés ou sont contraints d’effectuer ce travail par la force, l’enquête du BIT montre que bien souvent, ces personnes décident de se prostituer par « réalisme », en « assez bonne connaissance de cause ». Environ la moitié des prostituées malaisiennes interrogées pour les besoins de cette enquête disent avoir appris « par des amis le moyen de gagner facilement de l’argent », et il en est de même dans les autres pays étudiés.

Bien souvent, le travail sexuel est le seul débouché possible pour les femmes qui doivent faire face à la pauvreté et au chômage, dont le mariage a échoué et qui doivent s’acquitter des responsabilités familiales, en l’absence de toute assistance sociale. Pour les mères célibataires, il constitue souvent une option plus souple, plus lucrative et moins prenante que le travail en usine ou au service de quelqu’un.

Les enquêtes ont également démontré que pour la plupart des femmes interrogées, la prostitution constitue l’une des formes de travail les plus aliénantes qui soient. La moitié des entraîneuses interrogées aux Philippines ne ressentent « rien » lorsqu’elles ont des rapports sexuels avec un client et les autres disent que cela les déprime. Plus de 50% des masseuses interrogées disent travailler « le cœur lourd » et 20% disent avoir « des problèmes de conscience parce qu’avoir des rapports sexuels avec des clients est un péché ».

Selon le sondage effectué auprès des masseuses, 34% ont choisi ce métier poussées par la nécessité de pourvoir aux besoins de parents démunis, 8% pour élever leurs enfants et 28% pour entretenir leurs maris ou petits amis. Plus de 20% estiment qu’elles sont bien payées mais seulement 2% trouvent que c’est un travail facile et 2% déclarent l’aimer. Plus d’un tiers rapportent avoir été victimes d’actes de violence ou de harcèlement, le plus souvent de la part de la police mais aussi des autorités municipales et de gangsters.

Revenus élevés?

Les gains varient considérablement selon le secteur et le nombre de clients, mais d’après les sondages, le revenu mensuel moyen est de 800 dollars des Etats-Unis, soit 1’400 dollars pour les masseuses et 240 pour les employées des maisons de prostitution.

Les études concernant la prostitution en Indonésie font toutes état de revenus élevés par rapport à ceux d’autres professions dans lesquelles les femmes peu instruites sont susceptibles de trouver du travail.

En revanche, à l’autre extrémité du marché, les gains et les conditions de travail sont pitoyables: le prix d’une passe peut descendre jusqu’à 1,50 dollar dans les « maisons » bon marché, et il est encore plus bas dans les rues des bidonvilles ou dans celles qui bordent les marchés et les voies ferrées, alors que les risques en matière de sécurité ou d’exposition aux maladies sexuellement transmissibles et au virus HIV sont plus grands.

Enfants victimes de la prostitution

Comme pour la prostitution des adultes, il n’est pas possible d’avoir des chiffres précis. Aux Philippines, le nombre des enfants victimes de la prostitution était de 75’000 en 1997. En Thaïlande, il a été estimé entre 30 et 35’000 en 1993 et en Indonésie, une enquête conduite en 1992 a révélé qu’un dixième des personnes prostituées avaient moins de 17 ans et que parmi les plus âgées, un cinquième avaient commencé avant l’âge de 17 ans. En Malaisie, plus de la moitié des personnes « libérées » de divers établissements avaient moins de 18 ans.

Les auteurs démontrent en outre que la traite des femmes et des enfants au profit de l’industrie du sexe est en augmentation. Des organisations clandestines associées à des réseaux « d’une efficacité redoutable », bénéficiant souvent d’une couverture officielle, recrutent, transportent, vendent les femmes et les enfants par-delà les frontières.

De 20 à 30’000 femmes birmanes travaillent dans l’industrie thaïlandaise du sexe; presque toutes sont des immigrées clandestines risquant à tout moment d’être arrêtées et expulsées et 50 pour cent seraient porteuses du virus HIV. En Inde, 100’000 Népalaises travaillent en tant que prostituées et 5’000 autres sont introduites illégalement dans le pays chaque année. Au cours de ces dix dernières années, environ 200’000 femmes bangladeshis ont été introduites au Pakistan et des milliers en Inde.

Les auteurs imputent en outre le développement de l’industrie du sexe à la féminisation des migrations pour l’emploi: 80% des travailleuses asiatiques entrées légalement au Japon dans les années 90 étaient des « entraîneuses », c’est-à-dire des prostituées, pour la plupart originaires des Philippines et de la Thaïlande. On trouve des prostituées thaïlandaises dans toute l’Asie ainsi qu’en Australie, en Europe et aux Etats-Unis. Les auteurs comparent la régularité et la complexité des mouvements de prostituées dans toute l’Asie du Sud et du Sud-Est, à celles des migrations journalières des travailleurs dans les grandes agglomérations urbaines. Les auteurs affirment catégoriquement qu’il n’appartient pas au BIT de prendre position sur l’opportunité de légaliser la prostitution. Ils formulent néanmoins un certain nombre de recommandations pour éliminer la prostitution enfantine, et d’agir sur les structures qui permettent le développement de la prostitution. (apic/com/smm/pr)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-dossier-42/