Brésil: Trentième anniversaire de la Conférence de Medellin

APIC – Interview:

Mgr José Maria Pires demande avec urgence des prêtres mariés

Paulo Pereira Lima, agence APIC

Fribourg, 28 août 1998 (APIC) Il y a trente comme aujourd’hui, plus de 200 délégués de Conférences épiscopales d’Amérique latine étaient réunis à Medellin. Que reste-t-il de cet événement, voulu dans la foulée du Concile Vatican II? L’un des participants à cette Conférence, historique pour l’Eglise latino-américaine, Mgr Maria José Pires, ancien archevêque de Joao Pessoa, dans l’Etat de la Paraiba, au Brésil, se penche sur les retombées de ce rendez-vous. Sur les décisions à prendre, urgentes. Parmi elles, selon lui, l’accession à la prêtrise d’hommes mariés, et pourquoi pas des femmes…

Quand on prononce le nom de Medellin, on évoque souvent de nos jours la grande cité colombienne liée au trafic de drogue, à son fameux cartel de Medellin. Depuis 30 ans pourtant, cette ville est associée durablement à l’évocation de la Conférence épiscopale latino-américaine, tenue du 24 août au 6 septembre 1968). Une réunion de 200 délégués rehaussée par la présence de Paul VI. C’était la première fois dans l’histoire qu’un pape ouvrait un tel type de rencontre, en dehors de Rome. Mgr Pires explique au correspondant de l’APIC, au Brésil, pourquoi sa foi chrétienne a vibré à cet événement ecclésial.

APIC :Pourquoi les évêques d’Amérique latine réalisèrent la Conférence de Medellin?

J.M.P. : Nous rentrions dans nos diocèses après l’expérience inoubliable du Concile Vatican II qui a clos ses travaux en décembre 1965. Cette grande rencontre mondiale avait lancé une nouvelle vision de l’Eglise catholique: Cette dernière ne devait plus être vue comme une pyramide (le pape, les évêques, les prêtres, les laïcs, par ordre d’importance décroissant), mais sans évacuer la notion de hiérarchie, nous découvrions avec joie que l’Eglise était d’abord «peuple de Dieu». Or en Amérique latine, le peuple de Dieu, dans sa grande majorité, est un peuple de pauvres. Il était donc logique que la Conférence de Medellin mette en évidence la dimension sociale de l’agir chrétien.

APIC: Comment la société d’alors a reçu le message de Medellin?

J.M.P. : Au même moment, dans différents pays d’Amérique latine, les militaires prenaient le pouvoir et imposaient leur dictature de fer et de sang. Les Eglises locales, ayant dans leurs mains le message de Medellin, décidèrent alors de lutter pour le respect des droits de l’homme. Résultat : des conflits ont commencé à surgir entre évêques et militaires à cause de la répression, de l’existence des prisonniers politiques et parce que certains d’entre nous dénoncions publiquement la torture systématique dans les prisons.

APIC: Des tensions n’ont-elles pas existé à l’intérieur même de l’Eglise catholique?

J:M.P : Oui, car au début du moins, beaucoup d’autres évêques doutaient de l’existence de la torture de la part de la police et des militaires. Ils croyaient aussi que les intentions de ceux qui luttaient pour modifier radicalement la sociéété brésilienne n’étaient pas totalement pures. Par anti-communisme viscéral, certains se taisaient. Tout cela nous en discutions lors de nos Conférences épiscopales. Mais peu à peu, le plus grand nombre a pris conscience de l’horreur de la dictature militaire. L’Eglise brésilienne du moins a trouvé une certaine unanimité morale en faveur de la démocratie et de la défense des droits de l’homme.

APIC: Le discours de Medellin est-il toujours actuel?

J.M.P. : Absolument. Car les affirmations fortes de Medellin, en particulier l’option préférentielle pour les pauvres, sont liées à l’actualité de Vatican II. Les pauvres, pour nous, ont pris un visage concret: Les Brésiliens noirs, les Indiens, les enfants des rues, les prostituées. Ce que je déplore, c’est que les grandes ouvertures en gestation dans Vatican II, reprises par Medellin, se sont, d’une certaine façon, évanouies…

APIC: Pouvez-vous citer certains exemples?

J.M.P. : L’Eglise doit être toujours plus ouverte à tous et son message doit servir le mnde entier. Elle ne devrait pas être prisonnière et limitée par un conditionnement d’ordre culturel. Malheureusement l’Eglise catholique, sur ce plan là, reste très européenne et trop occidentale. Autre grand thème du Concile qui me paraît avoir été oublié: La collégialité. Rome ne peut pas diriger l’Eglise à elle seule. Il ne lui suffit pas d’avoir des conseillers. Elle doit avoir s’ouvrir vraiment à d’autres Eglises partenaires. Pour qu’ensemble nous évangélisions.

Autre point qui me tient à cœur: l’Eglise doit offrir des ministres aux communautés chrétiennes pour qu’elles puissent célébrer l’Eucharistie. Or il n’est pas possible, ni en ce siècle, ni dans le prochain, de penser que les prêtres seront en nombre suffisant pour répondre aux nécessités spirituelles des communautés. L’Eglise doit créer un autre type de ministre pour tenir compte de la réalité. Un homme marié, avec un bagage théologique et spirituel propre à diriger de petites communautés. Nous espérions, en quittant Medellin, que cette ouverture et cette réforme au sein de l’Eglise allaient avoir un commencement de réalisation. Il est vraiment dommage que des décisions n’ont pas été prises.

APIC : Quel sont, à votre avis, les raisons du statu-quo?

J.M.P. : Parce que Rome n’a jamais admis que l’on discute de la question du célibat des prêtres. Cette problématique existe pourtant, comme un feu sous la cendre. Le statu quo incommode toujours davantage l’Eglise d’Amérique latine et celles d’autres continents où fleurit la vie ecclésiale. Ce sujet, hélas, n’est plus mis à l’ordre du jour d’une Conférence épiscopale ou d’un Synode. Il n’existe malheureusement pas une ambiance propice pour avancer dans cette discussion.

APIC :Est-ce une question urgente pour l’Amérique latine?

J.M.P. : Oui, une question très urgente. L’Eglise catholique n’a pas le droit de se plaindre si des fidèles catholiques entrent dans d’autres Eglises chrétiennes, du moment qu’elle n’est pas capable d’offrir à ses propres fidèles les pasteurs dont ils ont besoin. C’est urgent pour l’évangélisation. Car pour les fidèles, il n’y a aucun scandale d’avoir un prêtre marié comme pasteur. Il faut tout de même que nous acceptions ce que désirent les laïcs qui ont aussi reçu le Saint-Esprit grâce à leur baptême!

APIC: Le sacerdoce ministériel devrait-il être aussi accordé aux femmes?

J.M.P. : Attention! Les communautés commencent déjà à indiquer la bonne direction, car le nombre de femmes qui dirigent des communautés est supérieur à celui des hommes. Sans la présence des femmes, les communautés n’auraient pas la vitalité dont elles font la démonstration chaque jour. Il nous faut donc aborder aussi cette question de l’ordination des femmes à la prêtrise. Parce qu’aujourd’hui dans notre Eglise les droits des femmes ne sont pas respectés. Il y a beaucoup plus d’interdictions que de permissions pour elles! Mais un jour ces communautés vont nous montrer qu’il est nécessaire de respecter l’égalité entre l’homme et la femme jusqu’au bout. Mon rêve, c’est que nous puissions aborder ce sujet librement entre nous. En écoutant le peuple de Dieu et en recherchant la communion ecclésiale. Je ne pense pas qu’il soit opportun de prendre des décisions isolées. Et un diocèse tout seul, même si son impatience est légitime, ne peut pas décider d’ordonner des femmes au sacerdoce. (apic/plp/ba)

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