Homélie du 7 juillet 2024 (Mc 6, 1-6)

Chanoine Alexandre Ineichen – Chapelle de La Pelouse, Bex, VD

Dans le célèbre chef-d’œuvre de Cervantès, Don Quichotte, l’Ingénieux Hidalgo de la Manche, est toujours accompagné de son fidèle valet, Sancho Panza, qui tout au long du roman éponyme rappelle son maître à la réalité. En effet, pour empêcher l’idéaliste Don Quichotte de ne combattre que des moulins à vents, de s’illusionner et de vivre dans un monde imaginaire, Sancho Panza, pragmatique, lui expose le présent par des formules toutes faites, par des sentences pleines de bon sens, par des proverbes dont la tradition remonte à des temps immémoriaux. Ainsi en est-il de Jésus dans l’Évangile que nous venons d’entendre. « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison », plus connu par « Nul n’est prophète en son pays. » Remarquons, cependant, que non seulement les quatre Évangélistes rapportent ce proverbe, mais que saint Luc à la même occasion en ajoute un second : « A coup sûr, vous allez me citer ce dicton : Médecin, guéris-toi toi-même. »

Des formules bien frappées pour nous convaincre du bien-fondé de nos actions, pensées


Nous aussi, dans nos vies quotidiennes, nous avons quelques formules bien frappées pour nous aider à nous sortir de situations embarrassantes ou pour nous convaincre du bien-fondé de nos actions, de nos pensées. On pourrait même imaginer remplacer nos codes de loi par une liste de proverbes, liste la plus exhaustive possible. Mais vivrions-nous mieux ? Nos rapports sociaux seraient-ils plus paisibles ? Aurions-nous une vision plus authentique de la réalité ? Certes, le cordonnier est souvent le plus mal chaussé, car il faut être bien héros pour l’être aux yeux de son valet de chambre, mais charité bien ordonnée commence par soi-même et ses proches. De même, si en avril il ne faut pas se découvrir d’un fil, faire en mai ce qu’il nous plait peut être risqué car on peut s’enrhumer et prendre froid si, comme cette année, le temps n’est pas favorable, qu’il fait un temps de chien ou – avec une plus belle image encore – lorsqu’il fait un beau temps pour les canards. Ainsi la sagesse populaire ne répond pas, la plupart du temps, à nos plus profondes aspirations, comme si le ver était dans le fruit, que toute médaille avait son revers. D’ailleurs, l’Évangile de ce dimanche se poursuit, Jésus ne pouvait accomplir aucun miracle et ne guérit seulement que quelques malades en leur imposant les mains. Ces quelques malades guéris, l’Évangéliste, la parenté de Jésus, les nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, n’y reconnaissent d’ailleurs pas un miracle. « Alors Jésus parcourait les village d’alentour en enseignant. » Et il ne pouvait que s’étonner de leur manque de foi, de notre manque de foi.

Dans les faiblesses, les contraintes, nous participons à la vie même de Dieu


Pourtant, le Verbe était sorti dans le monde pour annoncer le salut et la rémission des péchés. Comme le prophète Ézéchiel, il se devait de se tenir debout et de faire savoir qu’il y a un prophète au milieu d’eux. La Parole de Dieu ne peut se taire et doit à temps et à contretemps manifester la grandeur de Dieu et son infinie miséricorde, même si – engeance de rebelle – personne n’écoute. N’est-ce pas là l’écharde dans la chair de l’Apôtre, n’est-ce pas là l’envoyé de Satan qui est là pour gifler saint Paul, pour l’empêcher qu’il ne se surestime. Mais saint Paul le comprend enfin. C’est lorsqu’il est faible, c’est alors qu’il est fort. Notre sagesse si imparfaite, si faible à répondre à ce que Dieu veut pour nous, c’est en la vivant dans sa faiblesse même que nous pouvons y découvrir ce que nous sommes vraiment, y acquérir la vraie mission du Verbe – venir dans le monde afin que, dans notre chair, dans les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions nous participons à la vie même de Dieu.

La sagesse que Jésus veut nous transmettre


Ainsi cet épisode évangélique, qui peut nous donner l’impression, que la prédication de Jésus ne porte pas, n’a pas d’impact, cet épisode recèle pourtant l’authentique sagesse divine, celle qui a galvanisé les prophètes des temps anciens et leur a donné ses paroles de feu qui brûlent encore nos cœurs, celle qui a donné à saint Paul la force, le courage d’annoncer Jésus, mort et ressuscité. Que cette sagesse nous touche aussi, que par nos dictons, nos proverbes et nos formules toutes faites, nous poursuivons l’œuvre de Dieu, surtout que nous en vivons. Oui, nul n’est prophète en son pays, mais chacun peut ici et maintenant, dans son pays, sa parenté et sa maison, recevoir l’Esprit qui transforme notre monde, qui guérit même quelques malades. C’est cela notre foi, c’est cela cette sagesse que Jésus veut nous transmettre, c’est cela le grand miracle qui se réalise par ses mains : un peu de pain, un peu de vin, Dieu est là pour nous, pour le monde entier.

14e Dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Ezékiel 2, 2-5; Psaume 122; 2 Corinthiens 12, 7-10; Marc 6, 1-6

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