APIC- INTERVIEW
« La dictature militaire a obligé mon Eglise à choisir les pauvres »
Bernard Bavaud, de l’Agence APIC
Fribourg, 5 avril 1998 (APIC) Le franciscain brésilien Almir Ribeiro Guimaraes décrit pour l’agence APIC les espérances actuelles de l’Eglise catholique brésilienne. Sans cacher les ombres et les difficultés rencontrées. Il explique l’enracinement de sa famille religieuse franciscaine au Brésil et l’attachement concret de son Ordre pour redonner aux « exclus » une place dans la société. Il fait aussi le point sur l’évolution des communautés ecclésiales de base, un des points d’ancrage de la théologie de la libération.
APIC: Pouvez-vous décrire la famille brésilienne actuelle puisque vous travaillez actuellement dans la pastorale familiale?
A. R. G. : C’est extrêmement difficile de parler de pastorale familiale. De quoi s’agit-il? La catéchèse? Le travail avec les jeunes? La rencontre de foyers chrétiens? La question du planning familial? Il y a 20 ans, on a commencé à mettre sur place une pastorale familiale dans l’Eglise. La famille est très fragilisée au Brésil. Nous avons comme partout le problème de la rupture du lien conjugal, la limitation extrême des enfants désirés et par contraste, parmi les plus pauvres, un éventail immense d’enfants qui viennent au monde dans une grande instabilité de la famille. Lorsqu’elle existe encore. D’où l’immense problème des enfants des rues. Souvenez-vous du massacre de la Candelaria, à Rio de Janeiro, où une dizaine d’enfants ont été massacrés par les forces policières. Ce qui a choqué le monde entier. Ces enfants qui ont été massacrés n’avaient plus de famille.
Le problème de la pastorale familiale au Brésil, ce n’est pas seulement d’embellir un peu un foyer bien constitué et de le rendre plus « saint », mais c’est plutôt d’accueillir et d’aider des personnes se trouvant dans des situations familiales très précaires. Nous avons besoin au Brésil d’un travail auprèès des enfants des écoles et des adolescents pour qu’il aient conscience de ce que pourrait être une famille. Il faut aussi éviter de tomber dans le fatalisme et oublier de proposer des valeurs: une communion de vie stable entre un homme et une femme basée sur la vie et l’amour et qui parfois mettent des enfants au monde. Mais avec un sens de leurs responsabilités. Et s’ils sont chrétiens, le désir de vivre la foi libératrice.
APIC: Quel genre de dialogue préconisez-vous pour une Eglise crédible?
A. R. G. : Au plan pastoral, ce qui est primordial, c’est d’écouter avec tendresse tout le monde sans préjugés. Au Brésil, on dit familièrement « ficar com a gente », (« être avec les gens »). En vérité nous dialoguons même avec les membres des sectes. Bien qu’avec certaines cela soit impossible. Nous devons alors dénoncer l’imposture. Par exemple celle du » Règne de Dieu » avec Mgr Edir Macedo. Il s’est attribué lui-même ce titre d’évêque; c’est la catastrophe! Un homme très préoccupé par l’argent. J’ai un ami qui m’a dit . « Tu vois, là il y avait un magasin, maintenant il y a un église « do Reino de Deus ». Sais-tu qui est le pasteur? C’est un gars retraité qui est sorti de la Banque du Brésil. Il a une grande facilité pour faire de beaux discours. Il n’a pas la foi. Mais son éloquence lui a valu d’être embauché. Fifti-fifti, 50% 50%!.
Ce qui est grave, ce sont les pauvres gens qui ont des problèmes de santé et qui cherchent désespérément la guérison. Ils entendent le pasteur exalté leur dire: « Voici venu le moment de la guérison »: On crie: « Jésus-Christ, sauve-moi!. Alleluia! ». Il nous faut trouver une forme de dialogue avec ces personnes victimes de la superstition et de la tromperie.
Autre signe d’espérance: La passion de la Bible. Pour faire face à des sectes fanatiques, il est bon que les catholiques s’initient sereinement aux textes de l’Ecriture Sainte. Ils le font dans les « circulos biblicos ». Attention à l’isolement. Il faut faire le lien avec les groupes de foyers et les communautés de base. L’amour de la Bible est une valeur pour l’action concrète. Il ne suffit pas d’avoir une belle Bible à la maison comme dans certains quartiers riches de Rio.
APIC: Où en sont les communautés ecclésiales de base actuellement?
A. R. G. : Il me paraît correct de dire que l’on est passé au Brésil d’une théologie de la libération où l’on parlait des opprimés – on en parle toujours ! – qui dénonçait l’oppression sociale et politique à un discours qui met l’accent sur les « exclus » de la société. Les dictatures militaires en Amérique latine étaient si dures qu’elles opprimaient vraiment les opposants avec un discours économique privilégiant les riches. Maintenant le système économique international « exclut » toujours les pauvres. Durant la dictature, à travers les communautés de base au Brésil, une partie de l’Eglise vivait à partir du peuple. D’une certaine façon, la dictature militaire a obligé mon Eglise à choisir les pauvres. Ceux-ci se réunissaient en petites cellules croyantes et militantes en éclairant sa vie à partir de l’Evangile. Dans cette période post-conciliaire une Eglise renouvelée surgissait de la base. Je pourrais raconter des faits savoureux de la participation vivante de laïcs à la vie de l’Eglise.
Cela a beaucoup changé après la chute de la dictature militaire. L’Eglise n’était plus seule à proclamer la liberté et à dénoncer l’oppression. D’autres structures et d’autres organisations ont surgi pour exiger que l’on donne à nouveau « la voix aux sans-voix ». Des partis politiques, des organisations non-gouvernementales (ONG) ont pris en quelque sorte le relais de l’Eglise . Les communautés ecclésiales de base poursuivent pourtant leur chemin libérateur. Il y a des rassemblements importants, le tout dernier à Sao Luis (Maranhao). Dans presque tous les diocèses, il y a des communautés ecclésiales de base vivantes. Dans certains endroits, elles sont beaucoup plus orientées vers le progrès social, avec un appui déterminé aux paysans sans terre pour une réforme agraire, comme l’a expliqué récemment à l’agence APIC Dom Gregory, évêque d ’Imperatriz. Parmi tous ceux qui font l’histoire au Brésil en ce moment, il y a des membres de ces communautés de base qui sont toujours sur le front.
APIC: Comment voyez-vous le rôle de l’épiscopat de votre pays?
A. R. G. : Nous sommes très fiers de notre Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB). Je crois qu’elle a joué un rôle assez important dans l’Eglise d’Amérique latine, voire même du monde entier. Le fondateur de la CNBB a été Dom Helder Camara, qui est devenu ensuite archevêque de Recife. Et les rencontres annuelles des évêques à Itaici sont attendues comme des signes d’espérance. Un mot magique du Concile a été celui de « collégialité ». Mais quand 300 évêques se réunissent, il serait absurde d’imaginer que tous pensent la même chose. Des visions différentes de la société et de l’Eglise existent et certaines nominations épiscopales, ces dernières années, ont plutôt renforcé l’aile conservatrice de l’épiscopat. N’empêche, nous avons la joie de découvrir qu’au moment de prendre des décisions, la majorité des votes se trouvent du côté de l’ouverture et d’un appui résolu aux plus pauvres.
APIC: Vous être franciscain. Dans votre communauté religieuse, il y a deux personnalités mondialement connues, le cardinal Paulo Arns et le théologien Leonardo Boff? Pouvez-vous brièvement les décrire?
A. R. G. : Mgr Arns est un authentique pasteur de la grande ville. Quand il a été nommé archevêque de Sao Paulo, il a su acquérir la confiance de tous ses diocésains. Des membres d’autres religions et des incroyants aussi. Maintenant se pose le délicat problème de son remplacement. Il a déjà donné sa démission au pape. Tout le monde attend avec anxiété pour savoir qui sera son successeur. Aura-t-il la même ligne pastorale? Dom Paulo a eu le courage d’organiser à Sao Paulo une pastorale à partir des exclus. C’est un homme extrêmement simple. Jamais on ne sent chez lui le « personnage-cardinal ». Il a toujours une parole enthousiaste envers le travail pastoral avec les pauvres.
Souvent, quand surgissaient de grosses questions lors de la dictature militaire (torture et assassinat des prisonniers politiques dans les prisons, grève des ouvriers de la métallurgie) , sa voix était très écoutée. Encore aujourd’hui. Je voix donc dans la figure de Dom Paulo le pasteur courageux de la grande ville brésilienne. Il nous manquera.
Ordonné prêtre en 1964, le Père Guimaraes obtient en 1968 un diplôme de catéchèse à l’Institut supérieur de pastorale catéchétique de Paris au moment du Concile Vatican II. Il obtiendra aussi une thèse de doctorat en théologie à l’Institut catholique de Paris sur le thème: « Les communautés ecclésiales de base au Brésil: une nouvelle manière d’être en Eglise ».
Le Père Ribeiro Guimaraes est actif dans la maison d’édition des Pères franciscains « Vozes » à Petropolis, où il a été responsable du secteur catéchèse et pastorale. Il enseigne la pastorale et la catéchèse à l’Institut de théologie des franciscains à Petropolis.
En 1980 il a été nommé curé à Sorocaba, Etat de Sao Paulo, puis à la paroisse Notre-Dame des Anges à Niteroi près de Rio. Durant quelques années, il a collaboré au Département famille de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB). Il parcourt aussi les diocèses brésiliens en animant des sessions de formation sur la pastorale familiale, sessions destinées aux prêtres, aux foyers et aux familles.
Invité à Fribourg par les Missionnaires de Bethléem Immensee, il a animé aussi la Campagne de l’Action de Carême 1998 en Suisse romande. (apic/ba)
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