L’abbé Jacques Seck (69 ans) est l’un des guides religieux catholiques du Sénégal parmi les plus engagés dans le dialogue islamo-chrétien. Dans une interview réalisée à Dakar par l’APIC, il fait le point sur le dialogue religieux dans son pays.
Dialogue islamo-chrétien au Sénégal: un exemple sans doute unique
Il n’y a pas plus avancé en Afrique et dans le monde
Par Ibahima Cisse, correspondant de l’APIC à Dakar
Dakar, 23 avril 1998 (APIC) Contrairement aux relations tendues qu’entretiennent très souvent les communautés religieuses entre le monde musulman et chrétien, le Sénégal est encore à l’abri des turbulences inter-religieuses. Les responsables musulmans et chrétiens ont de tout temps entretenu des relations étroites. Dans de nombreuses familles de certaines régions, il arrive fréquemment que des membres appartiennent à des religions différentes.
APIC: Comment vivez-vous vos rapports avec les musulmans qui sont majoritaires dans le pays?
Jacques Seck: Dans mon village, il y a autant de musulmans que de chrétiens. Nous entretenons les meilleurs rapports. Ce que j’ai vécu au niveau de ma famille dont l’autre moitié est musulmane est la même que dans beaucoup de familles sénégalaises. C’est-à-dire que dans la même famille, on trouve aussi bien des musulmans que des chrétiens et des animistes. Or puisque les liens de parenté, j’allais dire de sang sont très forts ici, et priment sur tout le reste, nos rapports sont les meilleures. Ce qui fait qu’au Sénégal on n’a aucun complexe à être chrétien.
En 1985, lors d’une table-ronde qui avait rassemblé des membres du gouvernement sénégalais, des juristes, des musulmans, je me suis permis de dire que je ne me sentais en effet nullement complexé de vivre mon christianisme au Sénégal et que dans cet état laïc, aussi bien l’islam que le christianisme ont les coudées franches pour proposer leur foi dans la simplicité à quiconque vit dans le pays. Nos rapports sont les meilleures. Je le dis et j’insiste parce que je les vis quotidiennement. J’en veux pour preuves mes relations avec les imams, le khalif général des tidjanes (ndlr: la plus grande confrérie musulmane du pays) ainsi qu’avec d’autres chefs religieux musulmans. Ces relations sont très intimes et profondes, dans le respect de la foi des uns et des autres.
Sincèrement je ne me sens pas minoritaire en tant que croyant. J’ai emprunté ce mot à des amis qui sont de grands intellectuels musulmans pour dire que le problème ne se pose pas entre majorité ou minorité dans la foi. Dans ce pays, je suis vraiment heureux d’être là. Les gens vivent leur foi, se rendent service mutuellement. J’ai la latitude suffisante pour conforter ma foi et la proposer à tout Sénégalais sans complexe et sans agressivité. Donc les rapports entre musulmans et chrétiens sont bons et c’est sincère.
APIC: Comment et dans quels domaines se manifeste le dialogue islamo-chrétien au Sénégal?
J. Seck: Je vais vous citer un exemple. C’est le cas de Sérigne Habibou Tall dont l’arrière-grand-père était une grande figure de l’islam, puisque c’est lui qui a répandu cette religion dans le Nord du Sénégal et au Mali. S’il y a un homme qui porte le plus le dialogue, c’est lui. Depuis 1981, il effectue chaque année le pèlerinage catholique de Popanguine (ndlr: un sanctuaire situé à une quarantaine de km au sud de Dakar) en compagnie de ses amis. Il le fait par conviction. Un jour, cela se passait dans mon bureau de la cathédrale, il m’a confié que le dialogue islamo-chrétien est une nécessité que Dieu lui a demandé de conduire.
Lors de la visite du Pape Jean Paul II au Sénégal en 1992, Sérigne Habidou Tall a offert au pape comme cadeau un bélier blanc et un grand boubou blanc tissé avec des rosas sous formes de croix. Dans l’entourage du pape, ce geste a été hautement apprécié, car le mouton allait à Abraham, le père des croyants. Ce cadeau de bélier qui a honoré le Sénégal a été l’un des plus apprécié par le Jean Paul II lors de sa tournée africaine et il était d’un musulman.
Un autre exemple? Un jour, un dignitaire musulman de l’entourage du président Abdou Diouf m’a dit: « L’abbé Seck, vous m’étonnez. Je n’ai jamais vu un prêtre aider un musulman à faire le pèlerinage à la Mecque ». Chaque fois que les catholiques du Sénégal ont une fête, la communauté musulmane est là. Et vice-versa. Chaque année j’assiste à toutes les veillées religieuses musulmanes organisées par des chefs religieux. Et je peux vous affirmer qu’il y a réciprocité. On peut vraiment s’enorgueillir d’avoir le dialogue islamo-chrétien le plus avancé, non seulement en Afrique, mais sur la terre.
APIC: Qu’est ce qui fait la force de ce dialogue?
J. Seck: C’est que chacun de nous est enraciné dans ce qu’il est. Dans le groupe qui est le nôtre, il y a un mot que nous n’aimons pas beaucoup, c’est celui de tolérance religieuse. Ce mot est ambigu et restreint. A la place, nous parlons de respect de l’autre, de reconnaissance de l’autre tel qu’il est.
APIC: Dans quels domaines ce dialogue est le plus marqué?
J. Seck: Pas facile à dire. Prenons par exemple l’école privée catholique. Elle est fréquentée à 60% par les musulmans à cause de la rigueur de l’enseignement dispensé. Nous donnons ce qui est rare, une éducation en plus de l’instruction qu’on peut trouver ailleurs. Dans le domaine de la santé aussi. Tout le monde sait que les dispensaires privés catholiques sont au service de l’ensemble de la population, sans discrimination de religion, de race et d’ethnie. Bref, le dialogue entre musulmans et chrétiens est intense à tous les niveaux de la vie nationale. De la base au sommet nous dialoguons parce que c’est une question de vie ou de mort. Nous sommes condamnés au dialogue. (apic/ibc/ab)
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