Russie: Menaces sur la présence catholique en Sibérie
Novosibirsk/Bonn, 19 mars 1998 (APIC) Après quelques mois de « traitement en douceur », notamment pour rassurer la communauté internationale, les autorités russes mettent en application leur nouvelle législation religieuse. Les restrictions qu’elle impose commencent à se faire sentir. « C’est une menace pour l’existence de l’Eglise catholique en Sibérie », lance aujourd’hui Mgr Joseph Werth, administrateur apostolique pour la Sibérie.
La nouvelle législation religieuse de la Fédération de Russie, adoptée l’automne dernier après amendements par la Douma et le Conseil de la Fédération, les deux chambres du parlement russe, commence à déployer ses effets. L’an dernier, le président russe Boris Eltsine a dans un premier temps opposé son veto, puis l’administration de la présidence a négocié un compromis pour rendre la loi plus conforme à la Constitution russe et aux normes internationales. Il faut dire qu’Eltsine avait été personnellement interpellé l’été dernier par le pape Jean Paul II, les autorités américaines et des représentants de l’Union européenne.
Destinée notamment à protéger les « religions traditionnelles » de la Russie de l’invasion des sectes – souvent agitée comme un épouvantail -, vivement souhaitée par l’Eglise orthodoxe russe, elle représente une menace à peine voilée contre les petites minorités catholique et protestantes, dont la présence sur le sol russe est pluriséculaire.
« Quoi qu’il arrive, nous survivrons! »
Ouvertement engagé dans la lutte contre cette loi restrictive, Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, administrateur apostolique de la Russie d’Europe, déclarait il y a quelques mois à l’APIC: « De toute façon, quoi qu’il arrive, nous survivrons! ». Malgré le fait que législation ait été finalement amendée, il mettait d’ores et déjà en garde contre les règlements d’application de la loi: « En Russie, tout dépend de la manière dont les autorités locales en font usage. C’est une constante dans le pays: la loi est interprétée de façon très subjective au niveau local; dans maints « oblasts » et dans certaines Républiques, nous n’avons jusqu’à présent pas eu de problèmes pour faire enregistrer nos communautés; dans d’autres endroits, c’était une course d’obstacles ».
Les milieux religieux à Moscou, maintenant que le décret No 130 signé par le Premier ministre Victor Tchernomyrdine est en vigueur, craignent sa mise en application par des fonctionnaires qui n’ont souvent aucune formation religieuse leur permettant de distinguer entre une « secte » et une « religion traditionnelle ». D’autres part, les conditions d’enregistrement des communautés religieuses sont draconiennes: il faut notamment une présence attestée d’au moins 15 ans sur sol russe, ce qui est difficile à prouver pour des chrétiens des catacombes vivant leur foi de façon clandestine jusqu’à ces dernières années. Ces critères peuvent donc être facilement appliqués de façon arbitraire.
De la poudre aux yeux pour l’opinion internationale ?
Lors d’une récente tournée en Allemagne, Mgr Joseph Werth a déclaré qu’en Sibérie, l’application de la loi met en cause jusqu’à l’existence même de la présence catholique. Cette présence, qui n’a rien à voir avec un prosélytisme dirigé contre les orthodoxes russes, remonte à plusieurs siècles. Elle s’est développée dans le sillage de l’émigration ou des déportations tsaristes puis staliniennes de nationaux d’origine polonaise, lituanienne, allemande, lettone ou ukrainienne.
« Dans les premiers mois de l’entrée en vigueur, les catholiques et les autres confessions ont été bien traités. On voulait convaincre l’opinion publique internationale et le Vatican que la nouvelle législation était bonne », affirme Mgr Werth. Après cette brève période de détente, les choses se sont rapidement gâtées. L’administrateur apostolique de Sibérie mentionne à titre d’exemple le licenciement d’une enseignante de la Faculté de pédagogie de l’Université d’Omsk, à laquelle il est reproché de faire, en tant que catholique, de la « propagande et de l’agitation catholiques ».
Des visas d’une durée de trois mois
Le problème principal, pour Mgr Werth, reste la politique restrictive d’octroi de visas pour les forces pastorales en provenance de l’étranger. Actuellement, les prêtres, religieux et religieuses dont a besoin l’Eglise locale ne reçoivent plus que des visas d’une durée de trois mois. Cette situation est source d’insécurité pour les communautés. Les voyages à l’étranger sont de plus extrêmement onéreux et provoquent également une grande perte de temps, étant donné les distances énormes à parcourir. L’administration apostolique de Sibérie, en superficie, couvre près de 13 millions de km2. Quand le visa vient à expiration, les prêtres doivent quitter la Russie et solliciter un nouveau visa depuis leur pays d’origine, même s’il s’agit du Brésil… « Si cela continue ainsi, voire empire, l’existence de l’Eglise en Sibérie sera effectivement remise en question », dénonce Mgr Werth.
Etranglement économique
De fait, seuls six des 70 prêtres dépendant de l’administration apostolique de Sibérie sont au bénéfice d’un passeport russe, les 64 autres étant des étrangers. Il faut préciser que sous Staline et ses successeurs, l’Eglise catholique en Sibérie était considérée comme « liquidée », nombre de ses prêtres ayant disparu dans les goulags ou tombés sous les balles de la « Tchéka » ou du « NKVD ». Deux décennies au moins seront nécessaires pour que l’Eglise sibérienne dispose de suffisamment de prêtres pour ne plus dépendre de l’étranger. On estime que la population d’origine catholique en Sibérie est d’environ un à deux millions d’âmes et 100’000 baptisés. Mais les pratiquants sont une petite minorité: la brutale politique d’éradication religieuse menée durant 70 ans a porté ses fruits.
Mgr Werth souligne qu’après la persécution communiste, son Eglise est désormais soumise à une sorte d’étranglement économique. Et de citer à l’appui la politique de loyers exorbitants qui frappe les terrains sur lesquels se trouvent les bâtiments religieux. Quant aux églises et propriétés religieuses confisquées lors de la Révolution de 1917, seuls quatre lieux de culte ont été rendus à leurs propriétaires.
Une véritable renaissance spirituelle
Malgré la guérilla bureaucratique contre l’Eglise catholique en Sibérie, cette dernière connaît une véritable « renaissance spirituelle » et la situation pastorale s’est grandement améliorée dans le plus grand diocèse du monde (en superficie). Il y a dix ans encore, les catholiques fervents devaient parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour trouver un confesseur à l’occasion de Pâques. Aujourd’hui, la distance – il s’agit quand même de plusieurs centaines de kilomètres, étant donné la dispersion des catholiques – n’est plus un obstacle insurmontable. (apic/kap/be)
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