APIC – Reportage
De l’hôpital des religieuses à l’hôpital des médecins
Quand diététique se conjuge avec -sagesse populaire et proverbes
26 mars 1998 Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC
Sur un budget global de 210’000 francs, la maternité de Port-Royal, à Paris, a dépensé 22’000 francs pour donner chaque jour à ses patientes un ou deux verres de vin. L’histoire est vraie. Elle se passe en 1828. A une époque où la rubrique alimentation occupait 60% du budget des hôpitaux en France. On ne parlait alors pas d’explosion des coûts de la santé. Retour dans le passé, et clin d’œil à des milliers de proverbes liés à la santé et au corps. A des recettes aussi délicieusement sinon sagement appelées de grand’mère. Reportage.
« La pomme du matin tue le médecin », disait-on naguère, à une époque pas si lointaine où l’on n’était pas avare de proverbes dans les milieux populaires. Sur un corpus de 6’000 proverbes relatifs au corps récoltés à la fin du XIXe siècle, près d’un tiers traite de l’alimentation en relation avec la santé. L’histoire de l’alimentation dans les hôpitaux à travers les siècles n’est pas triste. Que ce soit avec le contenu d’une assiette tour à tour austère, abondant puis médicalisé selon les époques, ou encore en raison des tiraillements, pas très lointains, entre le corps médical et les sœurs hospitalières. Une exposition en retrace les grands moments.
Ce proverbe, parmi d’autres, figure en grandes lettres sur l’un des panneaux de l’exposition que présente ces jours le Musée de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, sur l’ »Histoire de l’alimentation à l’hôpital, du XVe au XXe siècle ». Et même avant, bien avant, au Moyen Age déjà, à une époque ou les hôpitaux étaient administrés par des communautés monastiques, avant d’être gérés, en France, jusqu’au XVIIIe siècle par les sœurs hospitalières. Soit jusqu’à la publication du décret sur le régime de laïcité pour les hôpitaux. Révolution oblige.
Du Moyen Age au XVIIIe siècle, assure Anne Nardin, Conservateur du Musée, les hôpitaux n’avaient qu’une devise: « Donner à manger à ceux qui ont faim ». Dans les établissements administrés par des communautés de sœurs ou de frères hospitaliers, l’alimentation des malades était alors gouvernée par les principes qui fondaient les pratiques alimentaires des religieux. La nourriture devait être à la fois fonctionnelle et spiritualisée: il s’agissait de réparer ses forces et de disposer à nouveau l’individu au service de Dieu. Nourrir les démunis et les malades représentait du reste l’acte de charité par excellence.
Tout chrétien, en principe, et les hospitaliers en particulier, trouvaient dans cet acte l’occasion d’incarner l’attitude chrétienne que réclame d’eux la Bible. Pour Anne Nardin, la distribution du repas prenait dans ce cadre les dimensions d’une cérémonie ritualisée, théâtralisée, qui reprenait à grande échelle, pour les rejouer, les grandes scènes inspiratrices de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Les religieuses remises à l’ordre
Au moyen Age, et pendant longtemps, la nourriture dans les hôpitaux sera austère, mais réparatrice. Parfois réparatrice… car l’observance stricte des prescriptions religieuses, de règle, pour les jours maigres ou encore la période de carême, ne plaidait pas forcément en faveur du malade affaibli. Dans un mémoire présenté en 1756 à l’administration parisienne de l’Hôtel-Dieu, les médecins écrivent: « Il est indispensable que les religieuses veuillent bien s’en rapporter à ce que les médecins prescrivent par rapport au régime ».
Il n’est pas rare, les jours de jeûne, qu’un malade se voit privé d’une nourriture adéquate. Mais rien n’est plus ordinaire non plus que les médecins soient obligés de faire retirer des pains distribués à des patients le jour même où « ils doivent être saignés du pied ». Il est tout aussi courant que des purgatifs ordonnés ne peuvent être administrés, parce que dès le matin, on a fait boire une soupe très forte et très épaisse à des malades.
Donner au malade ce qu’il réclame
La tradition hippocratique accorde certes une place importante à l’alimentation dans la santé au malade. La diététique qui, au-delà de l’alimentation, englobait « le genre de vie mené » était, chez les grecs déjà une des trois branches fondamentales de la médecine, avec la chirurgie et la pharmacologie. Tempérance et modération étaient alors les maîtres-mots de la prévention au quotidien. Ces principes, redécouverts au XVIe siècle, se diffuseront un siècle plus tard, mais au sein des élites exclusivement. Les classes populaires, elles, continueront à croire au contraire aux vertus protectrices et thérapeutiques d’une alimentation abondante.
A l’austérité du contenu des assiettes héritée du Moyen Age, succédera alors la période de « l’abondance ». On n’est pas loin de penser qu’il faut donner au malade ce qu’il réclame. Et d’autant plus si ses jours sont comptés. Dame… il fallait bien contredire une certaine image de l’hôpital. Ne disait-on pas que « la répugnance des malades à aller à l’hôpital vient de ce que le peuple croit qu’on y tue des gens en ne leur donnant pas à manger ».
Le règne des gestionnaires
Jusqu’à la fin du XVIIIe, le médecin sera plus toléré qu’admis à l’hôpital. Traduction institutionnelle du principe de charité, l’hôpital chrétien ne fait pas de l’activité de soins sa priorité. Administré par des religieux, doté par des dons et les legs d’un patrimoine propre, il fait certes ponctuellement appel à des médecins, mais refuse de se médicaliser, entraînant ainsi un perpétuel conflit avec le corps médical. Celui-ci finira cependant par imposer ses vues, en dépit de convictions et de pratiques enracinées dans une longue tradition. Le régime de la diète finit par prendre le dessus. Le premier règlement du régime alimentaire des Hospices de Paris, publié en 1806, permet de mesurer, au gramme près, la nature du changement intervenu. On s’achemine peu à peu vers la nutrition moderne, la diététique, reconnue comme telle depuis 50 ans seulement. Et encore.
« Par arrêté du 16 décembre courant, j’ai décidé que dorénavant le caramel pourrait être employé en remplacement d’oignons brûlés dans la préparation du bouillon gras. Cette décision aura pour effet une notable diminution des dépenses », peut-on lire dans une circulaire du directeur général de l’Assistance publique, publiée en 1856. Jusqu’à ce que l’institution se médicalise, et que le matériel médical – et le personnel – absorbe la majeur partie des ressources budgétaires, l’alimentation a représenté le premier poste de dépenses: 60% du budget. A titre indicatif, le budget consacré aujourd’hui par l’Hôpital cantonal de Fribourg pour les achats de l’alimentation se situe entre 1 et 1,5% et entre 4 et 5% si l’on tient compte du salaire des cuisiniers et du restaurant du personnel, sur un budget annuel global de fonctionnement de l’ordre de 135 millions de francs.
Dans le budget de 1828 de la Maternité de Port-Royal, note l’historienne Scarlett Beauvalet, sur un total de dépenses de 210’898 francs français de l’époque, la rubrique « vin » apparaît avec un montant de 21’947 francs, juste derrière la « viande » (28’500 frs) et le « pain » (28’500 frs), mais loin devant la « pharmacie », avec 10’651 frs. Précisons que la tradition populaire d’alors attribuait à la femme enceinte ou accouchée d’irrésistibles envies et lui conseillait de s’y plier. D’où la naissance de l’adage « manger pour deux », à défaut de boire pour deux sans doute.
A chacun son demi-setier
Dans tous les régimes hospitaliers, aussi loin que l’historienne remonte, on trouve du vin. A l’hôpital de Metz, au Moyen Age, on donnait à chaque malade et chaque jour sa pinte de vin calculée à la vieille mesure, soit 93 cl. L’Hôtel-Dieu, à Paris, vers la même époque, donnait un demi-setier (23cl) par repas. En 1540 et en 1580, il est même question d’un demi-setier ou demyon « tant à disner que à souper et à desjeuner ung possen (du poisson) ou la moitié d’un demi-setier ».
A vrai dire, note l’historienne, l’ancienne diététique n’était pas fondée sur l’analyse de la composition chimique des aliments et ne se souciait pas des besoins du corps en vitamines et sels minéraux. En 1606, le « Thresor de santé » proclamait étrangement au chapitre du lait et des produits dérivés comme le fromage qu’ »on ne doit le permettre aux enfants mesme à ceux qui sont persécutez par des vers ». Quelques années plus tard, un certain Abraham de la Framboisière dira des laitages que « le viel fourmage ne leur vault rien ». Hostile aux fruits, le mal nommé de la Framboisière dira des fraises, des cerises, des prunes, des raisins, des groseilles et autres fruits aqueux qu’ils se corrompent facilement dans le corps. Quant aux pruneaux, ils trouvaient grâce aux yeux du médecin non comme fruits utiles à l’alimentation mais comme médicaments.
Proverbes et sagesse populaire
Les médecins et les pharmaciens? Les proverbes populaires ne les ménagent pas pour un sou. Sagesse? Dans les milieux populaires, on assurait que « deux sous chez le boulanger rapportent plus que trois francs chez le médecin »; « il est mieux d’aller à l’hôtellerie qu’à la pharmacie »; « mieux vaut le cheval du meunier que le cul du médecin »; « il vaut mieux payer le boucher que le médecin ».
Les cerises, fruits de la vie
Le second groupe d’aliments est à la fois complémentaire et antithétique du premier. La salade, les fruits et les légumes aident le corps à évacuer: « salade bouillie allonge la vie »; « si tu veux de porter bien, dans ton estomac met un jardin. Contrairement à ce qu’on affirmait au XVIIe siècle, certains fruits comme les poires, les prunes et les cerises sont pourvues d’éléments bénéfiques. « poire bouillie sauve la vie ». Les pommes ont pour leur part un rôle calmant, soporifique: « manger une pomme le soir fait dormir ». Quant aux cerises, si décriées, elles ont pour elles ce proverbe à rendre pauvre n’importe quel médecin: « si dans toute l’année il y avait des cerises, messieurs les médecins n’iraient plus qu’en chemise ».
Tantôt piquants, tantôt caustiques ou encore empreints de bon sens, les proverbes ne manquent pas d’accorder une place aux valeurs… à l’ordre du monde s’il n’est pas bien mis à table: « le pain à l’envers, le monde sens dessus dessous. Cet ordre apparaît aussi dans le souci des détails qui président aux principes d’ingestion des aliments. « vin sur lait est souhait, lait sur vin est venin ». Des incompatibilités sont souvent soulignées: « l’ail cru et le vin pur rendent la mort sûre »; « eau et vin dans un même estomac, chien et chat dans le même sac; « ail et oignon font du poison ». Quant à la diététique populaire, elle insiste sur les horaires des repas et la succession des aliments dans le temps: « les figues le matin sont d’or, à midi d’argent et le soir de plomb ».
Dans la médecine domestique, où l’on note une très forte relation entre les recettes de cuisine et celles qui concernent la médecine, c’est la femme qui tout à la fois prépare la nourriture et les remèdes. Les livres de recettes de cuisines contenaient souvent des préparations de remèdes: tisane de santé, boissons digestives, bouillons fortifiants, mais aussi des remèdes spécifiques comme le sirop de limaces, contre la toux. La soupe à la grimace de l’époque qu’on faisait boire aux enfants à grand renfort de « une cuillère pour papa…, une cuillère pour maman…(apic/pierre rottet)
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