Bruxelles: Le directeur de Missio-Belgique de retour d’un voyage au Congo

APIC-Reportage:

« La tranquillité est revenue, mais à quel prix ? »

Bruxelles, 16 janvier 1998 (APIC) Le Père Joseph Burgraff, directeur national de « Missio-Belgique » (Oeuvres pontificales missionnaires), a effectué du 27 décembre au 10 janvier un voyage au Congo. A son retour, il a confié ses premières impressions à l’agence de presse catholique belge CIP. « Je n’ai jamais vu autant de militaires, et aussi jeunes ! », s’exclame le Père Burgraff. « Une armée d’enfants ! On les appelle les « Kadogos », les « petits ». Ils ont le regard vif et impassible. Ils ont l’oeil sur tout et gardent l’index collé à la gâchette d’une mitraillette. Tous portent une seconde arme: un fouet. Une semaine avant Noël, on les a vus arrêter un chauffeur qui bloquait un rond-point, le déculotter, le fouetter en public… puis l’abattre.

Manifestement, la consigne est que l’ordre règne, quitte à pratiquer une justice expéditive et à répandre la terreur. » « C’est le première chose qui m’a frappé à mon arrivée à Kinshasa : les temps ont changé, l’ordre règne. L’aéroport a été rafraîchi et nettoyé, au propre comme au figuré. Ce n’est plus la pagaille de ces dernières années, et l’on n’est plus assailli par toutes sortes de démarcheurs. On ne se fait plus rançonner, pas même au contrôle des visas.

« D’où viennent ces militaires ? « La plupart sont des Balubas, de la même ethnie que Laurent Kabila, le chef de l’Etat. Ils sont à présent 200’000 et l’homme fort du pays souhaite porter les effectifs à 600’000 ! Ces jeunes soldats ont reçu une formation rigoureuse dans des camps, durant quelques semaines. Il y a des camps de formation un peu partout, dont deux camps de 13’000 et de 5’000 recrues à Manono, la région d’origine du président, au centre du pays. »

Kinshasa n’est pas Lubumbashi

Comment réagit la population ? Le Père Burgraff ne peut répondre que pour les deux régions qu’il a visitées. « A Kinshasa, malgré l’immense soulagement qu’a provoqué le renversement de l’ancien régime, le nouveau gouvernement suscite peu de sympathie. Au début de cette année, Laurent Kabila a d’ailleurs été hué quand il s’est présenté devant les étudiants de l’Université. Et dès qu’il les a quittés, les étudiants se sont mis à boiter pour singer sa démarche.

« A Lubumbashi, la population est davantage satisfaite. Il faut dire que Laurent Kabila est de la région et entend la favoriser. Plusieurs changements sont déjà perceptibles. Ainsi, des centaines de taxis proposent leur minibus. Tandis qu’à Kinshasa, certaines routes restent impraticables, tant les trous sont profonds, à Lubumbashi, les trous ont été rebouchés. Des fermes et d’autres bâtiments ont été rachetés par la famille de Kabila, qui a payé en dollars. On vient aussi d’un peu partout étudier les possibilités de reprendre des sites d’exploitation minière ou des commerces. Par exemple, une société a conclu un contrat d’exploitation des terrils de Lubumbashi pour en extraire du cobalt. »

La tranquillité, mais…

Le Congo traverse actuellement une période « plutôt tranquille », observe le Père Burgraff, mais bien des problèmes restent en souffrance et risquent de s’aggraver. « Malgré la crainte qu’ils inspirent, la présence des petits soldats partout est rassurante. Le retour de la sécurité et de la stabilité est propice au travail et à une reprise de l’économie. L’inflation semble jugulée et la monnaie stabilisée au même taux de change dans tout le pays: 110’000 nouveaux zaïres contre un dollar. Les banques rouvrent leur portes. Et les Congolais peuvent aujourd’hui cultiver leurs champs avec l’espoir d’y trouver… une récolte. Ils n’ont plus à redouter des exactions de la part des militaires. Ceux-ci sont enfin payés, et très bien payés : 200 dollars par mois ! Là-bas, c’est plus que pour un professeur d’Université !

« Mais combien de temps le nouveau régime pourra-t-il tenir le coup ? Car l’armée et certains travaux publics de première nécessité absorbent une bonne partie du budget de l’Etat, puisque celui-ci n’a plus de quoi financer l’enseignement dans les deux ou trois années à venir. Et Kabila veut tripler les effectifs militaires ? Avec quel argent ?

« Dans un budget, des choix sont à faire, et les Congolais s’interrogent déjà sur les critères qui seront retenus. Serait-ce la revanche des Balubas sur les dirigeants d’hier ? C’est la crainte que plusieurs Congolais m’ont exprimée. A plusieurs reprises, m’ont-ils dit, le président a manifesté un souci particulier de caser des gens de sa famille, dont récemment un cousin, qui n’a pas laissé que des bons souvenirs comme gouverneur à Lubumbashi, et qui est devenu le numéro deux du régime. » Outre l’enseignement, un des graves problèmes aujourd’hui posé au Congo est celui de la santé », souligne le Père Burgraff. « Pour l’enseignement comme pour la santé, l’Etat mise, sans le dire, sur les structures existantes… qui n’ont tenu le coup que grâce aux efforts de la population coordonnés par l’Eglise catholique. Il n’y a plus de politique de santé publique. On dit que le Congo est un des pays d’Afrique où le sida est le plus répandu. Or, à Kinshasa, je n’ai vu qu’une seule affiche sur ce problème. Il n’est d’ailleurs pas la première urgence. La faim, le manque d’hygiène et la malaria tuent trois fois plus comme dans la région de Kongolo: à six jours de voyage de Lubumbashi, cette région, en pleine saison des pluies, est actuellement isolée de tout. Les routes sont si délabrées que la population vit recluse durant six mois.

La plupart des organisations humanitaires absentes

« A Kisangani, les inondations de ces dernières semaines ont délogé bon nombre d’habitants de leurs habitations. Or, a plupart des organisations humanitaires internationales se sont retirées de l’endroit. Alors que le manque d’hygiène a provoqué un retour du choléra, seule l’association de Coopération Médicale Missionnaire (MEMISA) a fait le choix de se rendre sur place pour apporter une aide d’urgence, d’ailleurs financée par la Coopération belge au développement.

« Je pourrais encore citer le problème du chemin de fer. Là-bas, j’aurais aimé visiter un de mes confrères spiritains. Impossible. Il n’a plus vu passer le train depuis belle lurette: le rail est trop abîmé, les machines ne sont plus en ordre et en divers endroits, les dégâts provoqués par des éboulements n’ont pas été réparés… »

Et l’Eglise catholique ?

Pour l’Eglise catholique aussi, les temps sont en train de changer. A plus d’un titre. D’abord, le nouveau régime congolais met actuellement en place un Forum constitutionnel en vue d’élaborer une nouvelle Constitution pour le pays. Il y a quelques semaines, Laurent Kabila serait aller trouver Mgr Faustin Ngabu, évêque de Goma et président de la Conférence des évêques du Congo, pour lui proposer rien moins que… la présidence du Forum. L’évêque, de son côté, aurait poliment décliné l’offre. Sur place, le directeur de Missio n’a pu obtenir confirmation de ces rumeurs. Mais le climat des relations entre l’Eglise et l’Etat lui a plutôt fait l’effet d’une « tension froide ». Ce qui, dit-il, « n’est pas un bon signe pour l’avenir. » Au sein même de l’Eglise, la vie continue, mais avec deux problèmes nouveaux, que le Père Burgraff relève comme « deux enjeux pour l’avenir ».

« Le premier est la place des laïcs. On ne s’en aperçoit pas tout de suite car ce qui frappe c’est le nombre important des candidats au ministère sacerdotal: le Séminaire St-Paul à Lubumbashi accueille actuellement 244 séminaristes, dont 126 en théologie. Les évêques ne cachent pas que leur formation les préoccupe: faute d’argent, les cours au Séminaire n’ont pas repris en septembre, mais seulement le 22 décembre ! Une partie des subsides va d’abord à l’indispensable: il faut bien manger tous les jours !

« Mais cette préoccupation risque d’en voiler une autre: que devient aujourd’hui la promotion des laïcs dans l’Eglise ? Dans le sillage du Concile Vatican II, ce fut la grande préoccupation, qui a même débouché sur la création de nouveaux ministères laïcs, comme celle des animateurs paroissiaux ou « bakambis » à Kinshasa. Aujourd’hui, il y a moins de bakambis. S’orienterait-on vers une Eglise plus cléricale ? Je n’ose le penser ».

Les Eglises d’Europe moins généreuses envers l’Afrique?

« Un autre problème me préoccupe encore plus, car il nous concerne directement. Pendant des années, l’Eglise catholique du Congo a retenu notre attention dans la mesure o| nous y avions envoyé nos missionnaires. De ces missionnaires, ils n’en reste plus beaucoup. Mais alors que cette Eglise a appris à voler de ses propres ailes et aurait aujourd’hui beaucoup à nous dire et à nous apprendre, elle a l’impression que nous l’avons oubliée. Chaque année, les collectes organisées pour le dimanche de la mission universelle sont en baisse. Et c’est un signe qui ne trompe pas l’épiscopat du Congo : est-ce que les catholiques de Belgique sont encore solidaires de leurs frères du Congo ? m’ont-ils demandé. » En rapportant cette question, le directeur de « Missio » ne peut s’empêcher d’y ajouter une supplication : « Surtout, que l’on cesse de regarder les Congolais comme des petits frères qui ont besoin de notre aide pour vivre. Il est vrai qu’ils ont besoin d’aide, mais pas parce qu’ils sont petits. Ils n’ont pas eu besoin de nous pour renverser un dictateur. Et les critiques que l’on entend là-bas sur le nouveau régime ne viennent pas d’abord des Européens, mais des Congolais ! La même chose vaut pour l’Eglise : ce n’est pas d’une assistance qu’elle a besoin, mais d’un partenariat. C’est dans cette optique qu’il convient de l’aider, mais aussi de lui demander ce qu’elle peut nous offrir. Car elle a quelque chose à nous apprendre. » (apic/cip/ba)

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