La question de la nature du Christ se pose de manière cruciale pour les Églises réformées et le dialogue œcuménique, estime Martin Hoegger, chargé de cours à la Haute École de théologie protestante de la Suisse romande (HET-PRO).
Le concile de Nicée a répondu à cette question de Jésus sur son identité en affirmant fortement et de manière non équivoque, sa divinité, à une époque où elle était niée, à des degrés divers, relève le pasteur dans une contribution à un colloque de l’Eglise évangélique réformée de suisse (EERS) en 2024.
Cette confession – contestée dès le début – est ‘l’article par lequel l’Église tient ou tombe’. Une Église sans le Dieu devenu Homme, mort et réellement ressuscité ne tiendra pas, s’il n’est pas au cœur de son identité.
« En 2025 comme en 325, la question essentielle reste de savoir si le témoignage de l’Écriture est le fondement de la divinité de Jésus. »
En 2025 comme en 325, «la question essentielle reste de savoir si le témoignage de l’Écriture est le fondement de la divinité de Jésus. La divinité de Jésus affirmée à Nicée est-elle une formulation adéquate des données du Nouveau Testament? La confession nicéenne du Christ comme Dieu est-elle le résultat d’une pieuse projection ou, par le biais du témoignage prophétique et apostolique, le fruit d’une révélation?»
Si dans les Églises catholique et orthodoxes le credo de Nicée-Constantinople a toujours prévalu, il a connu des fortunes diverses au sein des Églises issues de la Réforme
«Les réformateurs du XVI siècle ont confessé de manière unanime la foi définie à Nicée, la considérant comme une interprétation fidèle des Écritures, relève Martin Hoegger. Ils ont reconnu que les Pères de Nicée ont préservé le kérygme [contenu essentiel de la foi en Jésus-Christ NDLR]et se sont compris dans une continuité fidèle. Le dogme christologique défini à Nicée est pour eux le contexte normatif et permanent pour l’explication de la foi chrétienne.» La Confession d’Augsbourg (1530) affirme que «nos Églises enseignent en parfaite unanimité la doctrine proclamée par le Concile de Nicée».
Jean Calvin, dans la Confession de foi de la Rochelle commence par énoncer l’autorité souveraine des Écritures, puis accepte les trois Symboles, à savoir des Apôtres, de Nicée et d’Athanase, «parce qu’ils sont conformes à la Parole de Dieu». A noter que Calvin n’utilise pas l’argument de l’ancienneté, ni celui du caractère œcuménique c’est-à-dire universel du Concile de Nicée. Il estime que le langage non biblique utilisé par le symbole de Nicée est légitime. La polémique qui l’oppose à Michel Servet, qui finira sur le bûcher à Genève en 1553, pour une accusation d’arianisme, porte précisément sur la nature divine éternelle du Christ.
« À partir du siècle des Lumières, le statut normatif des confessions de foi est remis en cause dans plusieurs Églises réformées. »
À partir du siècle des Lumières, le statut normatif des confessions de foi est cependant remis en cause dans plusieurs Églises réformées. Le protestantisme substitue une conception «subjective» de la confession de foi à la conception «objective» soutenue par les réformateurs, relève le pasteur Hoegger. On conteste aux confessions leur prétention à «régler la foi» dans l’enseignement de l’Église. Il existe désormais des pasteurs qui interprètent de manière symbolique, voire rejettent la divinité de Jésus et sa résurrection.
A Genève, le pasteur Jean-Jacques Caton Chenevière (1783-1871) estime que «Les confessions de foi imposées à des Églises sont un héritage du vieux temps et de la communion de Rome qu’on doit se hâter de répudier ». Les réformés qui les maintiennent sont soupçonnés de «papisme huguenot», car ils auraient substitué à l’autorité de la Bible celle de textes humains tels les catéchismes et les confessions de foi.
Dès le milieu du 19ᵉ siècle, les Églises réformées de Suisse, par exemple, ont abandonné la récitation du Symbole des apôtres lors de la célébration du baptême et ont renoncé à demander aux pasteurs de souscrire à une confession de foi au moment de leur consécration. La confession de foi est dès lors à la libre disposition des célébrants. Même si, aujourd’hui, des confessions de foi sont incluses dans des liturgies, leur récitation communautaire est facultative.
Face à cette évolution libérale, le courant confessant s’est maintenu, avec plus ou moins de vigueur, dans les Églises réformées en Suisse et dans d’autres pays de l’hémisphère nord, bien qu’il soit aujourd’hui minoritaire.
Selon les mouvements confessants, pour se renouveler, l’Église réformée ne sera ni Konfessionslos (sans confession de foi), ni Konfessionsfrei, c’est-à-dire libre de choisir la confession de foi qui nous convient ou qui correspond à nos convictions. Pour ce courant, l’Église réformée doit être tout simplement ›confessante’.
« L’acceptation du symbole de Nicée Constantinople est devenue obligatoire pour toute Église membre du COE. »
Pour le protestantisme libéral, l’interpellation viendra aussi des autres Églises. Dès le début du mouvement œcuménique, la Conférence de Foi et Constitution à Lausanne, en 1927, inclut les deux Confessions de foi de l’Église ancienne (le symbole des apôtres et celui de Nicée-Constantinople) comme base théologique du mouvement pour l’unité des chrétiens.
80 ans plus tard, le Conseil le Conseil œcuménique des Églises (COE) a introduit le symbole de Nicée-Constantinople dans sa Constitution lors de l’Assemblée mondiale de Porto Alegre en 2006, comme un des critères déterminants d’adhésion. L’acceptation de ce symbole de foi, dans sa forme originale, est devenue obligatoire pour toute Église membre.
Le symbole de Nicée-Constantinople a enfin été accepté comme base des dialogues entre l’Église orthodoxe et les Églises réformée, luthérienne et anglicane.Tout en ne l’utilisant pas dans le culte, les Églises évangéliques et pentecôtistes déclarent que leurs croyances fondamentales sont en accord avec le symbole nicéen.
«Pour beaucoup de pasteurs et de théologiens de mon Église, Jésus n’est plus Dieu en personne. »
A l’instar du pape Benoît XVI et du cardinal Kurt Koch, préfet du dicastère pour l’unité des chrétiens, le pasteur Hoegger déplore aussi la résurgence d’un nouvel arianisme: «Pour beaucoup de pasteurs et de théologiens de mon Église, Jésus n’est plus Dieu en personne. Il n’est qu’un homme, certes habité par Dieu, inspiré, utilisé par lui, uni à lui et transparent à lui, mais non Dieu lui-même. Et sa résurrection est comprise de manière symbolique.»
En prônant une christologie d’en bas qui proclame en l’homme Jésus le libérateur, qui prend parti des pauvres et révèle la volonté «politique» de Dieu de faire disparaître la condition sociale inhumaine des plus faibles, la théologie de la libération, participe aussi à ce courant similaire à celui d’Arius au Ive siècle. niant la divinité du Christ.
Enfin, nombreux sont les chercheurs du «Jésus historique» qui concluent que la divinité de Jésus est une création de la foi de l’Église. Jésus, lui-même, n’en aurait pas eu conscience.
Or le credo de Nicée a affirmé de manière explicite la divinité de Jésus-Christ, selon les Écritures. Cet article ne doit être ni rejeté, ni facultatif, mais redevenir normatif dans les Églises réformées sinon elles risquent de disparaître, avertit le pasteur Hoegger. Pour lui, «la tolérance à l’égard de la négation de la divinité du Christ et de sa résurrection (ou leur compréhension symbolique) dans l’Église réformée détruit le fondement de l’unité chrétienne.»
« L’anniversaire du concile de Nicée nous aide à comprendre que la réconciliation aujourd’hui est aussi une réconciliation avec les chrétiens des origines. »
Il faut aussi voir que «cela n’est pas seulement l’affaire de théologiens et de pasteurs réformés, mais de tout disciple de Jésus-Christ et de toutes les Églises. Tous nous avons de la peine à témoigner du caractère unique de la personne du Christ dans le pluralisme moderne. Tous nous hésitons à annoncer Jésus ressuscité, Seigneur de notre vie, de l’Église et du monde dans le dialogue interreligieux.»
La célébration de l’anniversaire du concile de Nicée «nous aide à comprendre que la réconciliation aujourd’hui est aussi une réconciliation avec les chrétiens des origines», conclut Martin Hoegger. (cath.ch/mp)
Maurice Page
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