Inès Calstas: «Mon rêve est d’écrire des histoires de vie»

Inès Calstas dirige depuis 2012 la pastorale des milieux ouverts à Genève. Avec Des départs sans au revoir, elle signe le récit poignant de l’Ivoirienne Léontine Gnipre. C’est le premier livre de la nouvelle collection «Au coin de la rue» (Ed. Ouverture), qui entend valoriser le parcours de personnes précaires.

Jessica Da Silva / adaptation: Carole Pirker

Née dans une famille catholique, Inès Calstas vit d’abord son engagement auprès des plus démunis dans les bidonvilles de Montevideo en Uruguay, où elle grandit durant la dictature. Engagée alors dans une société d’audiovisuel, les enfants et adolescents qu’elle y rencontre racontent déjà leur histoire face à la caméra.

En Suisse, dans la pastorale de rue qu’elle ouvre en 2012 dans la paroisse de Montbrillant, près de la gare Cornavin, l’agente pastorale continue d’accompagner et d’écouter l’histoire de ceux que la vie a meurtris ou rejetés. Cette femme solaire, qui nourrissait depuis longtemps des rêves d’écriture, a fait le pas …

En octobre 2023, vous avez commencé un atelier d’écriture pour obtenir une certification de biographe. Qu’est-ce qui vous a motivé à le faire?
Ines Calstas: Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire l’histoire des gens que je côtoie au quotidien. Lors du Covid en 2020, j’ai commencé à suivre des ateliers d’écriture et on m’a demandé d’exprimer mon rêve. Le mien était d’écrire des histoires de vie. Je me suis renseignée sur ce qu’il fallait faire pour réaliser ce rêve. J’ai alors pris un temps sabbatique pour écrire mon histoire de vie, parce que je ne voyais pas comment écrire l’histoire des autres sans écrire d’abord la mienne. 

Votre première biographie, écrite durant votre formation, est celle de l’Ivoirienne Léontine Gnipre. Comment l’avez-vous choisie?
Elle est venue à la pastorale, où se réunit un cercle de parole, dans lequel les personnes se racontent un peu. Je leur ai dit que j’avais commencé cette formation, et je leur ai demandé qui serait d’accord de se prêter au jeu d’une biographie. Des deux personnes qui sont venues vers moi, c’est Léontine qui a finalement supporté les nombreux entretiens nécessaires à sa réalisation. Cela dit, pendant mon congé sabbatique, j’avais commencé à écrire d’autres histoires de vie, que j’ai présentées au directeur des éditions Ouverture, Maurice Gardiol. Il a trouvé l’idée bonne et a décidé de lancer une nouvelle collection, qu’il a intitulée «Au coin de la rue».

L’histoire de Léontine, Des départs sans au revoir, que vous vernirez le 24 mai prochain, est donc le premier livre de cette nouvelle collection. Quel est votre premier souvenir de Léontine? 
J’ai vu pour la première fois Léontine à la paroisse protestante de la Servette. C’est une belle femme qui aime porter de beaux vêtements. C’est ma première image d’elle. Et elle était extraordinaire pour le tri des habits. Elle avait le chic pour savoir à qui irait telle tenue. Elle a par exemple proposé à une bénévole de plus de 90 ans une veste rouge, en lui disant: «Mais pourquoi les vieilles femmes portent toujours des couleurs moches?» Et la bénévole, qui a reçu des compliments de ses enfants, était toute contente! Léontine est cette femme pétillante qui a ce don-là.

Pétillante malgré son parcours difficile, entre Paris, Madrid et Genève, tout en laissant une partie de sa famille en Côte d’Ivoire. Une vie faite de ruptures et de deuils, mais où la solidarité entre femmes joue un rôle essentiel…
Oui, c’est vrai, parce que Léontine est arrivée à la pastorale grâce à Angèle, une autre femme. Il faut dire que Léontine est l’image même de la sororité. Elle est capable par un choix judicieux de vêtements de mettre en valeur les autres femmes.

Léontine découvre votre pastorale grâce à Angèle, qu’elle a connue à Madrid. Les gens y viennent en fait par le bouche-à-oreille…
Exactement. Pour moi, la pastorale est comme un club privé. On y vient parce qu’on est présenté par quelqu’un. Ce n’est pas un accueil inconditionnel, mais une famille qui s’agrandit, parce qu’il y a des enfants qui naissent ou parce qu’on ramène un cousin. Mais on en est tous responsables.

On introduit quelqu’un et on s’engage parce qu’on l’a introduit, c’est ça?
Exactement. On est tous responsables pour que ça se passe bien, comme dans une famille élargie.

> Découvrez l’entretien complet dans l’émission Babel, du 18 mai à 11h, sur RTS Espace 2 <

Léontine, c’est un parcours pour en dire tant d’autres. Comment expliquez-vous la capacité de résilience de ces personnes?
C’est pour moi un mystère. Un grand théologien jésuite, Etienne Grieu, a fait sa thèse sur la question. Qu’est-ce qui nous fait tenir debout? Qu’est-ce que je ferais, moi, face à ces récits de vie, ces injustices sociales, ces situations de pauvreté, de détresse et d’indifférence sociale? Je les vois là, debout, et je ne peux que les admirer. Et cela me fait vraiment mal quand on parle d’eux sans les connaître. C’est pour cette raison qu’est née l’idée d’écrire leur histoire de vie.

Dans l’introduction de cette biographie, vous écrivez «Je découvre la fidélité au récit comme un mouvement qui ouvre des portes pour ne pas enfermer les personnes dans leur condition et dans nos préjugés. (…) Je suis désireuse d’être passeuse et toujours étrangère.»
Oui, ce texte est aussi né de mon rapport à la langue. Je suis étrangère et ma langue maternelle est l’espagnol. Mais je suis aussi étrangère quand j’utilise des mots que l’on n’utilise plus, ou quand mes enfants me disent que je n’ai pas «la réf» (la référence). En même temps, ces moments un peu déstabilisant me font sentir la vulnérabilité et me font me sentir proche de l’autre. CP

Des départs sans au revoir, Ines Calstas, Ed. Ouverture, 2025, 76p.

Une femme qui vit sa foi dans l’écoute et le partage
Figure connue à Genève pour son engagement auprès des plus démunis, Irène Calstas est née il y a 57 ans en Uruguay durant la dictature. À son arrivée à Genève, elle réussit en 2010 à réunir autorités, mendiants et population pour gérer le problème des mendiants roms et scolariser leurs enfants. Un succès qui l’a conduite à animer dès 2012 la pastorale des milieux ouverts. A 57ans, cette agente pastorale de l’Église catholique l’assure: sa foi s’est construite sur la force que les plus démunis lui transmettent. CP

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/ines-calstas-mon-reve-est-decrire-des-histoires-de-vie/