APIC – Interview
Comment fonder une théologie des religions sans brader l’Incarnation?
L’Esprit de Dieu en travail dans toutes les traditions religieuses
Jean-Claude Noyé, correspondant d’APIC à Paris
Paris, 2 novembre 1999 (APIC) Théologien dominicain de renom, Claude Geffré vient d’achever son mandat à la tête de l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem. Spécialiste du dialogue interreligieux, il essaie de fonder une théologie des religions sur une réflexion christologique approfondie qui ne brade pas le mystère de l’Incarnation. Il a récemment publié : « Profession théologien. Quelle pensée chrétienne pour le XXIe siècle? » (1). Interview.
APIC: Affirmer l’unicité du salut en Jésus-Christ – partant, une supériorité intrinsèque du christianisme – et vouloir établir un vrai dialogue avec les autres religions, n’est-ce pas une impasse ? Pourquoi le mystère du Christ serait-il au centre ?
C. G. : C’est la grande question. Une théologie chrétienne des religions ne peut pas faire l’économie du mystère central de l’Incarnation : Dieu lui-même qui vient habiter parmi les hommes en s’incarnant dans Jésus de Nazareth. Nous devons mieux interpréter ce mystère en cherchant, au sein même du paradoxe christologique – c’est-à-dire l’union de l’universel et du particulier – à articuler l’absoluité et l’unicité de Jésus-Christ et à maintenir le dialogue avec les autres religions. On ne peut dissocier le mystère du Christ comme Fils de Dieu du mystère de Jésus de Nazareth pleinement homme. Nous ne connaissons le vrai visage de Dieu qu’en Jésus-Christ. Mais il y a encore une distance entre l’identification de Dieu en Jésus-Christ et le mystère de l’identité de Dieu en Lui-même. On peut dire aussi que l’humanité de Jésus de Nazareth n’épuise pas le mystère du Christ comme homme-Dieu.
APIC : N’est-ce pas ce que dit le théologien et mystique Raymond Pannikar né d’une mère catholique espagnole et d’un père hindou?
C. G. : Effectivement il souligne à juste titre cet aspect mais il dissocie trop le mystère du Christ dans sa préexistence – un Christ universel qui surplombe l’histoire – et son incarnation au sens fort du mot. C’est précisément en tant qu’il passe par la mort et la résurrection que Jésus-Christ devient universel. Encore une fois, nous devons prendre au sérieux le paradoxe christologique si nous voulons maintenir le dogme central du credo chrétien. Sinon l’Incarnation ne serait plus, comme le dit John Hick (2), qu’une métaphore de la proximité de Jésus et de Dieu. Or, la tradition chrétienne la plus ancienne affirme bien l’identification de Jésus-Christ de Nazareth et de Celui que nous confessons comme le Verbe de Dieu, la deuxième personne de la Trinité.
APIC : Vous êtes donc résolument christocentriste ?
C. G. : En christianisme, on ne peut pas dissocier christocentrisme et théocentrisme (3). Si nous prenons au sérieux la kénose (4) de Dieu en Jésus-Christ, nous comprenons mieux que le christianisme n’est pas une religion totalitaire mais au contraire une religion placée sous le signe de l’ouverture à autrui. Son originalité, c’est d’être une religion de l’altérité, de l’ouverture à autre chose qu’elle-même, en relation avec la part de vérité et d’irréductibilité qui se trouve dans toutes les traditions religieuses. De fait, l’Esprit de Dieu est au travail non seulement dans le coeur et la conscience des hommes mais aussi dans les éléments constitutifs des traditions religieuses, elles aussi porteuses de salut et d’ouverture au mystère de la grâce.
APIC : Quels « bénéfices » attendre du dialogue interreligieux ?
C. G. : Il acquiert pleinement son sens s’il permet aux religions de faire appel ensemble à leurs ressources spirituelles pour relever les nombreux défis auxquels l’humanité est confrontée. Dixit Hans Küng : « Il n’y aura pas de paix dans le monde sans paix entre les religions . En dialoguant, les religions découvrent de nombreuses convergences entre elles au niveau de l’expérience spirituelle. Dans ce registre, on appréhende mieux que la relation de l’homme à un absolu, quelle que soit la façon de le désigner, est source d’un surcroît d’être pour l’homme, y compris dans sa relation à autrui. Ceci étant, il ne faut pas confondre le dialogue interreligieux avec l’oecuménisme confessionnel qui vise à restaurer l’unité entre les chrétiens. Nous ne recherchons pas une unité entre les religions. Je n’aime pas l’idée de complémentarité entre les religions car, comme systèmes, elles ne peuvent faire synthèse. Nous ne devons pas transiger avec nos convictions profondes et il y aura toujours, au coeur du christianisme, des vérités qui gênent. De fait, la rencontre de Dieu et de l’homme en Jésus-Chrsit est difficile à accepter par les autres religions. Mais cependant un dialogue intellectuel et spirituel poussé conduit à un enrichissement mutuel des interlocuteurs et à une nouvelle intelligence de sa propre vérité au contact de la vérité des autres.
APIC : Un exemple ?
C. G. : La doctrine de la non-dualité, familière à l’Orient mystique, que ce soit dans le bouddhisme ou l’hindouisme, nous invite à avoir une représentation moins anthropomorphique de Dieu, toujours plus grand que les représentations que nous en avons, toujours mystérieux. La foi chrétienne confesse Dieu comme personne mais aussi comme Dieu suprapersonnel, comme communication intradivine, comme don et comme contre-don. L’Asie nous invite à mieux penser la relation à un Dieu qui est déjà intérieur à moi-même, notamment dans la prière. Mais aussi à appréhender ce que peut-être une pensée paradoxale, où les oppositions sont perçues non plus comme des contradictions, ainsi que nous le faisons en Occident, mais comme des phases indissociables à l’intérieur d’un même mouvement dynamique unifié.
APIC :Le bénédictin Henri Le Saux est allé très loin dans l’intériorisation du non-dualisme védantin sans renier sa fidélité au Christ. N’est-il pas un pionnier ?
C. G : Il est allé jusqu’au bout de sa logique chrétienne et de sa logique hindoue et il a vu qu’il est difficile de les unifier. Il a eu une expérience spirituelle très forte, alimentée à ses deux sources, mais il lui a très difficile de l’exprimer d’une manière conceptuelle. Il n’a pas toujours évité des formules qui semblent à certains difficilement compatibles avec la théologie trinitaire orthodoxe.
APIC : Vous évoquez la double appartenance religieuse…
C. G. : Je la prends plutôt dans le contexte de l’inculturation. Prenons l’exemple d’un bouddhiste qui devient chrétien. Son identité chrétienne va assumer les éléments positifs antérieurs, en terme de méditation, d’ascèse corporelle, de mode de pensée, etc. Les convertis au christianisme appartenant à une culture non-occidentale – qu’ils soient Chinois, Indiens, etc. – peuvent nous aider à dégager l’essentiel du message chrétien de ses conditionnements historiques plus contingents.
APIC : L’affaiblissement de l’Eglise catholique en Occident ne s’explique-t-il pas par un manque de souffle mystique ?
C. G. : La liturgie et la prédication moyenne sont beaucoup trop axées sur les exigences morales et sociales de la vie chrétienne et n’introduisent pas assez au mystère de la rencontre avec Dieu, source de bonheur et de paix. On parle beaucoup mais on > >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>ééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééààààààààààààààààààà>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>éééééééééééééééééééééééééééééééééééé>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>éééééééééééééééééééééééèèèèèèèèèèèéééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééèèèèèèèèèéééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééé, la question des sorties d’Eglise est toujours à l’ordre du jour des débats. L’insécurité grandit dans les paroisses car les conséquences pastorales d’une telle démarche n’ont toujours pas été définies par l’autorité diocésaine.
Une personne ayant fait une déclaration de sortie a-t-elle encore droit à un mariage à l’église ou à un enterrement religieux ? Ses enfants peuvent-ils participer aux activités paroissiales ? Faut-il envisager pour ces gens là des célébrations payantes ? Autant de questions qui se posent avec toujours plus d’acuité. L’assemblée plénière en débattra à nouveau le 6 novembre en marge de la discussion sur le budget 2000.
« Bien que nous ne tenions pas de statistiques au niveau cantonal, le nombre de sorties d’Eglise n’a pas explosé depuis 1998. Il est de l’ordre de quelques dizaines par an, explique Jacques Ducarroz, secrétaire général de la Corporation ecclésiastique cantonale. « Le fait que le débat soit récurrent donne peut-être des idées à quelques-uns. Mais il est trop simple, comme le font parfois certains Conseils de paroisse, d’évoquer comme unique cause d’une sortie le fait de vouloir échapper à l’impôt. Il y a aussi des raisons de foi ou de conscience lorsqu’on ne partage plus la foi de l’Eglise ou que l’on rejette certaines de ses positions. Ou encore, comme dans le cas de la paroisse de Belfaux, lorsqu’on n’est pas d’accord avec des investissements dans un projet de construction de centre paroissial contesté. »
La question est d’avoir aujourd’hui une pratique uniforme face aux demandes de sortie. Faute de directives épiscopales, les paroisses adoptent parfois des positions différentes. Devant les interpellations successives des paroisses, le Conseil exécutif de la CEC a décidé de reprendre l’affaire en mains, souligne Jacques Ducarroz. Une rencontre prévue le 3 novembre avec le nouvel évêque, Mgr Bernard Genoud, devrait permettre d’y voir plus clair.
Au printemps 1998, le Conseil exécutif avait transmis à l’évêque une suggestion de formulation de directives à ce sujet. Mais l’autorité diocésaine n’a pas encore donné de réponse. La longue attente de 18 mois est principalement due au départ de Mgr Grab pour Coire en été 98, suivie de six mois de vacance du siège épiscopal. Mais ce n’est un secret pour personne : il n’y a pas d’unité de vue sur les conséquences pastorales des sorties d’Eglise au sein des responsables diocésains et du clergé. Les débats de l’assemblée constituante l’avaient déjà laissé apparaître, commente Jacques Ducarroz.
Les uns tiennent au lien étroit entre l’appartenance à l’Eglise catholique et l’appartenance à une paroisse ecclésiastique, insistant sur la cohérence du choix et sur la nécessité d’une solidarité financière effective, demandée par le droit canon (art 222). La possibilité d’un ’libre choix’ de l’appartenance paroissiale provoquerait non seulement des injustices, mais remet fondamentalement en cause la notion de paroisse territoriale, reconnue aussi bien par le droit canon que par le Statut ecclésiastique. Une personne qui déclare sa sortie doit être capable d’assumer avec cohérence sa décision et n’a par conséquent plus droit aux services de l’Eglise.
Pour les autres, c’est le baptême qui définit l’appartenance à l’Eglise, indépendamment de l’appartenance à toute autre structure.
Contacté par l’APIC, Mgr Bernard Genoud réserve son jugement. Il préfère ne pas prendre position avant la rencontre avec le Conseil exécutif, mais promet néanmoins une prise de position rapide lorsqu’il aura également pris les avis des vicaires épiscopaux et du Conseil presbytéral. C’est une question qu’il faut trancher, admet-il.
Pas de vraie solution
« Il n’y a pas de vraie solution, car il y a une sorte de contradiction entre le statut de l’Eglise fribourgeoise et le droit canonique, » estime l’abbé Marc Donzé, membre de l’assemblée ecclésiastique et curé de St-Pierre à Fribourg
Dans le droit canon, le concept de sortie d’Eglise n’existe pas. Le fidèle est considéré comme s’étant mis en dehors par l’apostasie, le schisme et l’hérésie et le cas échéant l’excommunication. Les sorties d’Eglise ne relèvent pas toutes de l’un de ces quatre cas de figure. Pour une personne qui se convertit à l’islam ou passe aux témoins de Jéhova, on se trouve en face d’une apostasie, mais lorsqu’il est question de la politique financière d’une paroisse, ce n’est pas le cas. Il s’agit d’un non-respect du canon 222 qui dit que le fidèle doit subvenir aux besoins de l’Eglise. Mais ce canon ne prévoit en aucun cas l’exclusion de l’Eglise pour ce motif, relève l’abbé Donzé.
Dans le cas de Belfaux, « je tiendrais la même attitude que les agents pastoraux du lieu. Si des personnes ont fait la démarche de sortie pour protester contre une décision financière, nous leur donnerons ce qu’ils demandent. Nous ne pouvons pas refuser une célébration, ni même la tarifer, nous pouvons seulement faire un appel à la solidarité. Au niveau pastoral, il appartient au curé de prendre ses responsabilités et non pas au Conseil de paroisse de lui dicter sa conduite. »
Pour le curé de St-Pierre, en général les gens sont tout de même assez cohérents. Ceux qui ont fait cette démarche, ne vont habituellement pas faire de demandes à la paroisse. « A St-Pierre, à Fribourg, nous comptons 10 à 15 sorties d’Eglises par an sur 7’100 paroissiens. Une seule personne a demandé un entretien avec le curé en vue d’une sortie et n’a d’ailleurs pas changé d’avis. »
Pour un autre système
Le statut obéit à la logique de l’impôt obligatoire pour tout le monde et de la justice distributive qui l’accompagne. Le droit canon obéit à la logique du baptême, la question du financement de l’Eglise citée par le canon 222 est marginale. La note inscrite au paragraphe sortie dans le Statut ecclésiastique est bien le signe de ce malaise. « Pour moi le problème est insoluble, relève Marc Donzé. Je crois que nous serons obligés de vivre avec cette tension. A mon avis l’évêque ne pourra pas prendre de position satisfaisante à moins d’être un virtuose de la diplomatie. »
L’abbé Donzé avait imaginé une autre solution. « Je préconisais un système à l’italienne avec une part fixe de l’impôt attribuée soit aux Eglises, soit à d’autres buts sociaux non religieux. Je crois qu’on ne peut pas en sortir. Un problème mal posé et mal résolu le restera. On ne peut pas nous imposer de dire ceux qui ont fait une déclaration de sortie de l’Eglise pour quelque motif que se soit sont considérés comme ne faisant plus partie de l’Eglise. Ceux qui le disent sont-ils aussi cohérents eux-mêmes en toutes choses ? Si nous forçons trop sur le statut fribourgeois la conséquence finale sera une séparation de l’Eglise et de l’Etat. (apic/mp)
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