Invités en Suisse pour le 25e pèlerinage aux saints d’Afrique, Mgr Sébastien Muyengo, évêque d’Uvira, au Sud-Kivu et Mgr Floribert Bashimbe, vicaire général de Bukavu, sont revenus, le 28 mai 2025 pour cath.ch, sur la situation chaotique de cette région du Congo qui souffre depuis 30 ans, loin du regard des pays occidentaux plus prompts à s’accaparer ses richesses minières qu’à travailler à résoudre les conflits.
Depuis une trentaine d’année l’est du Congo vit dans une situation de guerre dont un des enjeux principaux est l’exploitation des minerais exportés vers l’Occident.
Mgr Sebastien Muyengo: Le Congo RDC n’est pas un réservoir de matières premières à piller mais c’est un peuple qui ne demande qu’à vivre.
Mgr Floribert Bashimbe: Je ne demande qu’une chose: qu’on laisse les gens vivre! Même le pauvre a le droit à la vie. Il n’y a pas que le riche qui a le droit à la vie! On peut extraire et prendre les minerais sans tuer les gens!
Depuis quelque temps, les rebelles de l’Alliance Fleuve Congo et du mouvement du 23 mars (AFC/M23) soutenus par le Rwanda ont progressé dans le Sud Kivu. Quelle est votre situation actuelle?
SM: Depuis une quinzaine de jours nous subissons des tirs nuit et jour. Le territoire du diocèse d’Uvira est en partie occupé par les rebelles. La ville reste sous le contrôle de l’armée congolaise et n’est donc pas formellement en guerre. Mais chaque nuit, on relève dix à quinze morts. Ce n’est que pillages et désolation. Moi-même j’ai été ›visité’, mais j’ai eu la vie sauve parce qu’ils ne cherchaient pas la personne mais l’argent.
« Les militaires comme les rebelles vivent sur le dos des populations des régions qu’ils occupent. »
Il faut comprendre que les militaires comme les rebelles des bandes armées n’ont rien et vivent exclusivement sur le dos des populations des régions qu’ils occupent. Souvent les divers groupes rebelles se battent entre eux. On ignore totalement comment la situation va évoluer. L’ancien président Joseph Kabila, qui est revenu à Goma, va-t-il se mettre à la tête de la rébellion, au service du Rwanda, ou plutôt jouer un rôle de médiateur?
La ville d’Uvira n’est pour l’heure pas occupée.
SM: Cela tient aussi à l’hostilité entre les Burundais et les Rwandais. Les Burundais ont clairement fait savoir qu’ils ne laisseraient pas les rebelles s’approcher de Bujumbura qui est voisine Uvira sur l’autre la rive du lac Tanganika.
Les autorités congolaises légitimes de la province du Sud Kivu se sont repliées de Bukavu vers Uvira où elles tentent difficilement de maintenir la légalité.
A Bukavu, passée sous la coupe de l’AFC/M23, vous décrivez un chaos total.
FB: La population souffre beaucoup. Les groupes armés règnent en maîtres. Des responsables civils ont été installés, mais ce ne sont que des hommes de paille.
« Comme il n’y plus de police, ni de prisons, ni de justice, on en revient aux exécutions sommaires. »
Comme il n’y plus de police, ni de prisons, ni de justice, on en revient aux exécutions sommaires. Les miliciens pillent frappent, violent et tuent. Pour récolter de l’argent, les rebelles ont imposé des péages sur les routes pour les marchandises et les personnes et toutes sortes de taxes. Le commerce est paralysé. Il est impossible de se déplacer sans être rackettés systématiquement lors de barrages routiers. Comme les banques sont fermées, on ne trouve plus d’argent.
Les paroisses et les communautés religieuses ont subi beaucoup d’attaques.
FB: Les groupes armés pensent qu’on peut encore y trouver de l’argent. Mais nous refusons de les fermer car se serait les livrer au pillage et à la destruction.
Le chaos est tel qu’il est même difficile de distinguer les militaires des brigands armés. Les occupants utilisent volontiers des bandits pour voler. De grands voleurs qui se sont échappés des prisons ont rejoint les rangs de l’AFC/M23.
SM: Du côté du gouvernement congolais c’est presque la même chose. Comme les troupes gouvernementales s’appuient sur les milices d’autodéfense dites ›wazalendo’, elles leur ont fourni des uniformes qui sont très semblables à ceux de l’armée régulière. Cette confusion entraîne une indiscipline et une impunité quasi totales.
« Aujourd’hui, l’insécurité des déplacements menace même les travaux champêtres. »
Comment la population parvient-elle à survivre?
FB: Par chance, le Sud Kivu est une région agricole assez prospère et les gens ont pris l’habitude de vivre en autarcie. Pour le reste c’est le règne de la débrouillardise. C’est ce qui permet leur survie. Mais aujourd’hui, l’insécurité des déplacements menace même les travaux champêtres.
Outre les paroisses, l’Eglise gère aussi nombre d’écoles. Peuvent-elles fonctionner?
FB: A Bukavu, les nouvelles autorités ont forcé la réouverture des écoles. Mais les enseignants ne sont plus payés et on ignore si des examens pourront avoir lieu.
SM: A Uvira, nous avons une université catholique et comme c’est la seule institution d’enseignement supérieur de la ville nous bénéficions de l’appui des autorités. Nous continuons tant bien que mal.
Vous dites craindre une balkanisation du pays?
SM: Le risque est grand de voir la région orientale du Congo divisée en deux ou plusieurs entités indépendantes. Cela fait partie de la stratégie du Rwanda. En RDC, les amis d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui.
Dans les régions sous leur autorité, les rebelles de l’AFC/M23 ont changé les papiers officiels et fait de nouveaux tampons. Ce qui fait que les personnes de Goma ou de Bukavu ne peuvent plus se déplacer jusqu’à Uvira, car leurs documents de voyages ou d’identité ne sont désormais plus reconnus par les autorités congolaises. C’est un des aspects concrets de ce risque de balkanisation.
« Dans chaque camp il y a des fanatiques qui veulent aller jusqu’au bout. »
Quel rôle l’Eglise peut-elle jouer dans ce conflit?
SM: L’Eglise tente d’engager des médiations au niveau local et au niveau plus global, même si c’est très difficile. Elle reste un partenaire respecté. Même si je dois reconnaître qu’on y sent aussi le ›poids du sang’ (les conflits ethniques NDLR). Dans chaque camp il y a des fanatiques qui veulent aller jusqu’au bout. Le processus de négociations lancé en Angola semblait avancer. Ensuite on est allé à Doha puis les Américains sont intervenus. Mais on s’y perd. (cath.ch/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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