Abbé Lukas Hidber et Patricia Staub, assistante pastorale – Eglise St-Maurice, Appenzell
(Abbé Lukas Hidber)
A vous qui fêtez avec nous, ici dans l’église, ou à la télévision,
« Es-tu abandonnés de tous les bons esprits ? » – Cette expression n’est pas inconnue ici à Appenzell. « Mais enfin ! Qu’as-tu fait ?! » – Beaucoup d’entre nous l’ont sans doute déjà entendue ou même prononcée. Et je pose immédiatement la question : notre monde, notre société, l’être humain… sont-ils abandonnés de tous les bons esprits ?
On pourrait bien le penser, à en juger par les nouvelles régulières de destruction de la planète, de violence, d’abus, de corruption, de guerres, d’exploitation et d’oppression. Il n’y a plus que le « toujours plus, toujours plus vite » qui compte, la recherche effrénée du profit, l’individualisme ou l’égoïsme ? Quelle place reste-t-il à l’être humain en tant qu’être humain, à une communauté solidaire ? Où l’homme peut-il encore puiser sa force et trouver la paix intérieure ?
A la Pentecôte, nous ne sommes pas abandonnés
À la Pentecôte, nous ne sommes justement pas abandonnés de tous les esprits : nous célébrons la venue de l’Esprit Saint sur les disciples, sur ceux qui prient, sur les baptisés et les confirmés. Nous parlons de la naissance de l’Église, car des personnes d’origines très diverses se rassemblent alors en une communauté, là où il n’y en aurait pas autrement.
La Pentecôte, avec l’Esprit Saint, n’est pas aussi tangible que Noël. L’envoi de l’Esprit n’a pas la même évidence que la naissance d’un enfant, qui porte l’espoir, la joie, et qui signifie le début d’une vie. Et même si le livre des Actes des Apôtres – écrit par l’évangéliste Luc – décrit avec force d’images cet événement de la Pentecôte, dans la vie quotidienne, cela semble moins évident. Il en va de même pour les textes théologiques et les définitions. Que faire, par exemple, d’une phrase telle que « L’Esprit Saint est la troisième personne de la Trinité » ?
Ce qui frappe, en revanche, dans les chants de la Pentecôte et à l’Esprit Saint, c’est qu’ils ne proclament pas tant des dogmes que l’action et la puissance de l’Esprit. Ils utilisent des images issues de l’expérience humaine, comme le vent, le feu, le souffle, la rosée — des images concrètes et vivantes.
(Assistante pastorale Patricia Staub)
A vous qui fêtez avec nous,
Il y a, dans ma vie, des moments où je me demande : « Mais que faisons-nous sur cette terre ? » Comment la traitons-nous, ainsi que tout ce qui y vit ? La vie est anéantie, ses fondements sont détruits. Sommes-nous abandonnés de tous les bons esprits ? Où est ce bouton qui permettrait d’arrêter le monde, pour tout recommencer ?
Le rêve d’un changement
La poétesse allemande Hilde Domin (1909–2006), fille d’un avocat juif, étudiait la philosophie à Cologne avant de fuir l’Allemagne nazie dans les années 1930. Elle a écrit ce poème :
« Qui pourrait
lancer le monde en l’air
pour que le vent
puisse le traverser. »
Ce rêve, celui de Hilde Domin, que le monde puisse être projeté en l’air pour qu’un vent salvateur le traverse, c’est le rêve d’un changement – d’un renversement de l’immobile, de l’enraciné, du destructeur. C’est l’aspiration à une vie digne, en paix, en justice pour tous. Se complaire dans l’apitoiement et pleurer l’absence d’avenir n’est pas une option ; cela contredit l’appel de l’Évangile à agir.
Pendant un temps, l’une de mes filles rentrait de l’école en se plaignant bruyamment de tout ce qui l’avait agacée durant la journée. J’ai remarqué que moi aussi, je me mettais alors à ne voir que le négatif. J’ai donc passé un accord avec elle : dorénavant, elle devait me raconter trois choses qui l’avaient vraiment rendue heureuse ce jour-là, avant de parler du reste. Au début, elle devait réfléchir longtemps pour trouver ces choses belles de la journée. Mais après avoir énuméré les trois, quand je lui demandais : « Et alors, de quoi t’es-tu plainte aujourd’hui ? », elle répondait de plus en plus souvent : « Oh, en fait, ce n’est plus si important. »
Aiguiser notre regard pour le beau et le précieux dans nos vies
Nous n’avons pas besoin de lancer tout le monde en l’air pour laisser passer l’Esprit. Il suffit de laisser le Saint-Esprit agir à petite échelle, dans notre quotidien, et d’aiguiser notre regard pour le beau et le précieux dans nos vies. Là où nous vivons la communauté, là où nous ne cachons pas nos talents mais les mettons en œuvre avec courage et générosité – là où nous allons au-delà de nous-mêmes pour agir avec amour du prochain – là où je porte un regard bienveillant sur mes propres blessures et failles, où j’amorce un processus de guérison sans rejeter mes frustrations sur les autres – là, des galaxies entières se soulèvent, et le changement a lieu.
Quel esprit voulons-nous laisser vivre en nous et suivre ? Cette fête de la Pentecôte est une invitation à écouter attentivement quel esprit nous conduit vers la liberté, vers la paix, et vers plus de vie.
(Abbé Lukas Hidber)
Le désir de paix, celui de ne pas être abandonné de tous les bons esprits, est immense aujourd’hui. Cela se reflète sur le cierge pascal que vous voyez ici, utilisé pendant le temps de Pâques : une grande colombe de la paix y plane au-dessus du monde. Lors de son élection, le pape Léon a salué la foule en liesse avec les mots : « La paix soit avec vous ». C’est aussi la salutation d’ouverture de tout évêque lors de la messe. Cette phrase vient de l’Évangile que nous avons entendu : ce sont les premiers mots que Jésus adresse à ses disciples le soir de Pâques, alors qu’ils sont enfermés, tristes et terrifiés. Il aurait eu bien des raisons de leur faire des reproches, de leur dire : « Êtes-vous donc abandonnés de tous les bons esprits ?»
Mais Jésus leur souhaite la paix, leur offre une expérience de confiance et d’encouragement, car les disciples ressentent sa présence. Puis, il souffle sur eux et dit : « Recevez l’Esprit Saint ». Ce geste rappelle le souffle de vie insufflé à Adam par Dieu au début de la Création. Les disciples ne sont donc plus seuls – ils sont remplis du Saint-Esprit.
Les sept dons du Saint Esprit ne sont pas de vieilles formules !
Et qu’en est-il des sept dons du Saint-Esprit ? Ce ne sont pas de vieilles formules oubliées. Il faut les traduire pour aujourd’hui :
Chers frères et sœurs,
Depuis le début de la Bible, les hommes et les femmes ont expérimenté l’Esprit Saint comme une force créatrice, vivifiante, encourageante, fortifiante, ›rassemblante’, inspirante, motivante. À la Pentecôte en particulier : les gens se rencontrent, se comprennent malgré les langues différentes, sont touchés par Dieu, osent témoigner de Lui, débordent de joie, de courage, de force et d’espérance.
Aujourd’hui, c’est nous qui en sommes les témoins. À travers notre pensée, nos paroles, nos actes, montrons que le monde n’est pas abandonné de tous les bons esprits – mais bien rempli de l’Esprit. Amen.
(Traduction)
Fête de la Pentecôte
Lectures bibliques : Actes 2, 1-11; Psaume 103; Romains 8, 8-17; Jean 14, 15-26
https://www.cath.ch/homelie-tv-de-la-pentecote-8-mai-2025-jn-14-15-26/