Alors que Vincent Aubin fait visiter à cath.ch Philanthropos, le volumineux bâtiment est silencieux. La plus grande partie des étudiants est en effet réunie dans une classe pour la projection d’un film. Car la culture est un aspect important de la formation fournie dans cet institut ouvert sur le monde tout en assumant sa dimension catholique.
Philanthropos a été fondé en 2004 à Bourguillon, dans la banlieue de Fribourg, par un groupe d’universitaires et de responsables catholiques. Le complexe est principalement constitué de l’ancien pensionnat Salve Regina, tenu à l’origine par les sœurs de Baldegg. L’Institut se veut une réponse à l’appel du pape Jean Paul II à un nouveau sursaut des chrétiens dans le domaine intellectuel. Le site de l’Institut appartient à présent à une fondation du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF).
Nommé directeur en 2012, le philosophe et auteur français Fabrice Hadjadj a marqué l’établissement. Son retrait et la nomination de son successeur, Vincent Aubin, ont été annoncés en 2025. Né en 1968 à Paris, le professeur de philosophie vivant à Lyon n’est pas un inconnu dans les murs de l’institut. Fabrice Hadjadj, qu’il connaît depuis longtemps, lui avait demandé de donner des cours dès sa nomination. Depuis sept ans, Vincent Aubin vient régulièrement à Fribourg assurer un module (cours concentré sur deux jours) sur la doctrine sociale de l’Église.
« Je trouve passionnant l’exercice de rejoindre les élèves là où ils sont » – Vincent Aubin
«La dernière fois que je suis passé à Philanthropos, les responsables m’ont indiqué que le poste de directeur était vacant et qu’ils m’y verraient bien. Je ne m’étais jusqu’à ce moment-là jamais projeté dans un poste de direction, confie-t-il. Car je me suis toujours vu comme un enseignant. Mais la confiance qu’ils mettaient apparemment en moi m’a fait réfléchir. Les autres perçoivent parfois en nous des compétences qui nous échappent à nous-mêmes.»
Le fait est que Vincent Aubin s’est «toujours senti très bien» à Philanthropos. Les sept ans de cours donnés sur place ont été l’occasion «d’échanges très riches, d’une grande qualité de contacts». Des éléments qui l’ont persuadé d’accepter le poste. D’autant que sa tâche de directeur ne l’empêchera pas d’enseigner. En plus de son module sur la doctrine sociale de l’Église, il assurera en effet de nouveaux cours.
La perspective le réjouit, tant il trouve de satisfaction dans la transmission du savoir. Une vocation découverte sur les bancs d’école, face à des figures professorales inspiratrices. «Lorsque j’ai commencé dans ma jeunesse à donner des cours de latin, j’ai remarqué que j’aimais transmettre et que j’aimais le contact avec la classe. Je trouve passionnant l’exercice de rejoindre les élèves là où ils sont pour les amener autre part dans leur réflexion. Mais il faut que ce soit là où ils ont besoin d’aller, un endroit qui n’est pas le même pour tout le monde.»
Pour Vincent Aubin, la philosophie est particulièrement apte à «ouvrir de tels chemins». Agrégé en la matière, il a vécu de très enrichissantes expériences d’enseignement dans plusieurs endroits de France, dont l’IRCOM, à Lyon, mais surtout à l’École de management de Marseille (EMD), un établissement à dimension chrétienne où il a enseigné pendant quinze ans l’anthropologie.
Les étudiants y venaient d’horizons très divers. «Parmi quelques catholiques, il y avait beaucoup de non croyants, ainsi que des juifs et des musulmans.» Loin de le décourager, cet environnement très varié a stimulé Vincent Aubin. «Les cours à l’EMD m’ont donné l’occasion d’engager une réflexion sur la philosophie de l’humain, la place de l’économie dans la société, les besoins fondamentaux de l’homme… Dans des écoles où l’enseignement est souvent très formaté, la philosophie permet de prendre du recul. En me penchant sur les questions de l’économie et de l’entreprise, j’ai pu faire un pas de côté par rapport à la philosophie pure et l’intégrer dans un cadre anthropologique concret.»
La philosophie dont se nourrit Vincent Aubin est elle aussi diversifiée. Elle va des penseurs classiques tels que Platon ou Aristote à des contemporains tels qu’Elizabeth Anscombe (1919-2001) en passant par des médiévaux. «J’ai toujours aimé faire dialoguer entre elles les diverses traditions philosophiques.»
Un important bagage d’expériences et de connaissances qu’il compte bien mettre à profit à la direction de Philanthropos. Mais comment compte-t-il occuper «l’après-Hadjadj», au vu des impulsions très fortes que le philosophe a données à l’institut? «Je suis très admiratif de ce que Fabrice Hadjadj a mis en place ici, à partir de ce qui était déjà très riche. Parmi les aspects que je trouve particulièrement intéressants, je noterais un enseignement centré sur l’anthropologie, mais qui laisse la place à la théologie, l’importance de la culture et le souci de ce dialogue constant avec la pensée contemporaine. Tout cela m’a semblé un projet que j’avais envie de continuer. Je n’ai pas les talents, la culture, ni la créativité de mon prédécesseur, mais nous sommes si différents que je ne peux pas imaginer faire exactement comme lui. Je suivrai le chemin qui m’est propre.»
« Il est naturel pour un membre de l’Opus Dei de servir à la fois l’Église et la société, spécialement la jeunesse » – Vincent Aubin
Vincent Aubin est en tout cas certain de vouloir maintenir et développer les atouts principaux de Philanthropos, parmi lesquels les liens avec l’Université de Fribourg. Les étudiants de la Faculté de théologie peuvent faire valoir une année passée à Bourguillon comme une année universitaire dans leur cursus. Des professeurs de l’Université viennent aussi régulièrement donner des cours à l’institut. Des relations «qu’il faut encore renforcer», estime l’habitant de Lyon.
Mais l’ouverture au monde tient une place spéciale dans le cœur du nouveau directeur. Un engagement consolidé par son appartenance à l’Opus Dei. «Il est naturel pour ses membres de servir à la fois l’Église et la société, spécialement la jeunesse», remarque-t-il. Un mouvement où il est important d’éviter l’écueil de «l’entre-soi». «J’ai toujours eu un peu peur de la tendance que l’on peut trouver chez les catholiques, notamment en France, de vouloir se retrouver entre eux, même si je peux la comprendre. Personnellement, alors que j’ai grandi dans une famille catholique, que j’ai été dans des écoles catholiques, je n’ai jamais cherché à m’engager dans des milieux chrétiens. La vie m’y a finalement amené et je ne le regrette pas. Mais j’ai toujours été à l’aise dans mes études et mes amitiés avec des non chrétiens. Il y a un enrichissement certain à côtoyer des personnes qui ne partagent pas votre foi. Un ancien de Philanthropos a dit une fois que l’institut était un lieu ‘où l’on se forme à être pleinement chrétiens dans le monde’. J’aime beaucoup cette idée.»
Le professeur de philosophie rappelle que la quarantaine d’étudiants de plusieurs pays, principalement francophones, qui résident à Bourguillon ont l’occasion de faire cette expérience humaine forte, «avec une vie fraternelle, amicale, au sein de laquelle leur foi va pouvoir grandir et s’épanouir».
Vincent Aubin voit ainsi «la beauté, mais aussi les défis» du projet qui l’attend. Parmi ces derniers, la santé financière de l’institut. Le nouveau directeur admet que cette dernière est «un peu fragile», et que l’un des objectifs est de la stabiliser. «Cela ne me semble pas insurmontable», assure-t-il.
« À Philanthropos, les bases sont solides, donc je n’arrive pas pour tout changer! » – Vincent Aubin
Sur le plan du recrutement, alors que la dernière promotion a été satisfaisante, avec 35 étudiants, la prochaine s’annonce difficile. «Nous devons assurer des filières qui nous amènent des étudiants, ce qui est tout à fait réalisable à mon sens, car nous avons des offres qui s’adressent à un grand nombre de profils. L’un des enjeux est de comprendre comment rejoindre les jeunes qui reviennent à l’Église, en France et dans d’autres pays, qui sont toujours plus nombreux.»
Le nouveau directeur rappelle que le cursus de Philanthropos n’offre ni spécialisation ni diplôme. «L’intérêt n’est pas directement pour la vie professionnelle de la personne, mais pour sa vie tout court.» Des propositions, notamment de séminaires, sont toutefois envisagées à l’adresse du monde professionnel. Par exemple pour des personnes «qui pourraient trouver dans une philosophie éclairée par la foi, des ressources pour surmonter des problèmes, notamment en entreprise». Vincent Aubin pense aussi à des personnes dans les structures de l’Église qui voudraient réfléchir à leur management, ou à des acteurs médiatiques qui voudraient approfondir le sens de leur travail d’information.
Des idées, donc, mais «pas un programme de réformes», assure-t-il. «À Philanthropos, les bases sont solides, donc je n’arrive pas pour tout changer!» (cath.ch/rz)
Agrégé de philosophie, Vincent Aubin est un ancien élève de l’École normale supérieure, traducteur aussi bien de Thomas d’Aquin que de Wendell Berry. Il a enseigné l’anthropologie à l’EMD (Marseille) et à l’IRCOM (Lyon). Parmi ses thèmes privilégiés d’enseignement et de recherche, on peut citer les rapports de l’homme et de l’entreprise, et la notion de bien commun. Il a par ailleurs dirigé durant de nombreuses années des foyers d’étudiants à Lyon et à Paris. Il est célibataire.
Raphaël Zbinden
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