La puissance d’un geste prophétique

On se désole de la perte d’influence des Églises dans les gouvernances politiques et dans l’élaboration des lois. Je pense que si le christianisme peut changer le monde ce sera beaucoup plus à partir des gestes inspirés et inspirants que ses membres posent tout au long des siècles pour dire leur fidélité au Seigneur.

Préparant une retraite sur le ‘prendre soin’, il m’est venu en mémoire la belle figure du pasteur John Bost, le fondateur des «Asiles de la force», actuellement la Fondation John Bost qui dans ses 42 établissements accueille près de 2000 personnes de tous âges en situation de handicap psychique ou de polyhandicap.

Jean-Antoine (John) Bost (1817-1881) était un pasteur protestant né à Moutier, fils d’Ami Bost influente figure du Réveil protestant francophone. Il fonde dans le village de La Force en Dordogne une institution pour accueillir les « idiots », les « inguérissables » qui ne trouvaient pas leur place dans le système de soin de l’époque.

Ayant au départ ouvert un orphelinat pour jeunes filles, La Famille, il raconte comment il a été amené à élargir son accueil au monde du handicap mental. Il avait reçu plusieurs demandes pour ouvrir ses portes aux «idiotes», dont personne ne voulait.

«Il ne lui faut pas réfléchir longtemps pour poser le geste d’accueil qui initiera toutes les autres fondations qu’il fera»

Ne se sentant pas capable d’assumer ces prises en charge, il avait toujours refusé. Jusqu’au jour où, dans son presbytère, on amène sans crier gare une fillette dont la mère était en prison et qui avait été «ramassée sur un tas de fumier».

Que faire? La description qu’il donne du geste fondateur est touchante parce qu’elle met en scène d’une part la résistance humaine au dérangement, rationalisée et argumentée et d’autre une voix intérieure qui l’habite et qui est l’Esprit de Celui qu’il appelle son «Maître».

«Je me précipite dans le vestibule et je vois, dans un angle à terre, une masse informe, c’était l’idiote. À l’autre angle debout était ma pauvre domestique….  Et voilà dans mon délicieux presbytère, le pauvre pasteur, sa fidèle domestique et la petite idiote […] N’y avait-il pas un appel de Dieu à fonder un nouvel Asile? Mais où? Dans mon presbytère? […] Ce presbytère recevait souvent des amis en visite venant de Paris, de la Suisse ou d’Angleterre. […] Cette maison si propre, ces murs blancs si bien tenus qui excitaient l’admiration de tous, qu’allaient-ils devenir?»

«John Bost est poussé à aller au-delà de l’habituel, de l’attendu, au-delà du bon fonctionnement de l’ordre social»

Il ne lui faut pas réfléchir longtemps pour poser le geste d’accueil qui initiera toutes les autres fondations qu’il fera. Geste prophétique, c’est-à-dire inspiré et inspirant. Geste inspiré parce qu’il est conscient qu’il ne prend pas cette décision seul. «Non, dira-t-il, je venais de me mettre au service de mon Maître; je le sentais près de moi.»

Geste inspirant pour tant d’autres, mais d’abord pour lui-même avec ce mot d’ordre qu’il se donne: «Ceux que tous repoussent, je les accueillerai au nom de mon Maître.» Confronté à la violence de l’exclusion et de la stigmatisation en tant que phénomène social, la réponse inspirante de John Bost part d’une rencontre individuelle avec cette fillette, médiatisée par l’inspiration divine.

Son récit exprime bien qu’il se passe quelque chose entre le pasteur, sa gouvernante et la jeune fille, qui est l’irruption de l’énergie liée au don de la grâce. Il est poussé à aller au-delà de l’habituel, de l’attendu, au-delà du bon fonctionnement de l’ordre social (la propreté de son presbytère, les hôtes de passage qu’il pouvait y recevoir), poussé à se lancer dans l’inconnu et l’imprévu d’un vivre-ensemble.

Irruption du don de la grâce qu’on ne peut pas prévoir, qu’on ne peut que recevoir. Il n’a pas initié un plan d’action politique ou sociale, il a simplement posé un acte:  il a rendu témoignage au don gracieux. C’est probablement la seule chose que l’on puisse et doive faire. On ne prouve pas ni ne prescrit pas la grâce, on en témoigne, justement parce qu’elle est de l’ordre de la réponse paradoxale, illogique, non attendue.

Thierry Collaud

25 juin 2025

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