Grégory Solari, diacre permanent: «Notre première consécration est le baptême»

«Homme de conviction, penseur exigeant et homme de prière», comme il a été décrit lors de la célébration présidée par Mgr Morerod, Grégory Solari a été ordonné diacre permanent le 29 juin 2025, à l’église St-François-de-Sales de Genève. Que signifie ce tournant pour cet homme qui a toujours insisté sur la responsabilité baptismale?

Marié et père de trois enfants, auteur d’une thèse en philosophie sur John Henry Newman, éditeur d’Ad Solem, Grégory Solari enseigne aussi la théologie fondamentale dans la chaire que dirige le professeur Joachim Negel, à l’Université de Fribourg. Très engagé en Église, il a été ordonné diacre il y a une dizaine de jours. cath.ch l’a rencontré pour comprendre ce qui l’anime.

L’église St-François-de-Sales de Genève était pleine pour votre ordination. Comment avez-vous vécu ce moment? Avez-vous pu entrer véritablement dans la célébration?
Grégory Solari:
Oui, je l’ai vraiment vécu. J’ai eu la grâce d’avoir une semaine très calme avant. Je revenais de Paris, où je m’étais rendu pour les éditions Ad Solem, pour le marché de la poésie. Je me suis alors mis en retraite chez moi. Je suis allé tous les jours à la messe, à l’église Saint-François, et je me suis reposé. J’ai ainsi pu aborder la cérémonie de manière paisible et vivre ses différents moments, les atmosphères, les paroles prononcées.Les retours qui m’en ont été faits m’ont fait plaisir. On m’a dit que c’était beau, calme, lumineux. Je suis heureux pour la communauté paroissiale de Saint-François.

Jacques Sanou, diacre à Versoix (GE), et le nouveau diacre Grégory Solari à la sortie de l’église St-François-de-Sales de Genève, 29 juin 2025 | © Bernard Litzler

Quelle importance cette communauté revêt-elle pour vous?
Elle est le lieu-même de mon exercice diaconal. On n’est pas diacre pour une communauté, mais avec une communauté. C’est là où je vais prêcher, donner des sacrements.

Et puis, cette paroisse, c’est une longue histoire… J’y suis depuis 1986. J’ai suivi mon chemin de formation pour devenir catholique auprès d’un frère de Saint Jean, la communauté qui est au service de la paroisse, et je suis resté lié à St-François, malgré une longue interruption. J’ai vécu en effet à Paris pour des raisons professionnelles de 2008 à 2017, puis dans le canton de Vaud et je suis enfin retourné à Genève en 2019. Ma femme et moi avons miraculeusement trouvé – il n’y a pas d’autre mot sachant les difficultés pour se loger à Genève! –   un appartement à 50 mètres de Saint-François, là où nous nous étions mariés. Je me suis dit: «Il se passe quelque chose.»

Votre lettre de mission indique ‘diaconie théologique’. En quoi cela consiste?
En fait, elle me confirme dans ce que je fais depuis presque 35 ans. Je suis en effet éditeur et formateur. Mais s’y ajoute aussi tout ce qu’un diacre peut faire, notamment le ministère de prédication.

Vous êtes né à Genève, dans une famille protestante et avec des racines juives. Pourquoi avoir changé de confession?
Ma grand-mère paternelle était juive et elle avait épousé un protestant. Mon père a été à la fois circoncis et baptisé. Il a voulu la même chose pour moi. De fait, j’ai vécu dans une atmosphère culturelle familiale plus judaïsante que chrétienne. J’ai eu de bons pasteurs comme enseignants de la religion, toutefois la figure de Jésus ne me parlait pas. J’étais travaillé en revanche par mes origines juives. Je demandais à ma grand-mère: «Raconte-moi, transmets-moi quelque chose!» Mais elle était un peu sur la réserve. Mon grand-père m’a alors encouragé à me rendre à Jérusalem dans ma famille. Ce que j’ai fait en 1985. J’y ai fait deux grandes rencontres: avec mes origines et avec Jésus, comme fils d’Israël, comme juif donc. Ce Jésus abordé jusqu’ici de manière plutôt théologique est devenu une figure avec une vrai épaisseur historique, avec un ciel et une terre. Cela m’a littéralement ouvert une nouvelle voie. Je voulais vivre, avec Jésus, ma judéité.

Ce séjour vous a donc permis de concilier vos identités juive et chrétienne?
Oui, mais de retour à Genève je n’ai pas été «renvoyé» vers l’Église protestante. J’ai rencontré le libraire Claude Martingay. Il vivait sa foi de manière verticale, ancrée en Jésus, comme le chartreux qu’il aurait voulu être. C’était palpable. Et il avait en même temps une épaisseur horizontale. Il vivait de tout ce que l’Église lui permettait de vivre dans sa tradition bimillénaire. Avec lui j’ai découvert que chacun peut être lui-même dans l’Église catholique. Qu’il y a dans le catholicisme une liberté de parole, d’horizon unique.

« A Jérusalem, j’ai fait deux grandes rencontres: avec mes origines et avec Jésus, comme fils d’Israël, comme juif donc. »

Ce n’est pas antinomique avec le judaïsme, où l’amour de Dieu s’accomplit dans l’obéissance. La voix du cœur guide toujours les pas puisque c’est un cœur qui obéit à Dieu, à la parole et qui accomplit ses commandements par amour.

La feuille de route que vous avez reçue met l’accent sur le dialogue œcuménique et interreligieux, en lien avec la paroisse St-François de Sales. Votre femme, Isabelle, s’est aussi convertie du protestantisme au catholicisme. Parler d’œcuménisme quand on change de confession, n’est-ce pas contradictoire?
Il faut plutôt comprendre ce passage comme celui d’une voie ecclésiale vers une autre. Chaque confession a son génie propre. La réforme a celui de la parole, sans aucun doute! Heureusement que les réformés existent, car on se contente de tellement peu parfois dans le catholicisme de ce point de vue! Le charisme du catholicisme, non associé au terme «romain», c’est l’absence d’horizon que j’ai déjà évoquée, entendez de limite.

Le credo évoque une Église une, sainte, catholique et apostolique. Son universalité n’est pas à comprendre au sens géographique. Le propre de l’Église catholique est qu’elle ne choisit pas. Son histoire est certes marquée par des définitions, par des sélections, mais elles sont toujours mises au service d’une perspective ouverte sur tous les possibles. Cette intention préside nos dogmes, même s’ils ne sont pas toujours reçus ainsi. Ils ne finissent jamais de susciter la réflexion, d’engendrer d’autres possibles. Les dogmes sont là pour ouvrir l’exercice de pensée.

Comment vous positionnez-vous par rapport à l’Église synodale?
Qu’est-ce qui nous fait chrétiens? C’est le baptême. C’est notre première consécration. Et la synodalité, qu’est-ce que c’est? C’est justement prendre au sérieux la vie baptismale, cet appel à être responsables de nos communautés, de la Parole qui nous est transmise, de sa transmission à notre tour.

La synodalité nous appelle à perdre notre réflexe de délégation aux ministres. On a tellement insisté sur la vie religieuse, le presbytérat, l’épiscopat en tant qu’éléments décisifs de la vie chrétienne que l’on en a anémié le baptême! Nous ne sommes pas juste appelés à transformer les structures du monde, mais aussi à prendre en main notre communauté.

C’est aussi remettre en question les dogmes, comme vous l’avez souligné?
Il y a une façon de se comporter dans le catholicisme qui relève un peu de la culture de masse, qui fait l’économie de la liberté et donc de la pensée critique. L’Église, ce n’est pas cette société parfaite, sainte, immaculée mais composée de pécheurs, que l’on aime à représenter parfois. Dans sa conception originaire, l’Église, ce sont des hommes et des femmes qui se rassemblent car ils sont appelés, et qui sont ensuite renvoyés dans le monde pour porter la Parole. Répondre à un appel, c’est donc poser un acte de volonté. Je m’inscris donc dans la suite du pape François, pour qui la synodalité était une école de maturité de la foi.

« La synodalité nous appelle, en tant que baptisés, à perdre notre réflexe de délégation aux ministres. »

Vous évoquez la responsabilité de chaque baptisé. Pourquoi finalement devenir diacre? Qu’est-ce que cela amène de plus?
C’est une bonne question. Cette décision n’a pas été facile à prendre pour moi. Le baptême, comme consécration, aurait pu être suffisant. Ce que le diacre peut faire, tout baptisé le peut. Et ce qu’il fait en plus est du registre canonique.

L’idée a commencé à faire son chemin quand j’étais à Paris. J’ai toujours ressenti le désir de prêcher. Cela brûlait en moi durant les liturgies. Un dimanche des Rameaux, le curé de ma paroisse m’a demandé de lire un passage de la Bible et cela a fait une assez forte impression. Il m’a demandé alors pourquoi je n’envisageais pas le diaconat. Cela m’a interrogé et je suis entré en discernement. J’ai fait deux ans de formation à Paris, où j’ai ensuite été institué lecteur et acolyte. Arrivé en Suisse, j’ai arrêté ce cheminement car je préparais ma thèse de doctorat. Quand Newman a été canonisé, en 2019, on m’a demandé de l’évoquer et de prêcher à la basilique Notre-Dame, à Lausanne. De nouveau, il s’est passé quelque chose en moi et autour de moi. Des amis et des collègues du département de formation de l’Église m’ont remis en route.

J’ai ainsi changé de perspective peu à peu. J’ai compris le diaconat comme une manière d’être encore plus fidèle à la grâce baptismale. Le diaconat n’est pas un signe, un titre pour lui-même, il est au service de cette grâce. L’Église, certes, a son histoire théologique, sa théologie des ministères. Elle a formalisé le diaconat, mais la théologie du diaconat est encore un laboratoire.

Quelle importance donnez-vous aux rites?
Ce qui m’importe, ce n’est pas le ritualisme, mais la liturgie au sens large du terme, une question passionnelle et clivante aujourd’hui. Participer à une liturgie, c’est avant tout rendre grâce au Christ, le louer en communauté. C’est exercer l’essence baptismale: recevoir la grâce, écouter la parole, y répondre et suivre le Seigneur où il nous envoie. La liturgie, c’est une forme de matrice, une manière d’être, de penser, de se rapporter à l’autre et de vivre devant Dieu.

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Évidemment, dès lors qu’il y a un rassemblement, il faut des codes pour bien l’organiser. Mais il faut aussi de la beauté. On a le droit de souhaiter que la liturgie soit belle, que les chants soient beaux. Si nos églises attirent peu, posons-nous la question du pourquoi. Les réformés, par exemple, ont constitué un choral liturgique en anglais et en allemand superbe.

Et en français?
C’est moins le cas, peut-être parce que la Réforme en France a été stoppée beaucoup plus violemment et rapidement qu’ailleurs. Dans le catholicisme, on a manqué d’alter-ego pour nous pousser à innover. On s’est longtemps installé dans le grégorien, et la réforme liturgique du Concile Vatican II remonte déjà à 60 ans.

Je connais beaucoup de personnes attirées aujourd’hui par le grégorien, mais il faut penser à l’ensemble des paroissiens. Je les appelle donc à être créatives pour que notre vie liturgique fasse vibrer, en français, les cœurs habités par Dieu. (cath.ch/lb)

Lucienne Bittar

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