Ce faisant, il s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur Léon XIII qui, en 1891, avec l’encyclique Rerum Novarum, a inauguré la longue lignée des textes pontificaux sur les questions sociales, la dernière encyclique en date étant Fratelli tutti de François (2020).
La brève allocution de Léon XIV laisse entrevoir une pensée murie de longue date sur la nature même de la DSE et son apport au monde contemporain. Trois points méritent d’être mis en évidence à partir de ce bref discours qui néanmoins semble avoir une portée programmatique pour le pontificat qui commence.
«Ainsi comprise, la doctrine apparaît comme le produit d’une recherche, et donc d’hypothèses, de discussions, de progrès et d’échecs»
Tout d’abord, le sens du mot doctrine est précisé de façon bien surprenante. Léon XIV affirme que loin d’être un ensemble de certitudes qui enferment, il doit y avoir complémentarité entre dialogue et doctrine: «Pour beaucoup de nos contemporains, les mots ‘dialogue’ et ‘doctrine’ peuvent sembler incompatibles. Peut-être que lorsque nous entendons le mot ‘doctrine’, nous avons tendance à penser à un ensemble d’idées appartenant à une religion. L’utilisation du terme ‘doctrine’ ne nous pousse pas à la réflexion, à la remise en question et à la recherche de nouvelles alternatives.»
Or, pour ce qui est de la DSE, le terme a un autre sens, plus positif, sans lequel le dialogue lui-même n’aurait pas de sens. «Le mot ‘doctrine’ peut être synonyme de ‘science’, ‘discipline’ et ‘connaissance’». Ainsi comprise, la doctrine apparaît comme le produit d’une recherche, et donc d’hypothèses, de discussions, de progrès et d’échecs, visant à transmettre un ensemble de connaissances fiables, organisées et systématiques sur une question donnée.»
Par conséquent, selon Léon XIV, la doctrine ne saurait être ramenée à une opinion autorisée. Elle est plutôt un effort commun de recherche, souvent interdisciplinaire, de la vérité. La DSE serait donc en construction permanente, ouverte à la critique. Et le pape de conclure «… Il s’agit là d’un aspect fondamental de nos efforts pour construire une ‘culture de la rencontre’ par le dialogue et l’amitié sociale.»
Le deuxième aspect qui mérite attention est l’opposition que le pape pose entre «doctrine» et endoctrinement. Ce dernier est condamné sans appel, comme immoral parce qu’il «étouffe le jugement critique et porte atteinte à la liberté sacrée de conscience, même si elle est erronée. L’endoctrinement résiste aux notions nouvelles et rejette le mouvement, le changement ou l’évolution des idées face à des problèmes nouveaux.» Il est donc une barrière au dialogue que la DSE doit servir en tout premier lieu. Ceci conduit au troisième thème esquissé dans l’allocution du 17 juin.
«On peut se demander ce qu’il adviendra du travail de mise à jour du Compendium de la DSE mis sur les rails en 2020 par François»
La DSE doit être vue avant tout comme une méthode. «Ce qui importe, plus que nos problèmes ou leurs solutions éventuelles, c’est la manière dont nous les abordons, guidés par les critères de discernement, les principes éthiques sains et l’ouverture à la grâce de Dieu. … Lorsqu’il s’agit de questions sociales, il est plus important de savoir comment les aborder au mieux que d’apporter des réponses immédiates… Il s’agit d’apprendre à affronter les problèmes, car ceux-ci sont toujours différents, puisque chaque génération est nouvelle, et qu’elle est confrontée à de nouveaux défis, rêves et questions.»
En privilégiant le caractère dynamique de la DES, le pape mise sur la contribution potentielle de celle-ci au dialogue sur les questions de société. Pour cela il préfère mettre en avant sa dimension méthodologique plutôt que son contenu à proprement parler. À la lecture de ce bref discours de Léon XIV, on peut se demander ce qu’il adviendra du travail de mise à jour du Compendium de la DSE mis sur les rails au début des années 2020 par le pape François.
À l’époque l’idée était de livrer une version actualisée de ce document – pour 2024, vingtième anniversaire de sa publication. Il est en effet à parier que le pape actuel préfère une refonte complète du document – plus en ligne avec sa sensibilité, voire le statu quo, à une simple mise à jour superficielle. En effet, le Compendium dans sa version actuelle ressemble plus à une somme qu’à un vademecum méthodologique de discernement pour chrétiens engagés dans le monde que le nouveau pape semble avoir à l’esprit.
Paul H. Dembinski
9 juillet 2025
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