Jacques Doutaz: «L’arbre a cette 'capacité' d’unir la terre au ciel»

«Face à un arbre, nous sommes dans une autre échelle de taille et de temps», remarque Jacques Doutaz qui a quitté sa profession d’ingénieur forestier pour devenir prêtre. Dans la Bible et dans la vie chrétienne, la symbolique de l’arbre est très présente.

«Pour le forestier et le prêtre que je suis, les arbres et la forêt sont un lieu de recueillement et de ressourcement important, comme une chapelle à ciel ouvert» explique Jacques Doutaz en s’asseyant sur un banc du Bois des morts, qui domine la Sarine, à quelques centaines de mètres de l’église du Christ-Roi à Fribourg. Il y est vicaire depuis son ordination sacerdotale en juin 2024. «La forêt est un antidote à la vie trépidante de la ville. ›La nature est toujours le livre ouvert devant moi’ disait déjà saint Antoine du désert.»

Les arbres ont la capacité d’unir la terre au ciel | © Maurice Page

Les feuilles bruissent dans une légère brise qui éloigne les rumeurs de la ville. «Nous vivons toujours plus dans un monde fabriqué par l’être humain, de moins en moins en contact direct avec la dynamique de la nature. S’y replonger pour se rappeler d’où nous venons est bon.»

«Tu trouveras quelque chose de plus dans les forêts que dans les livres. Arbres et pierres t’enseigneront ce que des maîtres tu ne pourrais apprendre.» Bernard de Clairvaux

Unir la terre au ciel

«L’arbre a cette ›capacité’ d’unir la terre au ciel», relève Jacques Doutaz en désignant deux grands pins, dont les fortes racines apparentes s’ancrent dans le sol et lancent leurs fûts vers la lumière en entrecroisant leurs branches et leur couronne. «Lorsque la Bible, entre autres le Psaume 1,3, assimile l’homme à un arbre planté près d’un ruisseau et qui donne du fruit en son temps, elle nous enseigne que l’être humain est une créature matérielle comme un arbre, mais aussi spirituelle comme les anges. Et c’est unique. En nous-mêmes nous avons ainsi cette capacité d’unir la terre et le ciel.»

Signes de la bonté de Dieu

«J’aime rappeler que la Bible parle souvent de la nature comme d’un ›sacrement’ au sens littéral du terme, c’est-à-dire comme le signe d’une autre réalité et de la bonté de Dieu qui nous nourrit. C’est une notion que nous avons un peu perdue dans la société actuelle. En ce sens, les arbres et la forêt aiguisent notre sens de l’observation», note Jacques Doutaz au moment où retentit le cri aigu d’un milan qui tournoie au dessus des arbres. «Il faut cependant éviter de tomber dans l’animisme, pour nous chrétiens, Dieu se dit dans la création mais il n’est pas un grand tout formé de l’addition de toutes les particules de la création.»

Christianisme et écologie

L’encyclique du pape François Laudato’si, parue en 2015, marque un tournant dans la pensée de l’Eglise sur la sauvegarde de la création. «A sa sortie, je trouvais un peu curieuse l’idée d’une écologie ›intégrale’, l’écologie étant par définition une science holistique, englobante. Mais l’écologie devient vraiment ›intégrale’ si on comprend qu’elle concerne tout l’homme y compris sa part spirituelle.»

Pour Jacques Doutaz, opposer christianisme et écologie n’a aucun sens. L’idée selon laquelle la Bible serait responsable de l’exploitation de la planète à partir de l’injonction: ›remplissez la terre et soumettez-là’ (Gn 1,28) ne résiste pas longtemps à l’analyse. Dans le verset suivant, Dieu donne comme nourriture à l’homme ›toute plante et tout arbre qui portent leur semence.’ «Ce qui implique nécessairement la responsabilité de prendre soin de la création. Ou autrement dit: notre nourriture dépend de notre capacité à laisser subsister ce qui nous nourrit.»

L’ombre du sous-bois| © Maurice Page

Les prophètes lanceurs d’alerte

«Un peu plus loin, le récit du péché d’Adam et Eve est celui d’une cueillette indue. En faisant main-basse sur le fruit de l’arbre, ils s’imaginent auto-suffisants et se voient dieux à la place de Dieu. Une tentation qui reste omniprésente dans la société contemporaine.» Dans l’Ancien Testament, les prophètes sont souvent des ›lanceurs d’alerte’ écologiques qui dénoncent l’exploitation indue de la terre qui provoque misère et désolation. Ce penchant de l’homme à vouloir tout dominer, tout accaparer, que l’écologie actuelle dénonce, est exactement ce que la Genèse décrit.» Un roulement de tonnerre lointain vient comme confirmer ses propos.

«La terre est en deuil, elle s’épuise, le monde dépérit, il s’épuise, et le ciel dépérit en même temps que la terre. La terre est profanée par ses habitants : ils ont transgressé les lois, ils ont changé les décrets, ils ont rompu l’alliance éternelle.» Isaie 24, 4-5

Eloge de la durabilité

Avec ses cheminements bien marqués, ses bancs, ses aménagements et ses piles de grumes qui attendent leur transport vers la scierie, le Bois des morts est une forêt ›jardinée’ à l’instar de la quasi totalité des forêts du pays.

Si en Suisse, la population peut largement profiter des bienfaits de la forêt, c’est parce qu’elle possède une des lois de protection les plus strictes au monde, relève l’ancien forestier. «En effet, à cause de la surexploitation due à l’augmentation de la population, la première révolution industrielle etles  guerres napoléoniennes, la Suisse présentait, au début du XIXe siècle, un paysage localement défiguré par les coupes rases. Les autorités ont pris alors conscience de la nécessité de restaurer et de préserver l’équilibre. Le terme lui-même de durabilité vient du vocabulaire forestier. L’idée est simple et finalement très biblique. Il s’agit de ne pas couper plus que ce qui pousse.» De fait aujourd’hui en Suisse, la surface forestière progresse chaque année.

Des racines solidement ancrées dans le sol | © Maurice Page

Des arbres sacrés?

Jacques Doutaz rejette toute sacralisation des arbres qui voudrait interdire à l’homme de porter la main sur eux, pour les abattre, voire parfois simplement pour les tailler. Pour lui, la source de ce malentendu vient peut-être du fait que le cycle de vie des arbres, au moins dans nos contrées, est plus long que celui des générations humaines. Par sa taille et sa longévité, l’arbre offre une image immuable rassurante en période de changement rapide. «En fait, un arbre même centenaire, n’est jamais immortel. A y réfléchir cela nous rappelle notre propre finitude à laquelle beaucoup préfèrent éviter de se confronter. La nature et les arbres ne constituent pas une image fixe, mais plutôt un film en évolution constante.» En fin de compte l’arbre et la forêt peuvent être des éléments décisifs pour réapprendre le juste rapport au monde, à Dieu et à l’autre. (cath.ch/mp)

La vigne et le figuier

Vigne cultivée en espalier | wikimedia commons CC-BY-SA-2.0


Dans la Bible, la vigne et le figuier sont les deux espèces les plus souvent citées. La vigne en tant que plante ligneuse qui produit du fruit est bien un arbre. En outre dans l’Antiquité, elle était souvent cultivée en espaliers. On pouvait donc effectivement se tenir sous son ombre. Le figuier était volontiers associé à la vigne comme tuteur, rappelle Jacques Doutaz. La métaphore de la vigne est souvent utilisée pour le peuple de Dieu, la vie spirituelle. Pour porter de bons fruits, elle exige un soin attentif: taille, sarclage, protection contre les ravageurs et les maladies… " Mais c’est toujours Dieu qui donne la croissance: « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence: nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment», dit Jésus (Mc 4, 26-27)
Le figuier présente lui aussi un caractère particulier. Dans des pays qui ne connaissent pas le gel hivernal, les figues tardives de l’automne restent sur l’arbre et mûrissent au printemps suivant avant la récolte de l’année. Tomber sur ces figues ›hors saison’ représente une rareté appréciée comme trouver un homme juste dans le peuple élu prompt à troquer Dieu pour des idoles. Dans les commentaires rabbiniques, cette maturation échelonnée montre aussi que dans la vie spirituelle chacun mûrit à son rythme. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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