Congo démocratique: Vaste épuration ethnique en cours dans la région de Bunia

APIC – Témoignage

Le Prof. Bénézet Bujo, de Fribourg, dénonce un drame à huis clos

Jacques Berset, APIC

Bunia/Fribourg, 5 octobre 1999 (APIC) « Une vaste opération d’épuration ethnique menée par l’ethnie Lendu contre les Hemas est en cours dans la région de Bunia, en République démocratique du Congo (RDC); ce désastre humanitaire – on peut parler de « génocide » – se déroule dans un huis clos total ». Ce cri d’alarme est lancé par l’abbé Bénézet Bujo, professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg, de retour de Bunia.

« On compte déjà plus de 5’000 morts et des dizaines de milliers de réfugiés dénués de tout. Nombre d’entre eux errent dans la brousse, leurs champs et villages sont brûlés, leurs écoles, dispensaires, centres de commerce sont détruits, les troupeaux sont hachés à la machette. Ce n’est que désolation sur une distance de 150 km, comme de Fribourg à Zurich… », témoigne le Professeur Bénézet Bujo.

L’armée ougandaise, qui occupe militairement cette portion du territoire congolais, est impuissante face aux guerriers Lendus, qui se jettent dans la bataille à moitié nus, armés d’arcs, de flèches et de sagaies, aux cris de « mayi, mayi » (« eau » en langue swahili).

Drogués avec des breuvages artisanaux et victimes d’un lavage de cerveau, ils croient que les balles qui les frappent se transformeront en eau grâce à une potion magique. Rendus ainsi « invincibles » par l’eau sacrée dont ils s’aspergent lors de cérémonies religieuses animistes dirigées par un « grand prêtre » qui les consacre avant le combat, ils méprisent la mort. On parle dans certains endroits de crimes rituels, où l’on arrache le cœur des victimes…

Rentré fin septembre de la RDC, l’abbé Bujo vient de passer trois mois confiné dans la ville de Bunia, une agglomération de près de 120’000 habitants, submergée de réfugiés venant de la campagne dévastée. « Je n’ai même pas pu retourner dans la paroisse de Lita, où je suis né, à seulement 25 km à l’est de Bunia. On ne peut plus y accéder, en raison de l’insécurité et des combats ». L’abbé Bujo lance un cri d’alarme: la communauté internationale doit agir au plus vite, Bunia a un urgent besoin d’aide humanitaire, car de nombreuses personnes – surtout des enfants et des personnes âgées – meurent, faute de soins, de nourriture et de médicaments.

Alors que l’Accord de cessez-le-feu de Lusaka, signé en juillet dernier en Zambie, n’est pas encore vraiment effectif, les accrochages entre troupes gouvernementales congolaise des FAC, aidées par l’Angola et le Zimbabwe, et rebelles appuyés par les troupes ougandaises et rwandaises, se poursuivent dans un Congo démocratique (ex-Zaïre) complètement coupé en deux. D’autres « rébellions dans la rébellion », tout aussi sanglantes, voire « génocidaires », sont totalement ignorées des médias, comme celle qui ravage la campagne de Bunia, à l’extrême nord-est de la RDC, dans la région des Monts Bleus et du Lac Albert, à la frontière ougandaise.

Lendus contre Hemas: frustration sociale historique, scénario à la rwandaise

Depuis le mois de juin, témoigne le Professeur Bujo, dans le territoire de Djugu, au nord de Bunia, le sanglant conflit interethnique entre Lendus et Hemas a pris des proportions dramatiques, culminant dans d’horribles tueries qui n’épargnent ni les femmes ni les enfants. Les deux tribus rivales ont certes des coutumes différentes, mais elles parlent la même langue, le kilendu, et vivent mélangées depuis des siècles sur les mêmes terres. Peuple guerrier, les Lendus prétendent pourtant être arrivés « les premiers », au XVIème ou XVIIème siècle, mais il n’y a aucune trace écrite de cette version d’ailleurs contestée par les historiens. Pour eux, les Hemas n’ont donc aucun droit de s’installer sur ces terres.

Cibles toutes désignées des bandes armées: les commerçants de la minorité Hema (environ 300’000 âmes, soit trois fois moins que les Lendus). Les Hemas ont fait appel à l’armée ougandaise, qui a enrôlé dans ses rangs des soldats congolais souvent peu disciplinés et peu enclins à combattre les rebelles. Les guerriers Lendus s’en prennent désormais à toute la population et n’épargnent même pas les bébés Lendus si la mère est d’origine Hema.

L’abbé Bujo l’affirme: dans la zone de Djugu, toute la troupe guerrière Lendu, femmes et enfants compris, est droguée avec des préparations qui viennent du Kivu. Quand ils ont absorbé cette potion, il devient impossible de discuter avec les combattants complètement fanatisés: ils postent des jeunes filles et des femmes nues aux premiers rangs lorsqu’ils passent à l’attaque et ne craignent pas les fusils de l’armée.

Folie collective et orgie de sang

« C’est une folie collective: il y a des endroits où il a fallu fermer des séminaires et des paroisses, comme à Jiba, où tout le personnel religieux catholique a été retiré ». Les protestants sont davantage divisés, comme à Mbi, où, après des violentes tueries, la communauté « Ceca 20 » (d’origine évangélique américaine) s’est scindée en deux sur une base ethnique.

A la mi-septembre, à Dhendro, un village Hema qui s’étend sur trois kilomètres le long de la route, les guerriers Lendus ont systématiquement massacré les gens qui dormaient. La boucherie a duré de quatre heures à dix heures du matin! On a enterré officiellement 357 personnes, sans compter ceux qui ont été mis à mort dans la brousse par les guerriers qui encerclaient le village… » Aucun média ne parle de cette tragédie, Caritas n’en sait rien, fulmine l’abbé Bujo, 59 ans, qui enseigne à Fribourg depuis 1988. « Radio France Internationale (RFI) ou Radio Vatican sont pourtant en mesure d’informer sur les confirmations ou des premières communions à Kisangani, ou de parler du vol de la voiture d’un supérieur religieux à Bunia, mais on n’entend malheureusement rien sur cette tragédie qui a déjà fait des milliers de morts! » (apic/be)

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