L’Eglise de Taïwan (211288)

APIC REPORTAGE

Comment peut-on être chinois et catholique?

Taipei, 21décembre(APIC/ De notre correspondant à Hong Kong D. M.) Le

père d’un jeune étudiant de Taipei aimerait se faire catholique. Seulement

voilà, étant le frère aîné de sa génération, il doit faire ses vénérations

aux saints taoïstes avec toute sa famille chaque année au temple. Comme il

ne veut pas faire de peine à son grand-père, il ne peut se faire catholique. Son fils, lui, est baptisé, mais à chaque cérémonie annuelle, il est

tiraillé, mal à l’aise. Peut-on être catholique et vénérer les ancêtres ?

Cette petite histoire n’est pas banale à Taïwan et pourrait même synthétiser la réalité de cette Eglise jeune, avec ses problèmes, ses contradictions, son mal à s’installer dans la vie de la population. La rencontre

de la religion catholique et de la culture chinoise de Taïwan ne date vraiment que des années 50, à l’arrivée des chinois continentaux fuyant, en

pleine débâcle, le régime communiste. «Nous sommes des chrétiens jeunes,

explique le Père jésuite Mark Fang, directeur de la Faculté de théologie de

Taipei. L’esprit chrétien ne vient pas facilement, il faut une histoire

commune avec cette culture ancienne. Etre à la fois un authentique Chinois

et un authentique catholique, pour les nouveaux venus à la religion n’est

pas chose facile. Il faut une longue phase d’intégration».

Une question vient aussitôt à l’esprit: pourquoi la religion catholique

ne passe pas, ne perce pas? Quel est le mur, la barrière, les défenses si

solides qui permettent aux populations locales de rester pratiquement hermétiques au message de la Bible? Pour ce missionnaire étranger plutôt franc

et lucide, «l’Eglise, par incompréhension, rejette des gens susceptibles de

devenir catholiques car on leur demande de renier des croyances comme les

ancêtres, que l’Eglise pourrait très bien accepter». Mais ce n’est pas la

seule raison. L’Eglise est toujours perçue comme venant de l’étranger. Le

grand problème est d’adapter la Bible aux Chinois et à leur culture. «On

tente bien de le faire, dit le Père Fang, mais avant, on enseignait en latin. Le changement vers le mandarin est très récent. Cela fait à peine 20

ans que nous publions nos livres en langue chinoise».

La religion populaire reste très ancrée

De son côté, chaque dimanche, le Père Fang essaie de faire comprendre le

vrai esprit de la Bible, avec en toile de fond la culture chinoise, en utilisant les points communs entre Confucius et le Christ. «Mais je leur

précise bien, à la fin, que Confucius a ses valeurs, plus que respectables:

éducation, travail, respect, famille, mais il n’est pas mort pour nous.

Avec le Christ on va encore plus loin».

La religion populaire reste fortement ancrée dans les mentalités et les

pratiques et les gens ne ressentent pas le besoin du christianisme. «Nous

avons tenté d’inculturer, mais en vain», explique Mgr Paul Shan, évêque de

Hualien et président de la Conférence épiscopale. Regardant en arrière,

certains prêtres reconnaissent que l’évangélisation «a été trop rapide, elle n’est pas parvenue à pénétrer dans la société». Dans les années 60, les

catholiques étaient près de 15.000, ils étaient près de 280.000 dix ans

plus tard. Depuis, c’est la stabilisation à ce niveau.

«Aujourd’hui, plus des 2/3 de nos 800 prêtres ont au-delà de 60 ans,

constate encore Mgr Shan. Une génération de prêtres a sauté. Il existe un

fossé entre les jeunes et les anciens, encore secoués par Vatican II, et

les vocations sont difficiles à trouver en ces temps de grand matérialisme,

ou les gens ne pensent qu’à l’argent et si peu au spirituel». Cela dit, en

qualité de responsable de la formation des laïcs, Mgr Shan a réussi à mobiliser toutes les forces de l’Eglise à tous les niveaux afin d’engager les

gens à prendre leur responsabilité. Les gens bougent, des associations de

laïcs se sont créées, des colloques ont rassemblé prêtres, religieuses,

laïcs pour voir ensemble ce qui peut être fait pour une meilleure répartition des tâches. Des résistances existent, mais pour les jeunes prêtres, il

est aujourd’hui plus facile d’intégrer des laïcs dans leur paroisse.

Au-delà de l’argent

Il y a un éveil très rapide des laïcs, constate pour sa part le Père

Brena, un jésuite espagnol responsable de la formation des laïcs. «Mais il

faut laisser se libérer les énergies, les laisser agir. Nous avons eu une

telle perte de cette énergie qu’il faut la récupérer». Aujourd’hui, à Taipei, les laïcs volontaires travaillent dans 4 paroisses et représentent à

peu près 160 personnes. Ils ont suivi des cours de formation une fois par

semaine pendant 3 ans. Certains en redemandent car ils sentent qu’ils n’ont

pas encore le niveau.

Une autre chose, dit le Père Brena, «est que pour les Chinois, une Eglise pauvre, sans argent, signifie que Dieu ne prend pas bien soin d’elle.

Nous n’avons pas su remplir ce vide et entrer dans leur esprit en leur expliquant simplement pourquoi, au-delà de l’argent, il y a de l’espoir. D’un

autre côté, dit-il, les laïcs ne savent pas non plus comment faire au niveau quotidien, dans leur vie de chaque jour. Mais la méthode du Père Brena

est simple: «inspirer, former, tester et prendre plaisir à le faire. Et ça

marche…j’ai beaucoup d’espoir pour l’avenir, relève-t-il, car le message

à donner aux gens est fort, plus fort que l’argent qui n’est pas la force

motrice de la société». (apic/dm/pr)

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