Raphaël Zbinden, envoyé spécial à Rome
Il est environ 14h30, le lundi 28 juillet 2025, lorsque le ciel devient bleu sombre au-dessus de la basilique Saint-Jean-de-Latran, et que des éclairs rayent le ciel. Si tous s’attendent à ce que la pluie tombe, elle prend tout le monde de court par sa soudaineté et sa force. Un déluge presque biblique s’abat sur des pèlerins souvent sans pèlerine.
Un petit groupe dont fait partie cath.ch trouve refuge dans le hall d’entrée de l’évêché de Rome. L’abbé valaisan Pierre-Yves Pralong s’efforce de remonter le moral des réfugiés climatiques en mettant un peu de musique et en entonnant un chant.
Mais l’averse, bien qu’intense, est de courte durée et les pèlerins peuvent rejoindre la basilique où les attend l’évêque des jeunes, Mgr Alain de Raemy, pour une catéchèse.
Les centaines de jeunes sont partis de divers points de Romandie, très tôt le dimanche matin 27 juillet, pour rejoindre le centre hôtelier Giovanni XIII, à Frascati, au sud de Rome. Le col du Grand-Saint-Bernard passé, avec son manteau de brume froide et humide, le soleil de l’Italie réchauffe l’ambiance.
Les cars font un arrêt, à midi, pour une première messe, à l’Abbaye cistercienne de Chiaravalle della Colomba, en Émilie-Romagne. L’occasion pour les jeunes de se préparer spirituellement à leur arrivée à Rome.
«Nous sommes officiellement pèlerins!», lance le Frère Jean Bosco, curé de la paroisse saint François de Sales à Genève, dans l’église du 12e siècle. «Voyager ensemble est une expérience de vivre ensemble. Et c’est une école de la patience et de l’espérance», poursuit-il en rappelant que l’espérance est le thème de l’année jubilaire. Le défi étant «d’espérer ‘avec’ les autres, et pas seulement ‘à côté des autres’».
Le prêtre enjoint les participants à être des «passeurs» et non des «obstacles relationnels». Un pèlerinage n’est pas juste un événement touristique rappelle-t-il, mais une démarche pour retrouver l’élan d’une foi vivante. Jean Bosco demande ainsi aux jeunes de se demander: «Pour qui allez-vous prier et être porteurs d’espérance, cette semaine?»
De retour dans les cars le reste du trajet est émaillé de chants et de prières. Dans le véhicule parti de Fribourg, Albert, qui s’apprête à devenir prêtre, propose un chapelet, une initiative bien suivie par tous les passagers. «Je trouve très beau que les jeunes soient demandeurs de ces moments de recueillement, note Jean-Marc Andenmatten, responsable de la pastorale jeunesse dans l’UP fribourgeoise Sainte-Trinité (Belfaux-Courtion-Grolley).
« Lorsque l’on est en route, les cœurs s’ouvrent plus facilement »
Ce n’est pas si évident dans le monde d’aujourd’hui, où l’on a l’habitude de tout avoir instantanément.» L’agent pastoral propose régulièrement des adorations sur les pauses de midi dans sa paroisse. Il remarque l’intérêt des jeunes pour ce genre de pratiques. «Nous vivons dans une société où tout nous incite à être hors de nous-mêmes. Beaucoup de jeunes perçoivent ce manque, et ils sont avides de structures où ils peuvent retrouver le calme et le contact avec leur être profond.»
Le convoi de pèlerins arrive dans la soirée à Frascati. Le Repas pris et les chambres attribuées, ils peuvent se préparer pour l’intense programme du lendemain.
La matinée du lundi est consacrée, pour une part d’entre eux, à la visite de la Rome antique. Du Forum au Colisée en passant par la Roche tarpéienne, les jeunes qui n’avaient jamais vu les vestiges de l’ancienne cité sont impressionnés. «C’est incroyable d’être dans ces lieux dont on a entendu parler si souvent», lance Laura, 25 ans. Nombre des endroits visités sont en rapport avec l’histoire du christianisme, recelant pour beaucoup la mémoire des premiers martyrs. Des informations qu’Emmanuel Rey, responsable du service catéchèse et jeunesse pour Fribourg, s’emploie avec grande érudition à fournir aux jeunes. Cela même si certains possèdent déjà un haut niveau d’éducation dans le domaine. Vingt-cinq étudiants à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg sont notamment du voyage.
Tous les groupes se rejoignent ensuite vers midi sur la place s’étendant devant la basilique du Latran pour déguster un panini. Face à l’édifice, un groupe fait la connaissance de Raphaël, un Genevois de 27 ans venu à pied de Romainmôtier, suivant l’itinéraire de la Via Francigena. Il a fait 44 jours pour effectuer les 1200 kilomètres qui séparent l’abbatiale vaudoise de la Ville éternelle.
Un mode de voyage qui lui a laissé le temps de «se rendre disponible à Dieu» et de retrouver confiance en lui, explique-t-il. Sur le chemin, il a fait des rencontres très enrichissantes, notamment d’autres pèlerins. «Lorsque l’on est en route, les cœurs s’ouvrent plus facilement, et on peut discuter d’une manière extraordinairement franche et sincère sur des sujets de foi», assure-t-il.
Raphaël a à peine le temps de dire au-revoir à ses compatriotes romands que le ciel se déchaîne. Ce sont donc des pèlerins quelque peu humides qui assistent dans l’après-midi à la catéchèse de Mgr de Raemy.
L’évêque des jeunes commence, dans la magnifique abside aux mosaïques dorées du siège du diocèse de Rome, un approfondissement sur le thème des indulgences.
Les indulgences dans l’Église catholique sont des rémissions partielles ou totales des peines temporelles dues pour les péchés déjà pardonnés lors de la confession. À partir du XIIIe siècle, elles ont été accordées en échange de dons financiers, notamment pour financer des projets de construction d’églises. Une pratique qui a pu être vue comme une « vente du salut », détournant le message chrétien de repentance sincère.
En 1517, Martin Luther a vivement critiqué ces abus dans ses 95 thèses, ce qui a marqué le début de la Réforme protestante. L’Église catholique a toujours maintenu la doctrine des indulgences, bien qu’elle ait strictement interdit toute forme de commerce lié à leur obtention.
L’évêque des jeunes vient donc rappeler le sens profond de cette pratique liée aussi bien aux Années saintes qu’aux pèlerinages. Il relève que tout péché crée un désordre dans le monde, que l’unique pardon ne parvient pas à réparer. Pour cela, l’indulgence consiste à «profiter d’une réserve de bien qui existe et que je n’ai pas méritée, car la réparation ne peut se faire tout seul.»
Pour l’évêque il s’agit de puiser dans «le trésor que nous avons». Un fonds infini qui est notamment le Christ lui-même. «Jésus a pris sur lui le pire mal existant dans le monde. Il est entré dans la mort avec l’incroyable force de son amour, en continuant à aimer ceux qui lui ont fait du mal.» D’où une «surabondance» de l’amour que l’on peut trouver non seulement auprès du Christ, mais aussi auprès des saints et des martyrs.
Mgr de Raemy rappelle que les jubilés sont des occasions spéciales pour effectuer ces réparations dans nos vies, notamment à travers la confession et le passage d’une porte sainte. Un franchissement qui symbolise la volonté d’aller vers Dieu, malgré les étroitesses de nos cœurs.
Après une série de questions adressées à l’évêque, les jeunes traversent dans une grande solennité la Porte sainte de la basilique de Saint-Jean-de-Latran. Un moment intense pour certains, au vu des larmes qui pointent sur des visages.
La fin de journée est plus enjouée puisque les pèlerins romands sont invités par leur diocèse hôte à une adoration et une fête sur le parvis de la cathédrale de Frascati. Plusieurs autres délégations ont été conviées, dont celle du Mexique, de la Colombie ou encore de l’Argentine. Après un moment de prière, la musique commence et l’ambiance s’échauffe rapidement. Une grande partie de la foule entre peu à peu dans la danse, entraînant même des religieuses et des moines.
Vers 22h30, la musique se tait et les pèlerins rentrent tous dans leurs logements. Une vingtaine de minutes à pied pour les Romands. Sur les visages, la joie le dispute à l’épuisement après une si fervente journée. Un jeune garçon résume le sentiment général: «Et ce n’est que le début du pèlerinage!» (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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