Homélie du 3 août 2025 ( Lc 12, 13-21)

Père Luc Ruedin – Hospice du Grand-Saint-Bernard

Chers frères et sœurs, chers pèlerins, chers auditeurs,
« Vanité des vanités, tout est vanité ! » Traduisez : Vapeur des vapeurs, buée des buées, fumée des fumées, tout est fragile, tout passe, rien ne demeure. On a beau se donner de la peine, être avisé, s’y connaître, réussir… et devoir tout laisser… même à celui qui ne s’est donné aucune peine, nous assène le Qohèleth. Et le psaume de confirmer : « tu fais retourner l’homme à la poussière, dès le matin, c’est une herbe changeante : elle fleurit le matin, elle change ; le soir, elle est fanée, desséchée… ». Bref, c’est la douche froide ! À moins que… nous n’apprenions « la vraie mesure de nos jours pour que nos cœurs pénètrent la sagesse » !

L’Espérance, la vraie richesse ?


Quelle sagesse ? Sans aucun doute celle des réalités d’en haut puisque, comme nous le rappelle saint Paul, passés par la mort… nous sommes ressuscités avec le Christ. Et qu’est-ce qui nous fait expérimenter, toucher la Résurrection ? Rien moins que les trois vertus théologales ! C’est-à-dire ces forces, ces énergies venues immédiatement de Dieu : la Foi, l’Amour et… l’Espérance la petite force venue d’en haut, à laquelle, chers pèlerins, nous avons réfléchi sur la route qui nous a conduit à l’Hospice. L’Espérance, la vraie richesse ? Ecoutons ce que nous dit, en creux, l’Evangile :
Jésus part d’une question très concrète, celle de régler un héritage. Qui ne sait d’expérience que la fraternité de… la fratrie peut être mise alors à rude épreuve ? Cette question, faute d’être résolue par Jésus – il laisse cela aux instances humaines – lui permet d’élever le débat au niveau du sens de la vie, de ce qui est fondamental ! Il met alors en garde contre la cupidité, ce désir immodéré d’argent, de richesse, cette envie d’avoir toujours plus jusqu’à croire que la richesse… garantit notre vie. De fait, derrière cette position se cache une autre question : Quelle est notre vraie richesse ? Et aussi quelles sont nos façons d’être riches devant Dieu ?

Disons tout de suite que Jésus n’a rien contre les riches en tant que tels. Il est capable de louer la générosité de ceux-ci. D’ailleurs ici, il s’agit d’une richesse honnêtement acquise : celle d’un homme dont la terre a bien rapporté. Non la pointe du texte est ailleurs : que suscite en cet homme cette surabondance inespérée ?

– D’abord, il veut se mettre à l’abri des aléas. Il va constituer des réserves, et investir dans la construction de nouveaux greniers pour préserver ses richesses. Il veut donc pouvoir échapper à la peur de l’inconnu. Même si une mauvaise année survient, ses réserves seront suffisantes pour que la catastrophe ne le menace plus jamais. Face à l’imprévisible, il veut absolument se prémunir. Du coup, il se coupe de l’Espérance, cette force qui nous donne d’espérer envers et contre tout, qui nous donne d’espérer parce qu’elle vient d’Ailleurs… du Seigneur qui habite notre cœur profond.

– Ensuite, puisque le souci de la disette s’éloigne, l’homme croit alors qu’il va pouvoir en profiter : « Te voilà avec quantité de biens pour de longues années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance ». Et l’homme s’installe. Il n’a besoin de personne pour vivre. Il se suffit à lui-même. Rien de plus normal, finalement, que le calcul de cet homme riche, qui mise avant tout sur la sécurité. Quelle sécurité ? Comme si la mort n’existait pas ! Or, rappelle Jésus, il n’y a de sécurité pour personne : pour celui qui reste face à la perte d’un être cher et… face à notre propre mort ! Car la mort, nous le savons tous, se présente, obstinée, inattendue, importune, comme la limite absolue qui donne le sens le plus profond à notre vie : « L’éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie » nous dit Etty Hillesum, cette femme d’Espérance qui, parce qu’elle « savait », parce qu’elle avait fait l’expérience de l’Amour qui a vaincu la mort, a traversé, debout, l’abîme du mal.

– Enfin, Jésus n’est pas dupe. Il sait que la richesse isole. L’argent bien entendu ! Mais également toutes les richesses après lesquelles notre monde, et nous-mêmes, nous pouvons être tentés de courir : la réputation, le savoir, l’ambition, l’image que nous souhaitons donner, nos projets personnels aussi qui peuvent occuper tout notre esprit… jusqu’à nous couper des autres, voire les écarter de notre chemin… Bref, l’avoir, le valoir, le pouvoir… Tout ce qui peut nous fasciner, nous rassurer et nous tromper. Et nous savons bien que cela peut se nicher dans des tas de recoins, a priori anodins, de nos existences. Car nous sommes tous riches de quelque chose ; et tous tentés de nous y installer. Si bien installés d’ailleurs que nous nous identifions à ce que nous possédons, valons, pouvons…, nous coupant de l’essentiel : la relation avec la Vie, la vraie Vie, notre cœur profond, les autres, Dieu… Nous voici alors séparés de la joie… que donne l’Espérance qui, elle, nous ouvre à des horizons de liber

Dieu donne à l’existence tout son prix


Se prémunir face à l’inattendu, profiter à tout prix, s’installer… ? Les années passent, et l’on engrange du confort, des réussites ; on entasse des habitudes et des souvenirs, on multiplie ses assurances sur le bonheur, et à force de vivre au milieu des choses, on finit par oublier l’Espérance… ne voulant pas voir que toutes ces choses n’auront qu’un temps. Bien loin de dévaluer les réalisations et les projets de l’homme, Jésus vient rappeler, que Dieu donne à l’existence tout son prix… qui n’a de valeur que dans la mesure où nous en savons la Source et la Fin… ce que l’Espérance nous donne de pressentir… de sentir, de vivre…

Si l’on « s’enrichit pour soi-même », comme dit Jésus, rien de ce trésor ne passera dans la vie définitive ; mais si un croyant s’enrichit dans l’Espérance « en vue de Dieu », s’il met toutes les ressources de son intelligence et de son cœur au service du dessein de Dieu sur lui et sur le monde, un trésor, le nourrira ici-bas et… l’attendra auprès de Dieu. Seul ce que nous aurons vécu et donné dans l’Espérance, la Confiance et l’Amour traversera la mort. Le reste est illusoire, comme nous l’a rappelé le Livre de Qohèleth dans la première lecture.

C’est à cette aventure, à ce combat humain et spirituel, que Jésus lui-même a connu et traversé, que nous sommes invités frères et sœurs. Il s’agit bien de l’enjeu de notre propre existence, quel que soit notre choix de vie, qui fait qu’au bout du compte notre vie est réussie ou non.
Amen

18ème dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques : Qohèleth 1,2 ; 2,21-23; Psaume 89; Colossiens 3,1-5.9-11; Luc 12,13-21

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