Jessica Da Silva / Adaptation: Carole Pirker
Elle est parisienne, la petite trentaine et athée. Lui, prêtre, marin et octogénaire. Lorsque Coline Renault le rencontre au Pays basque, Mikel Epalza lui fait connaître toutes les personnes de son entourage, alors qu’il se contente de se décrire, lui, comme un pont entre les gens. Or, selon la journaliste, cet homme bourru mais à l’immense générosité a une volonté à déplacer des montagnes. Car s’il a navigué une bonne partie de sa vie, il a aussi beaucoup aidé la communauté maritime.
Né dans une famille engagée et antifasciste (voir encadré 1), sa maison accueillait déjà des réfugiés politiques. Chez lui, on priait aussi tous les jours. Et petit à petit, Jésus de Nazareth, «un copain de toujours», est devenu pour lui un ami intime. Quand il lui a dit: «Viens, suis-moi!» il y est allé et l’a trouvé. «C’est aussi simple que ça!»
Comment voyez-vous sa mission d’aumônier de la mer?
Coline Renault: les marins ont un rapport ambigu au sacré. Ils ont tendance à penser que Dieu est au bout de leurs filets, comme le dit Mikel: s’ils pêchent, ils croient en Dieu, s’ils ne pêchent pas, ils accusent Dieu de les avoir abandonnés. Il essaye donc de les accompagner à garder foi à travers le travail avec les autres. Et s’il a accepté ce projet de livre, c’est avant tout pour raconter ce qu’est la vie en mer, car les gens n’ont selon lui aucune idée de ce qui se passe au large. Il l’affirme, en mer, il faut être authentique. Il n’y a pas d’Église, pas de rites, pas de hiérarchie. Il n’y a que l’amitié. C’est ce sacrement de l’amitié qu’il développe dans ce récit.
« Il l’affirme, en mer, il faut être authentique. Il n’y a pas d’Église, pas de rites, pas de hiérarchie. »
Et quel est son rapport à la religion?
Il est très individuel et loin de l’Église. Mikel ne veut en fait pas être un évangélisateur. Il vit sa foi non pas dans la sacristie, mais dans le travail avec les autres. Sa préoccupation est d’aider ses semblables à travers la religion. Mais lorsqu’il croise par exemple des gens sur le port qui lui disent: «Mon père, on adore vos messes», Mikel déteste ça, car ce n’est pas du tout sa vision de la religion.
Quelles sont les difficultés que rencontrent les marins au quotidien?
Il y a la toute-puissance des éléments, les tempêtes, les naufrages, la pêche qui vient ou ne vient pas et les difficultés liées à la concurrence des techniques de pêche. Avec les quotas de pêche, c’est aussi un métier où l’on ne sait jamais si on va réussir ou non à gagner sa vie, un métier où l’on peut vraiment tout perdre du jour au lendemain. Il y a enfin la solitude des pêcheurs. Ils voient peu leur famille, et cela entraîne des problèmes importants comme la drogue ou l’alcoolisme.
« Avec les quotas de pêche, c’est aussi un métier où l’on ne sait jamais si on va réussir ou non à gagner sa vie. »
Mikel Epalza dit qu’il a toujours essayé d’être proche des gens «à marée basse, dans la misère». Il parle aussi des femmes de marins, ces oubliées de la pêche…
Oui, et j’en ai rencontré plusieurs grâce à lui. Ce sont des femmes admirables et très courageuses. Elles gèrent tout, toutes seules: la vie de famille, l’administration du foyer, mais aussi la vie en mer, puisqu’elles font l’intendance du bateau. Elles s’occupent des commandes de matériel, de la vente du poisson et des comptes. Mais lorsqu’un accident survient à bord, elles se retrouvent isolées et démunies. Mikel les a fait se rencontrer et s’est beaucoup investi pour faire évoluer les réglementations maritimes vers plus de sécurité.
Le deuil du marin, dont le corps est traité sans dignité, revient souvent sous votre plume…
En effet. Mikel évoque par exemple le cas du corps d’un marin qu’on avait rapatrié des mois après, dans un congélateur! Quand son épouse l’apprend, elle ne réagit pas. Elle n’a même pas le réflexe de se dire que ce n’est pas normal et qu’elle a le droit de protester! Cela s’est passé il y a quelques années, mais je pense que la réalité n’a pas changé: la dignité humaine passe loin derrière les questions financières…
C’est aussi sous son action que les pêcheurs ont commencé à ramasser les déchets qu’ils jetaient autrefois à la mer. Cela paraît évident aujourd’hui, mais ça l’était beaucoup moins il y a encore 20 ans. Et il a envie qu’on poursuive le combat. Il s’est rendu à plusieurs sommets internationaux sur la mer, à Rio de Janeiro, à Singapour, car il y a encore beaucoup à faire pour faire évoluer la dignité des conditions de travail dans le milieu de la mer.
Mikel Epaza a participé à la création de nombreuses associations du monde maritime. Quel bilan dressez-vous de son action pour les pêcheurs?
Il a beaucoup aidé les familles, dont les jeunes marins qui voulaient se lancer dans le métier et qui faisaient face à des problèmes de drogue, notamment l’hiver. Il a aussi créé à Bayonne le «Foyer Adour», un lieu d’accueil pour les marins en escale, ainsi que l’association de femmes de marins en pays basque.
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Il a aussi aidé les marins internationaux grâce à la «Mission de la Mer», un organisme chrétien mondial de soutien des gens de la mer…
Oui, il a reçu un jour un mail d’un prêtre de Cebu, aux Philippines, qui lui expliquait qu’un marin philippin, Bonifacio, avait débarqué au port de La Corogne, en Galice, après avoir contracté la malaria. Son épouse, sans nouvelles, le croyait mort. À la demande du prêtre, Mikel a téléphoné à son homme du port de La Corogne, Fernando, qui a fini par retrouver Bonifacio plongé dans le coma, avec un pronostic vital très faible. Fernando est allé le visiter tous les jours et au bout de trois mois, Bonifacio a pu retourner chez lui, auprès de son épouse et de ses deux enfants. La solidarité entre prêtres de la Mission de la Mer a porté ses fruits.
Est-ce que le milieu marin peut selon lui être une leçon pour l’Église?
Absolument, car pour lui, le sacrement de l’amitié est extrêmement important à bord: «Je crois, dit-il, que les marins peuvent apporter une spiritualité nouvelle fondée sur l’esprit d’équipage, sur une fraternité maritime universelle, une dignité ancrée dans un cœur à taille d’océan. La société peut s’inspirer de la richesse de ce vivre ensemble marin, grâce auquel, par exemple, Russes et Ukrainiens naviguent ensemble. L’Église gagnerait à accueillir ce souffle qui, pour les croyants, est fruit de l’Esprit Saint.» (cath.ch/cp/bh)
Pêcheur d’hommes, Mikel Epalza & Coline Renault, éd. des Équateurs, 2024, 208p.
Mikel Epalza
Né le 14 février 1946, à Halsou, dans les Pyrénées-Atlantiques, Mikel Epalza est le deuxième d’une famille de huit enfants. Ses parents sont des réfugiés de la guerre civile espagnole de 1936. Alors qu’il a 5 ans, sa famille s’installe à Saint-Jean-de-Luz. Après des études au séminaire, il est nommé prêtre en 1973. Sans l’aval de son supérieur, il prend aussitôt la mer avec les pêcheurs. Sanctionné, il est nommé à la paroisse Saint-Martin, où il reste pendant treize ans. Ce n’est qu’en 1985 qu’il est à nouveau nommé aumônier des marins. Durant neuf ans, il partage alors la vie des pêcheurs en mer et contribue à la création de nombreuses associations du monde maritime (« Itsas Gazteria » avec les jeunes, « Uhaina » avec les femmes des pêcheurs, la coordination européenne des marins, le foyer des marins Escale Adour de Bayonne, etc.). CP
Le credo d’un aumônier des mers
«Je crois que tout marin croit en Dieu, d’une manière ou d’une autre. Après, comment ils se situent vis-à-vis de Jésus-Christ, c’est une autre question. J’essaie de faire le lien entre ce fond de croyances et les rites qu’on célèbre. Le fait de naviguer avec eux me permet, lors des obsèques, des mariages ou des baptêmes, de parler leur langue, d’évoquer avec justesse leur vie. La liturgie doit être remplie d’eau salée, de bottes et de cirés. Sinon, elle ne parlera pas aux marins. La difficulté est de voir la foi au-delà de la religiosité, de fédérer les marins avec une communauté de chrétiens qui est à la fois de mer et de terre. J’essaie, en naviguant avec eux, de respecter cette âme de marin et de les accompagner vers l’autre rive, en avançant avec la prière.» Mikel Epalza. CP
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