Jean-Paul Vesco: «Léon XIV prêche la paix, non par calcul mais par nature»

Le cardinal Jean-Paul Vesco se dit frappé par la «tranquillité déconcertante» avec laquelle le nouveau pape a endossé la charge pontificale. Il salue par ailleurs le style de Léon XIV qui «pose le symbole d’une présence paisible» après le pontificat prophétique de François.

L’archevêque d’Alger confie par ailleurs son espoir de voir un jour Léon XIV visiter l’Algérie. Il raconte que Robert Francis Prevost est venu à deux reprises sur la terre de saint Augustin, et qu’il porte dans sa mémoire personnelle les martyrs d’Algérie.

Le 8 mai dernier, vous nous confiez avoir participé à l’élection d’un «très bon pape». Quel regard portez-vous sur les 100 premiers jours de Léon XIV?
Cardinal Jean-Paul Vesco: Au soir de l’élection, j’ai en effet ressenti une grande joie. J’avais conscience d’avoir élu le pape que le Seigneur avait par avance désigné pour son Église. J’ai eu cette pensée: «Je ne connais pas les décisions que prendra Léon XIV, je ne sais pas si je serai toujours d’accord avec elles, mais je ne remettrai jamais en doute le fait qu’il est celui que le Seigneur a choisi». Cette conviction profonde se confirme chaque jour. 

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Qu’est-ce qui vous marque dans les premiers pas de Léon XIV?
La chose qui m’a particulièrement frappé est son niveau de préparation et sa capacité à incarner la fonction immédiatement. Léon XIV est un homme des «marches hautes». Cela est tout à fait remarquable dans son parcours. Alors qu’il n’était qu’un jeune religieux augustin aux États-Unis, il est parti pour le Pérou et a découvert un nouvel univers. En devenant plus tard supérieur général des Augustins, un ordre mondial, il a franchi un nouveau cap important. Évêque de Chiclayo en 2015, il est nommé préfet du dicastère pour les Évêques seulement sept ans plus tard. À ce poste, il a très rapidement dégagé une autorité au sein de la Curie. Trois ans plus tard, il est devenu pape. Cet homme simple franchit les échelons avec une tranquillité déconcertante et le sourire rayonnant des papes.

Je dois vous avouer que, durant le conclave, quand je pensais à des candidats parmi les cardinaux, je faisais l’exercice de les imaginer devant un million de jeunes. Cet été, Léon XIV a gravi une nouvelle marche puisqu’il a réussi sa rencontre avec les centaines de milliers de jeunes venus à Rome pour le jubilé. 

« Nous le constatons: il n’est pas le pape d’un camp. » 

Cette tranquillité vous étonne-t-elle?
Non. Nous avons devant nous l’homme que nous connaissions avant. Il était réputé pour être un homme de paix et il prêche la paix, non par calcul mais par nature. Il n’était pas un idéologue ou le héro d’une sensibilité ecclésiale. Cent jours après son élection, nous le constatons: il n’est pas le pape d’un camp. 

Le style du pape Léon apparaît plus traditionnel que celui du pape François. Il assume par exemple certains vêtements de la papauté que son prédécesseur avait délaissés. Il a retrouvé la résidence d’été de Castel Gandolfo et devrait bientôt gagner le palais apostolique du Vatican. Ce retour symbolique à la tradition traduit-il une volonté d’apaisement?
Le pape François a eu des accents prophétiques. Il a contribué à dépoussiérer beaucoup de choses. Léon XIV réinvestit une partie des éléments qui avaient été abandonnés. Cela traduit sa conception naturelle de la papauté qu’il assume humblement. Mais ce n’est pas trahir François que de retourner l’été à Castel Gandolfo ou de réintégrer le palais apostolique. C’est la façon dont on habite les lieux qui compte. Tant mieux si ce ministère pétrinien peut être assumé de manière différente. Et tant mieux si cela apporte de la paix et si l’Église ne se divise pas sur des faux symboles. 

« Léon XIV réinvestit une partie des éléments qui avaient été abandonnés. »

Je note par ailleurs une grande continuité entre François et Léon XIV sur le fond. Cette proximité, qui transparaît dans ses discours, n’est pas une surprise. Un certain nombre de signaux montraient que le cardinal Prevost était apprécié du pape François. Le fait d’avoir été nommé cardinal-évêque par François en février dernier manifestait par exemple toute l’estime du pape argentin à son égard. 

Quels sont les grands défis de Léon XIV?
Au fond, je crois que les grands dossiers que devra traiter le pape Léon XIV ne sont pas ceux portant sur les différentes sensibilités ecclésiales. Je crains que le grand défi soit celui de la paix dans le monde. Aujourd’hui, qui porte une parole de paix? Les premiers mots du pape Léon XIV – «la paix soit avec vous tous»- sont prophétiques et situent bien le défi de son pontificat. 

« Il [Léon XIV] est rompu à une gouvernance institutionnelle. C’est un atout indéniable. »

Sur le plan diplomatique notamment, Léon XIV s’appuie davantage que François sur son administration. Est-ce là aussi un retour à la normale?
Là-encore, je crois qu’il faut saluer les accents prophétiques de François en matière de diplomatie. Il était capable de bousculer les codes pour porter le message de l’Église. Léon XIV n’a pas la personnalité de François. Il répond sans doute aussi à la volonté des cardinaux de retrouver une forme de gouvernance s’appuyant davantage sur la Curie romaine et la secrétairerie d’État. Le passage de Benoît XVI au pape François avait été motivé par une volonté de réformer la Curie. Le pape François a mené ce chantier. Je ne sais pas s’il a abouti d’un point de vue institutionnel mais je suis convaincu que la réforme s’est faite dans l’esprit. Léon XIV n’est pas un homme d’appareil, son expérience de missionnaire en témoigne. Mais il est rompu à une gouvernance institutionnelle. C’est un atout indéniable. 

Le pontificat de François s’est achevé en laissant ouverts de vastes chantiers comme celui de la réflexion sur la vie et la gouvernance de l’Église. Depuis son élection, Léon XIV, qui a participé au Synode sur la synodalité, n’a pas donné d’orientation particulière. Ce pape jeune doit-il prendre son temps?
Tout d’abord, je crois qu’il n’y a que dans l’Église que l’on s’autorise à qualifier de jeune une personne de 70 ans. Ensuite, il faut s’imaginer ce que c’est que d’être élu à la tête de l’Église universelle. Prendre son temps est une sagesse élémentaire, quel que soit son âge. Être pape, c’est aussi s’inscrire dans un temps long. On n’a pas à prendre de grandes décisions dans les 100 premiers jours comme le font certains politiques. Le pape François, au début de son pontificat, avait posé beaucoup de symboles. Léon XIV pose le symbole d’une présence paisible.

Sur la manière dont Léon XIV entend exercer son ministère, je retiens qu’il nous a réunis, les cardinaux, au surlendemain du conclave. Très simplement, il nous a résumé ce qu’il avait retenu durant les congrégations générales précédant l’élection. Puis il nous a demandé de nous mettre par trois, avec nos voisins, de prendre un peu de temps de silence, et de réfléchir à ce qui pourrait être ajouté. En somme, il a appliqué dès le premier jour le mode de fonctionnement du Synode sur la synodalité. Il nous a dévoilé sa méthode de travail. 

« Le pape François, au début de son pontificat, avait posé beaucoup de symboles. Léon XIV pose le symbole d’une présence paisible. »

Depuis son élection, Léon XIV cite saint Augustin dans la plupart de ses discours et homélies. S’est-il déjà rendu en Algérie, sur la terre de saint Augustin?
Il s’est rendu à deux reprises en Algérie. En 2001, il est venu assister à un colloque sur la figure de saint Augustin organisé à l’initiative du président Bouteflika et de Mgr Tessier. Il s’agissait d’un événement ambitieux de la part de la présidence algérienne qui souhaitait mettre en avant la figure universelle d’Augustin. 

En 2013, Robert Francis Prevost est revenu en Algérie pour l’inauguration de la basilique Saint-Augustin d’Annaba restaurée. Cette basilique est tenue par l’Ordre de Saint-Augustin, dont il a été le prieur de 2001 à 2013. À cette occasion, il a visité ses sœurs augustines à Alger. À Bab El Oued, il s’est rendu à l’endroit où sœur Esther et sœur Caridad, deux augustines, ont été assassinées en 1994. Elles font partie des 19 bienheureux martyrs d’Algérie. À Alger, il s’est aussi rendu dans la bibliothèque de la casbah où ont été tués les deux premiers bienheureux, sœur Paul-Hélène et le frère Henri Vergès. Ils ont été assassinés le 8 mai 1994. Le jour de son élection, le 8 mai 2025, je lui ai rappelé la concordance des dates. Les deux martyres augustines et les autres sont bien présents dans sa mémoire personnelle.

Le pape Léon XIV a reçu le président algérien le 24 juillet dernier | © Vatican media

Pourrait-il revenir prochainement en Algérie?
Nous l’espérons! L’Algérie est évidemment la terre de saint Augustin. Mais c’est aussi celle d’une petite Église qui a besoin d’être soutenue. La société algérienne l’attend aussi. Elle est fière de savoir que le pape se dit être «un fils de saint Augustin». 

Le président Tebboune a été reçu par le pape Léon au Vatican à la fin du mois de juillet, 26 ans après une rencontre entre le président Bouteflika et Jean-Paul II. Que signifie pour vous cette rencontre?
Je n’ai pas assisté à cette rencontre mais elle traduit une volonté de renforcer les liens bilatéraux. En 2022, Mgr Paul Richard Gallagher, l’un des responsables de la diplomatie vaticane, s’était rendu en Algérie à l’occasion des 50 ans des relations entre la République algérienne et le Saint-Siège. C’est une très bonne nouvelle que le dialogue se poursuive à ce niveau. (cath.ch/imedia/hl/bh/

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