La légende de Vaudai, le dieu païen des Diablerets

Ce fut une froide nuit d’hiver de l’an 520 que les habitants des rives du Rhône furent réveillés en sursaut au vacarme provenant du fleuve. Ceux qui osèrent sortir de leur maison purent voir un spectacle des plus terrifiants: Satan lui-même chevauchant une vague géante, suivi par une cohorte de démons et d’esprits malfaisants.

Descendu tout droit du massif des Diablerets, dans les Alpes aujourd’hui vaudoises, il avait pour objectif la destruction des premières implantations chrétiennes établies à St-Maurice, sur les rives du Rhône.

Ce maître des enfers-là portait le nom particulier de ‘Vaudai’. Selon Alfred Cérésole, qui compte cette histoire dans Légendes des Alpes vaudoises (1885), il s’agissait bien de l’un des nombreux noms du diable, même s’il se rattachait probablement à des figures mythologiques pré-chrétiennes, telles que Voldanus, dieu celte du feu, ou Wodan, divinité germanique de la chasse et des combats. À l’instar de bien d’autres contes et légendes d’Europe occidentale, le mythe de Vaudai personnifie la lutte engagée dans les premiers siècles de notre ère entre la civilisation païenne et le christianisme.

Chassé par le Christ

Certains auteurs prétendent que Blanche-Neige, qui se cache dans une forêt profonde avec des gnomes, est également une illustre allégorie de la résistance du monde des anciens Germains contre la foi nouvelle. Il est connu que l’association entre les dieux païens et le diable a été l’un des outils de propagande de ce conflit, les premiers chrétiens affublant le Grapin d’attributs des divinités antiques: les pattes de bouc de Pan, le trident de Neptune ou encore les couleurs rouge et noire de Mars et Pluton.

Vaudai, donc, fut particulièrement offusqué par la fondation de l’Abbaye de St-Maurice, sur les rives du Rhône, en 515 de notre ère. «Wodan, se sentant, il y a plus de 1500 ans, atteint dans sa puissance et son prestige, se voyant traqué de toute part par l’invasion des idées chrétiennes, se vit obligé de battre en retraite sous l’action progressive et conquérante des missionnaires chrétiens», raconte Alfred Cérésole. La créature infernale ne se cacha pas dans les royaumes souterrains mais au contraire sur les sommets des Alpes environnantes. Il y ruminait sa fureur, n’hésitant pas à exercer sa vengeance sur les pauvres montagnards, leur balançant de temps à autre des rochers ou des tempêtes. Son terrain de jeu favori était le massif des Diablerets, surplombant le fleuve.

Procession diabolique

L’occupation préférée de Vaudai aurait ainsi été le bowling alpin. En entendant les pierres dévaler des pentes du glacier de Tsanfleuron, les habitants des vallées pensaient que le démon jouait aux quilles. C’est ainsi qu’un rocher en forme de tour dominant le col de la Cheville a pris le nom de ›Quille du diable’.

Les ‘strikes’ de Wodan n’empêchaient cependant pas le christianisme de progresser à grands pas. «Après avoir longtemps rêvé sur son rocher et plongé son sinistre regard dans la plaine, [Vaudai] résolut de tenter un dernier et suprême effort pour reconquérir son pouvoir ou tout au moins se venger», peut-on lire dans Légendes vaudoises. Satan mobilise une véritable armée de reconquête, une sorte de Cour des miracles infernales. Alfred Cérésole y mentionne ainsi la présence: des démons, des âmes damnées, des suicidés, des criminels, des enfants morts sans baptême, des sorciers et des sorcières, de tous les esprits dangereux ou méchants.

St-Maurice protégée

Avec tout ce beau monde derrière lui, il descend la pente jusqu’au Rhône, dont il suit les eaux. «Assis sur une vague énorme, dont l’écume brillait au loin, on le vit brandir de la main droite l’épée des combats, pendant que de la gauche il tenait un globe terrestre, symbole de sa puissance.» Vaudai sema donc la désolation sur les rives du fleuve, mais sa vraie cible était les demeures des premiers chrétiens qui venaient de s’installer dans le défilé de St-Maurice. Or, arrivées à cet endroit, «les vagues s’arrêtèrent; elles ne purent sortir de leurs rives; elles bondirent impuissantes, comme refoulées par une main invisible.» C’est évidemment la croix du Christ qui a protégé la modeste localité.

«Alors, le vieux dieu païen, sentant son impuissance en face de la religion nouvelle, comprit sa défaite», raconte Alfred Cérésole. Encore plus énervé qu’avant, Vaudai se retire encore plus hauts sur les Alpes environnantes. «C’est de là qu’on peut l’entendre exhaler sa rage, gronder, gémir, diriger rondes et sabbats, commander à la foudre et à la grêle, produire des pestes, des éboulements et des catastrophes sans nombre.»

Le vent du démon

Les habitants de la région ne se préoccupent plus du dieu antique et se rendent sans crainte aux Diablerets pour admirer le paysage et faire du ski. Si l’histoire de Vaudai a été largement oubliée, elle a laissé une trace dans le vocabulaire local à travers le vaudaire, un vent du sud-est soufflant sur le haut du Léman. Le démon se rappelle encore aux vivants lorsque souffle le «vaudaire d’orage», une manifestation météorologique violente bien que de courte durée, dont la puissance est renforcée par l’effet couloir de la vallée du Rhône. (cath.ch/arch/rz)

Raphaël Zbinden

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