Propos recueillis par Carole Pirker
Lovée dans un méandre de la Sarine, à 7 km de Fribourg, l’abbaye d’Hauterive a accueilli le 7 septembre dernier une foule de visiteurs. Son église, l’église Sainte-Marie, sort de 4 ans de travaux de rénovation. Un tout nouvel écrin que le public est venu découvrir lors des journées européennes du patrimoine.
Pour la quinzaine de moines cisterciens de la communauté, c’est l’achèvement d’une longue réflexion. Car l’ancienne configuration de l’église les empêchait d’être en contact direct avec leurs fidèles: à l’entrée, la nef accueillait les hôtes, mais, au milieu, les stalles du 15ᵉ siècle, fermées par une grille, et au fond, le chœur de l’église, avec son autel et sa grande verrière, étaient réservés aux moines.
Comment êtes-vous parvenu à retrouver une unité avec ces éléments séparés?
Marc de Pothuau: notre projet liturgique consistait à arrêter de célébrer ce qui sautait le plus aux yeux quand on entrait dans l’église : la clôture. Nous voulions arrêter de célébrer la clôture, mais célébrer la communion. Nous sommes des moines qui vivons la communion entre nous et Saint-Benoît (voir encadré) nous demande d’accueillir les gens pour la vivre. C’est vraiment notre identité monastique. Aujourd’hui, il n’y a plus, d’un côté les moines, de l’autre les fidèles. Moines et fidèles sont ensemble, soit dans la nef, soit du côté de l’autel et des stalles.
Cette rénovation n’a pas été un long fleuve tranquille…
On parle de quatre ans de travaux, mais la réflexion a duré neuf ans. Elle a été difficile, puisque notre première idée, qui consistait à déplacer les stalles et l’autel, a été refusée en décembre 2018 par la Commission fédérale des monuments historiques. C’est vrai que notre projet était très audacieux. Il a donc fallu qu’on avale la pilule…
C’est vrai que l’Eglise d’Hauterive n’est pas n’importe quel monument…
Oui, c’est un monument dans lequel les professionnels et les conservateurs ont pensé leur méthode pour le 20ᵉ siècle. Donc, la restauration des années 1900 est vraiment le lieu où la restauration moderne, en Suisse, a défini ses méthodes. Tous les conservateurs de Suisse viennent en pèlerinage à Hauterive pour découvrir les principes de la restauration. On touchait en fait un lieu sacré pour tout le monde.
Vous avez donc dû remettre l’ouvrage sur le métier…
Nous ne pouvions pas déplacer les stalles. Or, il fallait que quelque chose bouge. On a commencé à réfléchir à une liturgie qui bouge et à la façon dont notre communauté pouvait inviter les gens à bouger avec elle. Nous avons donc décidé, pour la messe quotidienne, de déplacer les moines et les fidèles et de les faire cheminer ensemble dans l’église, de la nef aux stalles, et jusqu’au chœur, autour de l’autel. Nous avons mené cette réflexion au moment où le grand mouvement synodal invitait toute l’Eglise à avancer ensemble. Ce n’était donc pas seulement notre petite église qui devait se réformer, mais l’Église tout entière.
Pendant les quatre ans de travaux, vous avez dû célébrer les offices et la messe dans le réfectoire, à l’intérieur de l’abbaye. Comment l’avez-vous vécu?
Sans l’église provisoire, on n’aurait pas osé le plan que l’on a présenté. L’église provisoire était un petit espace où il fallait être très proche des gens. On s’est rendu compte qu’en les accueillant derrière les moines, donc pratiquement dans le même espace que dans nos stalles, les gens se comportaient comme des priants: mieux ils étaient accueillis, mieux ils priaient, et… mieux nous priions! Mais l’ancienne configuration leur montrait que l’espace sacré situé derrière la grille menant aux stalles n’était pas celui où ils se trouvaient.
Cette église provisoire vous a donc servi de laboratoire?
Exactement. De laboratoire, de test et de confirmation. En vivant cette proximité, on a pu penser une proximité du même style dans l’église et inviter les gens dans nos stalles, pour les sept offices quotidiens, puisque nous sommes une quinzaine, et qu’il y a en tout cinquante places. Cela nous a donné l’audace de repenser cet espace.
Comment, concrètement?
Notre église a une structure très simple, avec une nef plane, d’un seul élan. Mais tout le mouvement de l’église ne se comprend que par rapport à l’autel. Or, l’autel était sombre. Il était à l’ombre d’un vitrail amputé dans sa partie inférieure de deux étages de vitraux, qui étaient bouchés par des blocs de molasse. Pour retrouver la vraie dynamique de l’espace, il fallait donc rallumer l’autel avec son vitrail. On a donc dégagé l’autel et retrouvé la dynamique de la nef, par le point focal qu’est l’autel, désormais illuminé par son vitrail, et par la disposition en vis-à-vis des bancs de la nef, où durant les messes, les moines s’asseyent au premier rang, les fidèles derrière eux.
Des deux côtés de la grille désormais ouverte menant aux stalles, il y avait avant deux autels latéraux qui ont été retirés durant la rénovation…
Oui, ils dataient du XIXᵉ siècle. C’était l’époque où chaque prêtre devait célébrer une messe presque au même moment. Ce n’est qu’avec le Concile Vatican II, dans les années 60, qu’a été introduite l’idée d’une messe où tous les prêtres célèbrent une seule eucharistie, avec toute la communauté rassemblée. Ces autels ont donc été retirés pour restaurer les stalles.
Il y a aussi une chapelle latérale, la chapelle Saint Nicolas, qui a été entièrement restaurée…
Oui, les gens peuvent s’y recueillir, parce que l’espace de la nef n’est pas d’abord un espace de recueillement individuel, mais de célébration communautaire. C’est là que nous célébrons les vigiles, à 4 heures du matin. Elle est désormais chauffée, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Retrouvez le reportage radio «Hautes Fréquences»
consacré à la rénovation de l’abbaye d’Hauterive en podcast
sur rts.ch/religion/hautes-frequences ou via l’App Play RTS, sur smartphone.
Et comment était-ce de retrouver votre église?
Ça a été une surprise. On est entré un soir et on a chanté la dernière prière du jour, le Salve Regina, qui est un très beau chant à la Vierge. En fait, c’est en chantant qu’on s’est rendu compte qu’on avait oublié ce magnifique espace acoustique. Et c’était magique! J’ai eu du mal à terminer ce chant, tellement j’étais ému (rires).
Finalement, est-ce que cette rénovation répond à l’attente des moines?
Oui, en tout point. Elle dépasse même ce que nous aurions osé espérer au départ. L’autel préside maintenant à l’espace et le voir illuminé par le vitrail avec les fidèles tout autour nous rend très heureux. Certains frères se demandaient si les gens allaient comprendre ce à quoi on les invitait. On était dans l’expectative. On a des retours qui sont très beaux, mais aussi des réactions contrastées de la part de gens qui ne comprennent pas ce qu’on a voulu faire. Personnellement, je crois que tant qu’on n’a pas célébré ensemble, tant que les personnes n’ont pas vécu ce mouvement liturgique, on a du mal à l’expliquer. (cath.ch/cp/bh)
La règle de Saint-Benoît
La communauté des moines de l’abbaye d’Hauterive mène une vie structurée par la règle de saint Benoît, un jeune noble né en 480 à Nursie, en Italie, et considéré par les catholiques et les orthodoxes comme le patriarche des moines d’Occident. Les principes de la vie cistercienne enracinés dans la tradition monastique reposent sur trois piliers : la prière, le travail et la vie fraternelle. La règle de saint Benoît prévoit aussi l’élection de l’abbé, dit Père-abbé, par la communauté à la tête de laquelle il est placé. Le 13 novembre 2010, Marc de Pothuau est devenu le 60e Père-abbé d’Hauterive. CP
Rédaction
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