Silvia Freda, pour cath.ch
«À Chailly, j’avais déjà placé les deux reliques dans un reliquaire en forme d’arbre de vie, plus exactement en forme de croix en ‘Tau’ chère à saint François d’Assise et symbole de simplicité et de paix», raconte l’abbé Nicolas Maillat, curé pendant quinze ans à Saint-Nicolas de Flüe et à Saint-Etienne à Lausanne, et aujourd’hui à Prilly-Prélaz. «Toutefois, rien n’avait été ensuite officialisé. Les contacts avec des prélats d’Orient n’avaient pas abouti, et le Covid avait tout suspendu.»
Le 28 septembre, ce temps d’attente prendra fin. Les reliques seront installées: des fragments d’os du Libanais Charbel Makhlouf et du Suisse Nicolas de Flüe.
Ce geste renvoie à une tradition ancienne. «Relique vient du latin relictus, ce qui reste», explique l’abbé Maillat. «Il y en a trois degrés: fragments du corps, vêtements ou objets ayant appartenu au saint.» Loin d’une adoration, précise-t-il, «on s’incline devant elles en signe de vénération. Elles rappellent la fidélité au Christ, jusqu’au martyre s’il le faut.»
Mais comment sont-elles arrivées dans ce quartier de Lausanne qu’est Chailly? L’abbé Maillat raconte l’histoire depuis ses origines. Une paroissienne libanaise, aujourd’hui décédée, Marie-Josée Danese, lui parlait souvent de saint Charbel, ce moine maronite du XIXe siècle. «Alors j’ai commencé à le nommer aussi, aux côtés de Nicolas de Flüe, patron de l’église, au moment d’invoquer les saints pendant la messe. Et les fidèles se demandaient qui il était», se souvient-il.
Peu à peu, la curiosité se transforme en projet: faire venir une relique de saint Charbel à Chailly. Michel Troyon, alors président de l’Unité Pastorale, fait appel à Nabih Yammine, Libanais installé à Stans (NW) et fondateur de l’Association Solidarité Liban-Suisse. «En lien direct avec le couvent d’Annaya, dans les montagnes du nord Liban, je peux faire préparer et transmettre officiellement des reliques», explique cet ambassadeur entre Orient et Occident. Grâce à lui, la relique de Charbel est arrivée. En écho, l’abbé Maillat a offert celle de Nicolas de Flüe: «Une relique que j’avais reçue à Delémont et remise à la paroisse.»
En Suisse, tout le monde connaît saint Nicolas de Flüe. Saint Charbel, lui, reste presque inconnu. «Et pourtant, près de 30’000 guérisons du corps et du cœur lui sont attribuées dans le monde et sont officiellement recensées au monastère d’Annaya», souligne Nabih Yammine. Il cite notamment le cas d’une Suissesse, longtemps en proie à de graves troubles psychiques, qui a retrouvé la paix intérieure après avoir rendu visite au saint dans la crypte à Annaya.
«Saint Charbel s’est éteint le 24 décembre 1898», indique Nabih Yammine. «Quelques jours plus tard, des villageois musulmans aperçoivent des lumières fuser de sa tombe, comme un feu d’artifice.» On croit d’abord à une fête des moines. La rumeur enfle, le cercueil est ouvert. «Le corps apparaît intact, presque vivant. Et de lui s’écoule un liquide étrange, eau et sang mêlés au parfum de rose. Un abbé a calculé qu’il en avait jailli jusqu’à 20’000 litres, assez pour imbiber les murs et les sols du couvent.»
Depuis, les signes se prolongent dans la vie des fidèles. «Chaque 22 du mois, saint Charbel l’a lui-même promis: ‘là où vous êtes, si vous priez, je répandrai une pluie de grâces’», rappelle Nabih Yammine. Au Liban, des foules entières montent à Annaya, parfois pieds nus, chapelet à la main. «En Suisse aussi, cette tradition commence à s’installer.»
De tels élans de ferveur s’expliquent aussi par le parcours exceptionnel du moine libanais. «Béatifié en 1965 puis canonisé en 1977, il est le premier saint oriental du second millénaire à avoir obtenu les honneurs des autels de l’Église universelle», rappelle Mgr Gemayel, visiteur apostolique pour les maronites d’Europe septentrionale et occidentale.
De l’Orient au cœur des Alpes, «on appelle Charbel et Nicolas de Flüe les jumeaux de la paix», indique Nabih Yammine. «Chacun à son époque, a apporté la réconciliation. Dans ce cadre, leurs noms s’associent naturellement.» Tous deux ont choisi de vivre en ermites, dans le silence et la prière, faisant de leur retrait du monde une source de paix pour les autres.
C’est pourquoi, partout dans le monde, leurs reliques sont toujours installées ensemble: plus de 150 lieux de vénération dans 50 pays – souvent marqués par des guerres ou des blessures collectives, de Hiroshima à El Salvador – et plus de 33 en Suisse, notamment à Lausanne, Fribourg, Develier (JU) ou en Valais. Réunir leurs reliques à Chailly apparaît dès lors comme une évidence.
En 2006, une célébration à Sachseln (OW), près de l’ermitage de Nicolas de Flüe, avait déjà réuni les deux saints en présence de l’archevêque de Beyrouth. «Il y a beaucoup de chartes et de conventions», glisse Nabih Yammine, «mais jamais une alliance spirituelle sincère entre deux peuples. Charbel et Nicolas de Flüe nous offrent cela, une fraternité qui dépasse les frontières.» Dans le même esprit, l’abbé Maillat souligne: «Les invoquer ensemble, c’est recréer un lien avec les chrétiens d’Orient, nos racines.»
Né en 1417, Nicolas de Flüe, père de dix enfants est devenu ermite dans la vallée dominée par le village de Flueli-Ranft au cœur du canton d’Obwald. Connu en Suisse alémanique sous le nom de «Bruder Klaus» (Frère Nicolas), il est considéré comme le saint patron du pays.
«Certains disent qu’il a abandonné sa famille», mentionne Patrice Droz, ancien président du Conseil de paroisse de Saint-Nicolas-de-Flue. «En fait, il vivait à dix minutes de marche de chez lui. Il conseillait les autorités, les paysans, les citadins», relève-t-il. «En 1481, il désamorça une guerre civile naissante entre cantons. Sa médiation sauva la Confédération.»
À Sachseln, on conserve encore la grande bure de Nicolas de Flue. L’ancien président de paroisse s’y est rendu récemment. «Avec mon épouse, nous avons rencontré le prêtre du lieu, et nous avons pu voir la bure. C’était impressionnant», confie-t-il.
Pour Patrice Droz, la double installation qui sera célébrée lors de la messe du 28 septembre sera un signe fort. «Les messages de Nicolas de Flue et de Charbel sont nécessaires aujourd’hui. Ils nous rappellent que chacun peut, à son échelle, être artisan de paix.» Pour Nabih Yammine, leur message tient en une étincelle: «Dans ce monde souvent désespéré, ils nous redisent que les ténèbres n’auront pas le dernier mot. Soyons lumière.» (cath.ch/sf/bh)
Week-end spirituel exceptionnel
> Le samedi 27 septembre, à 17 heures, la vie de Nicolas de Flue sera présentée à travers des icônes écrites par deux artistes, Sylviane Stoeckli, de Moudon, et Anne Droz.
Suivront deux conférences, précise Patrice Droz, ancien président du Conseil de paroisse de Saint-Nicolas-de-Flue.
-Dominique de Buman, ancien président du Conseil National, témoignera de l’influence de « Bruder Klaus » dans la vie politique suisse actuelle.
-Puis Mgr Gemayel, visiteur apostolique des maronites d’Europe occidentale, parlera de saint Charbel et du sens des reliques. Il rappelle déjà: «Il a été béatifié en 1965 à la clôture du Concile Vatican II, puis canonisé en 1977. Il est ainsi le premier saint oriental du second millénaire à avoir obtenu les honneurs des autels de l’Église universelle.»
-La soirée s’achèvera par un buffet offert par la communauté libanaise.
> Le dimanche 28 septembre, à 10h, la messe dominicale à l’église Saint-Nicolas de Flüe sera marquée par la bénédiction des icônes et l’installation solennelle des reliques, en présence de la communauté maronite et de l’Association Solidarité Liban-Suisse. Un buffet multiculturel suivra. SF
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