Comment les groupes évangéliques progressent aux Philippines

Si le catholicisme a longtemps semblé indétrônable aux Philippines, de plus en plus de Philippins se tournent vers les groupes évangéliques dits «born again». Décryptage.

Avec Ad Extra

Aux Philippines, la foi chrétienne est partout: dans les rues, les fêtes, la politique et les conversations quotidiennes. Longtemps, le catholicisme a semblé indétrônable, comme héritage de la colonisation espagnole et ciment de l’identité nationale, rappelle le site catholique Ad Extra des Missions Etrangères de Paris. 

Pourtant, de plus en plus de Philippins se tournent vers les groupes évangéliques dits «born again». Ces communautés, moins hiérarchiques et plus festives, séduisent en particulier les jeunes. Derrière ce mouvement se cachent des enjeux religieux, sociaux et politiques: crise de légitimité du catholicisme, critiques d’un clergé jugé trop rigide, et émergence d’une spiritualité plus personnelle, joyeuse et directe.

Le catholicisme aux Philippines a façonné l’éducation, la politique et la vie quotidienne, mais il traverse aujourd’hui une crise qui fragilise son autorité morale. En 2000, 82,3 % de la population se déclaraient catholiques, mais vingt ans plus tard, ce chiffre est tombé à 78,6 %. Cette baisse s’accompagne d’une croissance impressionnante des groupes évangéliques dont la proportion a doublé de 4,1% à 8,2% sur la même période.

Crise du catholicisme

Chaque Vendredi saint aux Philippines, des personnes se font réellement clouer sur des croix | © istolethetv/Flickr/CC BY 2.0

Les scandales qui ont traversé l’Église catholique aux Philippines expliquent en partie cette érosion. Les accusations de corruption, les affaires de pédophilie ont terni son image. S’y ajoutent les attaques frontales de Rodrigo Duterte, président de 2016 à 2022, qui n’hésitait pas à qualifier les évêques de personnes « inutiles » et à appeler à « les tuer », accusant l’Église d’hypocrisie. Ces mots violents, choquants pour beaucoup, ont contribué à banaliser la critique de l’institution.

La crise est aussi doctrinale. Sur des sujets de société comme la contraception, l’avortement ou la séparation de l’Église et de l’État, l’institution romaine s’est souvent montrée difficilement capable de se moderniser. Pour une partie des fidèles, son discours paraît déconnecté de leurs réalités quotidiennes. Cette perception d’un catholicisme rigide est d’ailleurs un souvenir partagé par nombre de celles et ceux qui l’ont quitté.

Un culte figé, sans émotion

Les born again, en particulier les nouveaux convertis, soulignent que la messe catholique leur semble figée. Sa codification stricte contraste avec les cultes évangéliques, où la danse, les chants et la musique proche du rock créent une ambiance festive et participative. Pour de nombreux jeunes, la messe paraît froide et distante, alors que les rassemblements born again offrent une expérience joyeuse, collective et émotionnelle.

La dynamique des communautés born again

La croissance de groupes évangéliques repose sur un modèle distinct de celui des grandes Églises protestantes institutionnalisées comme les megachurches pentecôtistes ou baptistes, relève Ad Extra. Ces dernières se structurent en territoires appelés chapters, comparables aux paroisses catholiques, avec une organisation hiérarchique et des règles bien établies.

« Je n’ai pas besoin qu’un prêtre me dise comment prier. Ma relation avec Jésus est personnelle »

Les born again, eux, refusent cette logique territoriale. Ils se rassemblent dans des églises de quartier, des groupes de prière ou des fellowships, officiellement  reconnus ou non. Dans ce modèle, pas de séminaire obligatoire pour le clergé, un culte contemporain, une direction souvent laïque, des petits groupes proches des gens, une implication émotionnelle des fidèles et un enseignement centré sur la Bible. Cette souplesse leur permet d’être mobiles et accessibles.

Vers Jésus sans intermédiaires

La théologie héritée du protestantisme des born again accentue cette attractivité. Contrairement au catholicisme, où le Salut repose sur les œuvres et les sacrements, ici il suffit d’accepter Jésus comme son sauveur personnel. Le Salut devient une relation intime, directe, sans médiation. « Je n’ai pas besoin qu’un prêtre me dise comment prier. Ma relation avec Jésus est personnelle », explique un fidèle. Deux personnes homosexuelles témoignaient ainsi se sentir mieux accueillies chez les born again: « Avec Jésus, nous discutons directement de qui nous sommes.« 

Pour les born again l’Église catholique philippine frôle l’idolâtrie en organisant des processions, en vénérant les saints, les statues ou encore le Santo Niño. Là où les catholiques philippins entretiennent un culte des images, les born again prônent un retour à l’essentiel: la Bible et Jésus, sans intermédiaires. « Jesus, sapat lang!«  (Jésus, il nous suffit !) comme aiment dire les pasteurs.

« Quitter le catholicisme, c’est rompre avec une institution jugée trop hiérarchisée et rigide. »

Une méthode missionnaire efficace

Au-delà de la théologie, leur méthode missionnaire explique aussi leur succès. Là où l’Église catholique se structure autour de la vie paroissiale, les born again en sortent, organisent des cultes dans les parcs, visitent les prisons, distribuent des repas et des biens de première nécessité dans les quartiers pauvres. Dans un pays où les inégalités sociales sont fortes, cette proximité directe et tangible séduit.

Une recomposition religieuse en marche

Selon Ad Extra la montée des groupes évangéliques, et particulièrement des born again, ne se limite pas à une simple concurrence religieuse. Elle traduit une mutation plus large du paysage social et culturel philippin. Cette transformation reflète aussi une contestation de l’ordre établi. Quitter le catholicisme, c’est rompre avec une institution jugée trop hiérarchisée et rigide. Les born again incarnent une alternative plus souple et plus vivante, se présentant comme capables de répondre aux aspirations spirituelles contemporaines. Leur succès montre que la religion reste centrale aux Philippines, mais qu’elle change de visage.

Il serait néanmoins très exagéré d’annoncer la fin du catholicisme et l’effondrement de la vie paroissiale dans l’archipel. Les processions, les fêtes et les sacrements continuent de rythmer la vie de millions de personnes. Cependant, le monopole catholique semble ébranlé. Une recomposition religieuse est en marche: le catholicisme doit désormais coexister avec une pluralité d’expressions chrétiennes, dont les born again sont l’une des plus dynamiques. (cath.ch/adextra/mp)

Rédaction

Portail catholique suisse

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