En 2020, Mgr Charles Morerod, évêque de LGF, provoquait un mini-séisme dans l’Église catholique en Suisse romande en généralisant la nomination de laïcs à la tête des régions diocésaines, autrefois tenues par des prêtres (vicaires épiscopaux). Un mouvement qui se poursuit avec la récente nomination d’Aurelia Dénervaud-Pellizzari en tant que représentante de l’évêque pour la région diocésaine Fribourg francophone, et de son adjoint, le théologien Philippe Becquart.
Les trois responsables ecclésiaux étaient réunis pour un point presse dans un bureau de l’évêché de Fribourg, le 3 octobre. cath.ch a notamment voulu savoir comment la nouvelle déléguée de l’évêque et son adjoint envisageaient leur mission conjointe. «Je pense qu’avec Philippe (Becquart), bien que nous ayons des profils assez différents, nous nous complétons très bien, assure Aurelia Dénervaud-Pellizzari. Nous avons en tout cas le même enthousiasme pour le travail transversal et en équipe. Mais bien sûr, il y a encore beaucoup à découvrir dans notre collaboration.»
Une vision partagée par Philippe Becquart. S’il se réjouit de travailler à Fribourg, où il réside, il devra en apprivoiser le contexte pastoral complexe. Le théologien d’origine française connaît en effet beaucoup mieux l’Église vaudoise, où il a œuvré pendant de nombreuses années. Ce spécialiste de la synodalité, qui a pleinement porté ces orientations dans le canton de Vaud, compte aussi le faire à Fribourg.
Mais quel bilan fait l’évêque de ces cinq ans de ‘management’ de haut niveau exercé par des laïcs? «Nous sommes encore un peu en période de rodage, même s’il y a beaucoup d’aspects positifs qui émergent déjà. Et l’on parle de cinq régions diocésaines, donc c’est assez varié», a relevé Mgr Morerod. Il a constaté en tout cas que le travail était «bien fait». Notamment dans la région Fribourg francophone, où Aurelia Dénervaud-Pellizzari a remplacé la précédente représentante de l’évêque, Céline Ruffieux, dès octobre 2024. Cette dernière est devenue consultante pour le diocèse sur la question de la prévention des abus. Aurelia Dénervaud-Pellizzari, qui était adjointe de Céline Ruffieux, a occupé en même temps avec efficacité les deux fonctions, ce qui a «impressionné» l’évêque.
Ce dernier admet des différences d’approches entre prêtres et laïcs dans la gestion des régions diocésaines. Même s’il ne compare pas les compétences, car les choses étaient déjà «bien faites avant». L’évêque a conseillé aux anciens vicaires épiscopaux qui ont repris un ministère de curé d’œuvrer, grâce à leur expérience de gestion, à développer des pôles vivants aux endroits où ils officient. «Ce qu’ils ont fait, ils en sont heureux, et j’en suis vraiment content», remarque Mgr Morerod. Chacun trouve donc son compte dans cette nouvelle situation.
Mais quelle est l’autorité effective de ces laïcs, dans une tradition catholique qui sacralise le prêtre? L’évêque remarque que les nouveaux responsables laïcs rencontrent une assez large approbation. «Aucune nouveauté n’est évidente et il faut toujours un temps pour que les personnes s’y habituent.» Il relève qu’à Rome également, des laïcs, souvent des femmes, ont été nommés à des postes de direction ces dernières années. «Donc nous ne sommes pas dans quelque chose de totalement inédit, mais dans un mouvement général au sein de l’Église.»
Pour Philippe Becquart, ces changements s’insèrent pleinement dans le processus synodal et sont symboliques d’une Église dont le centre de gravité se déplace du sacerdoce au baptême. Une nouvelle donne pas toujours facile à intégrer dans les mentalités. «Les gens sont habitués au schéma un curé dans chaque village, renchérit Mgr Morerod. Et c’est vrai que cela donnait l’avantage de la proximité. Mais maintenant il faut que les personnes se rendent compte qu’elles-mêmes constituent l’Église. La prise de responsabilité des baptisés montre un visage plus complet de l’Église.»
«Nous n’allons certainement pas vers une ‘révolution’, remarque Aurelia Dénervaud-Pellizzari, mais il y a une nécessité d’adapter les structures au changement, face à une Église en transition.» Elle confirme que la région diocésaine et l’évêque continueront à soutenir les regroupements de paroisses dans le canton de Fribourg et à LGF.
Le nombre en croissance de baptêmes d’adultes et de confirmands appelle aussi à ces adaptations. Mgr Morerod constate que bien souvent ces nouveaux arrivés ne sont pas revenus à la foi au sein d’une paroisse. Il souligne donc le besoin «de lieux de renouveau tournés vers l’avenir. Ils existent, il faut les encourager et, peut-être, les multiplier.»
Mais que pense l’évêque des critiques soulevées par sa démarche de valorisation des laïcs? Des commentaires, notamment sur la page Facebook de cath.ch déplorent le «remplacement» des prêtres par des agents pastoraux, y voyant là une dangereuse forme de désacralisation.
Mgr Morerod est conscient que les réformes ne plaisent jamais à tout le monde. Lors d’une visite ad limina à Rome, il a appris de la part du dicastère pour la Doctrine de la foi (DDF) avoir été l’objet d’une campagne de presse critique, en particulier dans le monde italophone et anglophone. Le DDF l’a activement soutenu, lui signifiant: «On répand de faux bruits sur ce que vous faites. Nous avons envoyé un message aux nonciatures, leur demandant de démentir et de préciser.» L’évêque est en fait totalement en règle, notamment sur les aspects canoniques et terminologiques. On lui a affirmé qu’il aurait même pu nommer «vicaires» les laïcs nommés à la tête des régions diocésaines, sous condition de précisions. Un pas qu’il n’a somme toute pas réalisé car «l’explication aurait été trop compliquée à donner».
Mgr Morerod note que simultanément à sa démarche, des diocèses français ont également nommé des femmes à des postes de responsabilité, ce qu’il n’a su que plus tard. Il révèle avoir eu un certain nombre de contacts avec des diocèses francophones qui voulaient en savoir plus. La démonstration, pour lui, qu’il n’est pas à contre-courant de l’histoire, bien au contraire. (cath.ch/arch/rz)
Aurelia Dénervaud-Pellizzari est née et a grandi à Fribourg, dans une famille aux racines multiples: une maman tessinoise, un papa à la fois suisse-allemand et italien. «Cette diversité m’a appris très tôt que la vie est faite de rencontres et de ponts à tisser», assure-t-elle.
C’est à l’adolescence que sa foi prend un visage vivant et concret. Grâce à la communauté Communion et Libération, elle découvre que le Christ n’est pas une idée abstraite «mais une présence réelle, qui éclaire le quotidien et lui donne sens».
Une découverte qui s’approfondit à travers son engagement comme monitrice de colonies, auprès de jeunes mais aussi d’adultes porteurs de handicap. «Dans ces moments, j’ai appris que c’est le Christ qui se donne à travers les autres, et que tout service devient lieu de rencontre avec Lui.»
Par la suite, elle poursuit cet engagement de diverses manières: comme catéchiste, en enseignant le français aux jeunes migrants, ou encore responsable du camp vocations de Pâques avec l’abbé Rémi Steinmyller. «Dans chacune de ces missions, il ne s’agissait pas seulement de transmettre un savoir ou d’organiser des activités, mais de permettre à d’autres de rencontrer le Christ qui transforme nos vies.»
Un temps de bénévolat avec l’Œuvre d’Orient en Arménie vient également élargir son horizon, en lui faisant découvrir la profondeur d’une Église enracinée dans une autre culture, «souvent marquée par l’épreuve mais aussi par une grande espérance».
Ce qui l’anime aujourd’hui, «c’est une Église qui n’a pas peur de sortir d’elle-même et de se rendre présente là où les gens vivent», assure-t-elle. L’agente pastorale appelle de ses vœux «une Église vivante, proche, enracinée dans le Christ et tournée vers le monde.» Pour elle, il faut oser rappeler aux baptisés que la mission ne concerne pas seulement les prêtres ou les consacrés: «Vous aussi, vous pouvez être Église, vous aussi vous pouvez vivre et annoncer votre foi, là où vous êtes!» RZ
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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