En effet, je n’avais plus l’impression d’interagir avec mes parents mais avant tout avec des partenaires de jeux. Quoique jeunes et inexpérimentés et faciles à percer tant nos choix étaient dictés par nos caractères que mes parents connaissaient parfaitement à l’époque, ces derniers nous accordaient une espèce d’autorité sans âge lorsque nous jouions.
Tous les classiques des jeux de cartes nous ont été enseignés. Et je prends conscience de la patience et de la persévérance dont ils ont dû faire preuve pour nous initier. Si je ne me trompe pas, je dirais que dès l’âge de 11 ans, nous avions abandonné les trop ennuyeuses batailles ou jeu des 7 familles pour savourer en famille les stratégies du rami, de la belote bridgée, du poker et de mon favori, le tarot.
Le tarot. Attention ne vous méprenez pas! Rien à voir avec le tarot de divination des cartomanciens. Je parle du tarot auquel l’on assigne l’adjectif «français» pour le distinguer de celui des voyants et des médiums. Ce jeu est extrêmement stratégique et mérite d’être approfondi.
Mes parents ont veillé à ce que jamais l’argent n’entre en ligne de compte. Certainement nombre d’entre vous avez joué au poker avec des lentilles plutôt qu’avec des véritables pièces d’argent. Innocemment nous passions des soirées fabuleuses à jouer, à parier, bref à nous amuser.
Jusqu’à ce qu’un jour, j’entende dire que les jeux de cartes étaient, je cite, «mauvais aux yeux de Dieu et nuisibles à l’âme». Comment mes parents qui nous traînaient au culte tous les dimanches auraient pu ignorer une telle chose ou pire ne pas en tenir compte. En quoi jouer, sans argent, serait nuisible et mauvais aux yeux de Dieu. Je n’ai pas prêté outre mesure à cette condamnation qui m’attristait et je ne l’ai pas partagée avec ma famille.
«Le pasteur Alain Houziaux nous invite à ‘vivre sous le rire de Dieu’»
Nous avons continué de jouer jusqu’à ce que je quitte le nid. Néanmoins ces dernières semaines le sujet est revenu sur la table. L’occasion d’aller chercher les raisons invoquées pour discréditer les jeux de cartes. Sur la toile, vous trouvez tout et son contraire. Des conjectures rocambolesques non vérifiées sont assénées avec fermeté cherchant dans leur aplomb la légitimité de leur opinion. Toutefois dans ce galimatias d’informations non certifiées, j’ai trouvé ce qui permet à une certaine frange de la chrétienté de croire que les jeux de cartes seraient un péril pour la foi.
Selon eux, parmi les cartes à jouer, les figures (roi, dame, valet) pourraient être des représentations de personnages bibliques. Le roi évoque le diable; la reine, Marie mère de Jésus. Le valet qui serait alors le fils du diable et de Marie figurerait Jésus.
Pour couronner le sacrilège, les valeurs (de 1 à 10) auraient été inventées pour persiffler les 10 commandements. Certainement une telle conception du jeu de cartes pousserait à bannir l’envie de jouer. Encore une idée de Dieu qui appellerait à davantage de morosité que de joie. À vivre tristement plutôt que gaiement. Jouer c’est prendre de la distance, s’amuser, rire. Le philosophe, théologien et pasteur réformé français, Alain Houziaux, nous invite à «vivre sous le rire de Dieu», autrement dit avec humilité, en faisant taire notre prétention à être comme des dieux, en nous méfiant de nos jugements en termes de bien ou mal et, en un mot, en jouant. À vos cartes, prêts, jouez!
Nadine Manson
8 octobre 2025
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