Lors de la conférence de presse présentant Dilexi te, un journaliste a demandé au cardinal Konrad Krajewski s’il considérait le risque que Léon XIV soit accusé d’être «communiste». « Si c’est le cas, alors nous devons aussi porter cette accusation contre Jésus », a répondu l’ancien responsable des œuvres de charité du pape François.
Les diatribes régulières du pontife argentin contre le capitalisme et «l’économie qui tue» lui avaient en effet valu d’être taxé de «marxiste», voire de «communiste».
«L’insulte» est reprise dans la version italienne du Huffington Post, mais sur le ton de l’ironie. «Les catholiques conservateurs (en particulier en Italie et aux États-Unis) vont devoir s’y faire, Léon XVI est un autre pape ‘communiste’, commente le média. Ils espéraient s’être affranchis de la ‘fastidieuse’ catéchèse de François sur les pauvres, les immigrés, les derniers et ainsi de suite, si éloignée des anges peints dans les nuages. Et voilà que Robert Prevost publie son premier document magistral et écrit une exhortation apostolique sur les pauvres, presque un programme, voire un véritable Manifeste qui appelle à l’action.»
À l’instar du Huffington Post, la presse internationale, également profane, réagit plutôt positivement à l’exhortation, mettant en exergue la continuité avec la pensée du pape François et la fermeté du texte. «On retiendra de Dilexi te la force prophétique avec laquelle le pape désigne le défi du soin urgent à apporter aux pauvres», affirme par exemple Arnaud Alibert dans La Croix.
Les médias évoquent surtout la dimension «politique» du texte. Les critiques de Léon XIV sont largement vues comme pointant du doigt la Maison Blanche. «L’intérêt croissant de Léon XIV pour le traitement des migrants et ses critiques à l’égard des climato-sceptiques montrent que ses opinions sont intrinsèquement en conflit avec certains des principes fondamentaux de l’administration Trump», note ainsi le Washington Post.
«Cette redéfinition résonne dans un contexte de montée, dans plusieurs pays, d’un courant populiste de droite radicale, tenant volontiers un discours sur Dieu, mais condamnant l’engagement envers les précaires, écrit encore Mikael Corre dans La Croix. Son emblème: Donald Trump, qui promet ‘d’éradiquer les préjugés antichrétiens’, mais parle de migrants comme ’empoisonnant le sang du pays’ et promet d’expulser de Washington les sans-abri. Dans son discours, et celui de ses relais européens, la pauvreté devient un crime, la compassion une faiblesse, la réussite un signe d’élection.»
Les milieux et la presse de droite n’ont pas (ou pas encore) réagi de façon affirmée à l’exhortation. Le site très conservateur américain LifeSiteNews se contente de rappeler le contenu du texte. Le site français proche des traditionalistes Le Salon Beige relaye également certains passages, sans autre commentaire.
Il apparaît que dans les milieux «anti-François», l’attitude générale consiste à relativiser l’apport de Léon XIV dans Dilexi te, ou de suggérer que le pontife américain n’a pas encore montré son vrai visage. Il est vrai que le nouveau pape n’a fait qu’apporter quelques ajouts et sa signature a un texte déjà largement écrit par son prédécesseur. Lors de la conférence de presse, le cardinal Michael Czerny, préfet du dicastère pour le Service du développement humain intégral, a pourtant assuré que Dilexi te était «à 100% du pape François et à 100% du pape Léon».
« On a l’impression que c’est [Dilexi te, ndlr] une dette envers son prédécesseur et envers ceux qui l’ont élu », relève Luigi Casalini, rédacteur en chef d’un blog traditionaliste consacré à la messe en latin au sujet de l’exhortation. « Léon XIV se révèle-t-il? Je répondrais non, pas encore. Nous verrons dans la prochaine encyclique. Je ne veux pas être optimiste, mais je ne peux pas non plus l’accuser d’être socialiste ou un fervent partisan » de François.
Même son de cloche chez John Yep, président du groupe pro-Trump « Catholics for Catholics ». « La plupart d’entre nous sommes en train d’observer, mais nous ne sommes pas trop prompts à juger, car nous savons que nous n’en sommes qu’au début.»
Quoiqu’il en soit, le Vatican demande de considérer Dilexi te non pas comme un texte politique, mais universel. Lors de la conférence de presse, il a été demandé au cardinal Czerny si le texte faisait de Léon XIV un pape «de gauche» (‘liberal’, en anglais). « Dès que vous dites ‘pape de gauche’, vous le placez, ainsi que le ministère de Pierre et de ses successeurs sur une plateforme très partiale », a répondu le cardinal. « Certes, on peut interpréter ces choses d’un point de vue sociologique ou politique, et que Dieu vous bénisse si vous voulez le faire, mais nous ne pouvons pas répondre de la même manière et nous ne devrions pas le faire », a conclu le prélat canadien. (cath.ch/ag/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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