Avec cath.ch, un Café scientifique exceptionnel consacré aux abus sexuels

Isabelle Duriaux a été abusée par un prêtre alors qu’elle était enfant. Après des années d’amnésie traumatique, elle prend conscience de l’abus en 2022. Elle entame des démarches auprès de la Commission Ecoute Conciliation Arbitrage Réparation (CECAR). Un parcours de trois ans que Pierre Pistoletti a documenté dans « La Fronde », un reportage coproduit par Cath-Info, qui sera diffusé en avant-première lors du Café scientifique de l’Université de Fribourg, le 29 octobre prochain.

L’édition 2025 du café scientifique de la faculté de théologie de l’Université de Fribourg est consacrée aux abus sexuels en Eglise. Fait exceptionnel, les participants pourront visionner en avant-première «La Fronde», le reportage réalisé par le journaliste Pierre Pistoletti. Une projection qui se déroulera en présence du réalisateur, d’Isabelle Duriaux et de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.

«Le format du Café scientifique ne change pas, précise Farida Khali, l’organisatrice, les participants pourront interpeller les intervenants (voir encadré) sur ce thème ». En amont de cette soirée exceptionnelle, Pierre Pistoletti revient sur ces mois de tournage.

Comment est né ce projet?
Pierre Pistoletti: A l’origine se trouve le webdossier que j’avais consacré, en 2018, aux abus sexuels en Eglise: «Quand le berger est un loup», alors que la CECAR débutait son travail. Il me manquait l’aspect «immersion», c’est-à-dire ne plus «parler de…» ou «parler sur…», mais suivre une personne dans ce processus de tentative de restauration. C’était un aspect que je n’avais pas pu proposer jusque-là. J’ai reçu un appel du Groupe Sapec (association qu soutient et défend les droits des victimes d’abus en Eglise) qui avait sollicité des victimes pour une telle démarche. Isabelle Duriaux a répondu favorablement, en tout cas pour ouvrir la réflexion.

| © Bernard Hallet

Filmer une victime d’abus sexuel est très délicat. Quelles ont été les difficultés de ce tournage?
La charge émotionnelle. Nous avions un rituel: Mme Duriaux, qui habite la Tour-de-Trême, venait me chercher à la gare le matin. Je repartais à pied après notre rencontre. Cette marche constituait pour moi une transition et me donnait l’occasion d’assimiler tout ce que nous avions partagé.
Il y avait aussi le fait que je ne maîtrisais pas grand-chose du processus. Il ne s’agissait pas d’une simple rencontre, d’un moment pour un article ou une vidéo, mais d’une démarche sur une longue durée. Une démarche par moment très douloureuse et très pénible pour Mme Duriaux: elle a été en proie au doute, à la colère. J’ai essayé de documenter certaines étapes sans chercher à être exhaustif par rapport à tout son parcours, mais d’en montrer les jalons importants.
Je n’avais pas anticipé l’intensité de la rencontre entre Mme Duriaux et Mgr Morerod à l’évêché de Fribourg. Il m’avait semblé que dans les jours ou les semaines qui ont suivi, il y avait quelque chose qui s’était apaisé. En fait, non. Cela a laissé émerger la dernière partie du sujet. Pour Mme Duriaux, les victimes devraient pouvoir fixer elles-mêmes le terme du processus et les institutions devraient être plus pro-actives. A mon sens, c’est l’occasion pour l’Église de penser une prise en charge plus vaste autour de la question des abus, une « pastorale » qui propose un accompagnement au-delà des rencontres de conciliation, pour les personnes qui le souhaitent.

« A mon sens, c’est l’occasion pour l’Église de penser une prise en charge plus vaste autour de la question des abus. »

Comment avez-vous fait, dans un contexte aussi délicat, pour garder une distance par rapport au récit d’Isabelle Duriaux.
Dans ce projet, il y a la rencontre, le tournage, assez intenses émotionnellement, puis la période du montage. Ce troisième temps permet justement de mettre de la distance. Il faut en effet pouvoir monter un sujet cohérent avec tous ces heures de rushes, notamment trouver un fil rouge pour raconter cette histoire. J’ai pu garder la distance nécessaire car je n’ai eu aucune pression pour structurer mon sujet. Le moment de la captation a été intense, avec le récit émotionnellement très fort, mais ensuite j’ai pu poser tout cela, derrière l’ordinateur, avec une autre posture. Et, de manière anecdotique, il a toujours été question entre nous de «Mme Duriaux» et «M. Pistoletti». J’ai gardé le rôle de journaliste et réalisateur tout en étant en même temps porte-voix. Je salue la délicatesse de Mme Duriaux qui a su trouver la distance nécessaire à la réalisation de ce projet.

On situez-vous votre travail entre le reportage et le documentaire?
Lorsque j’ai réalisé ce film sur Maurice Zundel (un documentaire biographique réalisé pour les 50 ans de sa mort, diffusé en septembre sur KTO, ndlr), ce fut d’emblée «Un film de Pierre Pistoletti». Pour ce tournage, je me suis posé la question: «Est-ce que j’écris ‘Film’ ou ‘reportage’?» Il m’a semblé que ›reportage’ était plus adéquat. Le documentaire est porteur d’une vision, c’est subjectif. Ici, je n’ai pas eu de message à faire passer mais à documenter une situation au plus proche de ce que j’ai pu constater.

Au-delà de l’abus sexuel et de ses conséquences, qu’avez-vous voulu montrer dans votre reportage?
D’abord montrer la manière dont se déroule l’accompagnement dans ces institutions qui accompagnent les personnes victimes d’abus. C’est unique jusqu’ici. Elle le dit elle-même à un certain moment: « L’Église a besoin de nous, les victimes, pour identifier ce qui a mené à ces abus ». Et pour moi, c’est très clair. Ce sont ces témoignages qui font bouger les lignes. En recueillant ces témoignages, je pense aux prophètes de l’Ancien Testament. Ces hommes et ces femmes que l’on ne veut pas entendre, mais qui sont porteurs d’une réforme que personne d’autre ne pouvait mettre en œuvre. Et Mme Duriaux a ceci de particulier qu’elle sait trouver l’expression juste qui sert son propos et donne à comprendre en quelques mots les enjeux de sa pensée.

Isabelle Duriaux a longuement rencontré Mgr Morerod lors d’un échange dense | © Pierre Pistoletti

On trouve également, dans ce film, l’idée de restauration, une thématique sur laquelle vous travaillez depuis quelques temps. Que pouvez-vous en dire?
C’est un thème qui m’a accompagné tout au long de la réalisation. Une des dernières questions que je lui ai posées avait trait avec la sérénité. Cette thématique de la réparation est à utiliser avec des pincettes parce qu’il y a toujours quelque chose de fondamentalement blessé à la suite un abus. Mme Duriaux le dit bien en utilisant ce puzzle pour symboliser sa vie «en miettes». Il peut y avoir une restauration, mais qui ne sera jamais totale. Au-delà de son parcours personnel, il y a quelque chose d’universel qui me touche chez Mme Duriaux. Il y a cette quête de vie, de lumière, non pas en dépit de l’obscurité, mais dans le courage de se confronter au réel, tel qu’il est. 

A-t-il été facile de vous faire accepter au sein de la démarche de Mme Duriaux? Notamment lors de la rencontre avec la CECAR et avec Mgr Morerod
Étonnamment, je n’ai pas eu de difficultés à me faire accepter, à partir du moment où Mme Duriaux était d’accord sur le principe. C’est la clé de ce tournage: je ne me suis pas imposé, ce travail faisait sens pour Mme Duriaux, et, en conséquence, pour les membres de la CECAR et pour Mgr Morerod. Une des conditions sine qua non: que Mme Duriaux puisse quand elle le souhaite changer d’avis et dire: «Stop, on arrête tout.» 

« En voyant le sourire de Mme Duriaux, je me dis qu’il y a des changements possibles dans l’Eglise au niveau structurel. »

Comment vous sentez-vous après trois ans de tournage et ce travail intense de montage?
Je suis mitigé. Il y a à la fois beaucoup de tristesse et des sentiments d’injustice et de colère et en même temps, ce que reflète le film, quelque chose de l’ordre de l’espérance. En voyant le sourire de Mme Duriaux, je me dis qu’il y a des changements possibles dans l’Eglise au niveau structurel. Si Mme Duriaux en est là aujourd’hui, qu’elle est reçue par la CECAR, par Mgr Morerod, c’est que des processus ont été mis en place. Cela aurait impossible il y a 20 ans. (cath.ch/bh)

Café scientifique: 29 octobre 2025, Nouveau Monde, Esplanade de l’Ancienne-Gare 3, Fribourg. Nombre de places limité.
-18h : projection – Env. 35’.
-18h45 : café scientifique – 1h30.
-20h15 : apéritif.
Avec:
Stéphanie Roulin, lectrice, Département d’histoire contemporaine, Unifr.
–Mélanie Cornet, assistante diplômée à la Chaire de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique, Unifr.
Rita Menoud, collaboratrice spécialisée abus et prévention, Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg / Évêché Fribourg et juge assesseure, Justice de paix du district de la Glâne.
–Charles Morerod, évêque, Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. BH

Bernard Hallet

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