La place de l’Eglise dans les médias de service public a été au centre de l’attention d’une rencontre convoquée à Berne par la CES et la RKZ à la paroisse de la Trinité, avec pour invitée principale Susanne Wille, directrice générale de la SSR. Devant une centaine de journalistes et de communicants en Église, le président de la RKZ Roland Loos a souligné l’importance de renforcer les liens avec les médias de service public et d’ouvrir des espaces de rencontre.
Au regard de sa formation d’historienne, Susanne Wille a d’abord rappelé la diversité de la Suisse qui existe comme Willensnation, c’est-à-dire la volonté de ses diverses composantes, en particulier linguistiques et religieuses, de vivre ensemble et d’élaborer les compromis pour y parvenir. En Suisse, un opposant n’est pas un ennemi, et les minorités ont le droit de se faire entendre. Pour Susanne Wille, l’unité naît de la diversité et si la Suisse est stable c’est grâce à cette diversité et non pas malgré elle.
Cela nécessite un dialogue permanent même s’il est parfois difficile et pénible. Les médias de service public, comme les Églises, doivent être des lieux d’échange et de discussion pour trouver des solutions. Lors de la création de la radio publique en 1931, cette idée de cohésion nationale était particulièrement forte. Il s’agissait d’offrir à tous un accès commun à l’information au-delà des logiques de marché.
En tournant son regard vers les Églises, Susanne Wille note que la religion n’est pas seulement une question de foi personnelle ou de célébration d’un culte, mais aussi une question de vivre ensemble. A ce titre, les formats religieux font partie intégrante des programmes de la SSR, outre les offices religieux, toute une palette d’émissions d’actualité ou de débats offrent un espace au fait religieux.
Face aux défis, Susanne Wille invite à développer les mises en réseaux et les synergies. La baisse de la redevance à 300 francs décidée par le Conseil fédéral et la recul des recettes publicitaires imposent déjà des économies de 270 millions. Ces économies à la SSR se feront d’abord dans les secteurs administratif, technique et financier, en préservant le plus possible les programmes journalistiques. Il s’agit en particulier de maintenir la proximité dans les régions. Néanmoins il est clair que les mesures d’économie devront aussi passer par des coupes dans les programmes.
La menace de l’initiative pour la réduction de la redevance à 200 francs, qui passera en votation populaire en 2026, met en péril cette présence dans l’ensemble du pays. Cela signifierait réduire de moitié – de 1,5 milliard à 750 millions de francs – les prestations du service public. L’information qui mobilise la moitié des ressources serait ainsi gravement amputée et les émissions religieuses largement impactées.
Bernd Nilles, directeur de l’Action de Carême, a rappelé en tant que représentant de la société civile, l’importance des médias de service public en tant que quatrième pouvoir. Il a relevé trois défis. Le premier est celui de l’indépendance par rapport aux pressions politiques ou financières. C’est le cas par exemple dans le débat sur les changements climatiques où la parole des experts passe trop souvent derrière celle de politiciens, parfois peu compétents, ou d’industriels intéressés.
Le deuxième défi est de ne pas négliger la parole du Sud global qui constitue 90% de la population mondiale. Si on en parle c’est uniquement à l’occasion de catastrophes naturelles ou de guerres. Il s’agit de faire entendre la voix des marges, géographiques, sociales et politiques.
Avec les ONG et les Églises, les médias doivent aussi porter la critique envers la Suisse des multinationales, des banques et des négociants en matières premières. Sans un compas éthique, la population ne peut pas se forger une opinion, a -t-il souligné.
Florence Quinche, du service éthique et société de la Conférence des évêques suisses, a listé quelques unes des fonctions des émissions religieuses sur le service public – Babel, Hautes Fréquences et La chronique RTS Religion en Suisse romande. Il s’agit d’abord de proposer un angle spécifique sur les événements en posant les questions existentielles, a-t-elle relevé. Si le questionnement religieux est différent du regard scientifique ou politique, il est tout aussi nécessaire, par exemple, dans le domaine de l’écologie.
Appréhender des réalités en mutation peut être un deuxième rôle pour les émissions religieuses dans le monde de la famille, du travail, des technologies, de l’intelligence artificielle…
Les émissions religieuses ont évidemment une fonction éducative et pédagogique. Elles tissent aussi le lien entre le passé et le présent. Rendre compte de la diversité, y compris à travers le regard d’autres religions, est enfin une des autres fonctions des émissions religieuses.
Mariano Tschuor, l’ancien président de la Commission des médias de la CES qui se qualifie «d’enfant de la SSR», a lancé quelques thèses provocatrices pour les Églises. Les médias de service public ne sont pas les haut-parleur, ni de l’Etat, ni des Églises, ni de l’économie, ils constituent un droit pour toute la population. Les Églises sont un des partenaires du service public, mais elles ne peuvent en attendre aucun traitement de faveur.
Mariano Tschuor remarque aussi que l’Eglise n’est visible qu’à travers des scandales d’abus, ou des questions morales. Il invite à mieux mettre en valeur tous les aspects positifs de sa vie quotidienne. La foi a besoin d’une parole qui résonne, pas de combats, a-t-il martelé.
Le communicant dénonce aussi la logique de la polarisation, de la controverse, du populisme qui sévit aussi en Église. Il faut parfois avoir le courage de rester silencieux, lorsque tous les autres crient.
La multiplicité des acteurs de la communication en Église, souvent disparates, est une autre difficulté. Chacun prêche pour sa paroisse, son canton, sa congrégation, son organisation le plus souvent sans concertation. Cela brouille le message pour les journalistes.
Cette multiplicité se double aussi parfois de l’absence d’une communication professionnelle, ce dont l’Eglise ne peut plus faire l’économie; il en va de sa crédibilité. Le dernier aspect est celui de l’indépendance. L’Eglise ne doit pas chercher un ‘bouclier’ dans la SSR, mais être capable de se rendre elle-même intelligible.
Lors d’un brève table ronde finale, les trois directeurs des centres catholiques des médias, de Lausannne, Zurich et Lugano ont échangé sur la mise en pratique de ces principes dans le travail quotidien de leurs médias. Quelques mots comme «relevance, substance, authenticité, complexité ou diversité» sont ressortis du débat. (cath.ch/mp/bh)
Maurice Page
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