Anna Kurian, I.MEDIA
Le nouveau Cadre pour la réflexion, la planification et l’action face aux défis de l’industrie minière a été publié le 21 octobre 2025. Le dicastère pour le Service du développement humain intégral a participé à la rédaction de ce document de 40 pages. Le Britannique Alistair Dutton, de Caritas Internationalis, précise le positionnement du Vatican sur ces questions.
Pourquoi Caritas et l’Église catholique s’impliquent-elles dans le domaine de l’exploitation minière?
Alistair Dutton: Aujourd’hui, l’exploitation minière représente bien plus qu’une activité économique. Dans le monde entier, les exploitations minières qui ne respectent pas les normes environnementales, sociales et de droits humains ont entraîné des déplacements, de la pollution et des violences touchant certaines des communautés les plus pauvres.
«Le document s’adresse à tous ceux, dans l’Église, qui souhaitent accompagner les communautés touchées par les conséquences de l’exploitation minière abusive»
Des écosystèmes entiers sont détruits, et avec eux disparaissent les moyens de subsistance et les racines culturelles des populations. Pour l’Église, il ne s’agit pas seulement d’un problème environnemental ou social, mais d’une crise profondément spirituelle. L’exploitation de la création traduit une rupture dans la relation entre l’humanité et la Création, ainsi qu’entre les êtres humains eux-mêmes. Caritas reconnaît dans ces blessures le «cri des pauvres et le cri de la Terre» évoqué par le pape François dans Laudato si’, et repris avec force par le pape Léon XIV.
Ce nouveau document a-t-il été présenté au pape Léon XIV et soutenu par lui?
Bien que ce nouveau cadre d’action n’ait pas été formellement présenté ni promulgué par le pape Léon XIV, il s’accorde étroitement avec les premières interventions du Saint-Père, qui a exhorté l’Église à aller au-delà de la simple dénonciation pour développer des réponses pastorales et structurelles capables de protéger à la fois les personnes et la planète.
À qui ce texte s’adresse-t-il? Comment espérez-vous que les conférences épiscopales ou les diocèses dans les différentes régions du monde s’approprient ce cadre de manière concrète?
Le Cadre d’action s’adresse aux évêques et aux conférences épiscopales, aux Caritas diocésaines et aux services de pastorale sociale, aux congrégations religieuses, aux universités catholiques et aux mouvements de laïcs. Mais son véritable public est plus large encore: il s’adresse à tous ceux, dans l’Église, qui souhaitent accompagner les communautés touchées par les conséquences de l’exploitation minière abusive et qui cherchent des moyens concrets de mettre en œuvre la doctrine sociale de l’Église. Il constitue également un outil utile pour promouvoir, auprès des décideurs et des entreprises minières, une exploitation respectueuse et responsable des ressources.
Ce document n’est pas conçu comme un produit achevé, mais comme un instrument vivant de discernement. Il invite chaque Église locale à interpréter ses principes selon son propre contexte, en élaborant des plans d’action locaux, en constituant des équipes de ressources et en établissant des partenariats avec les universités et la société civile.
«’Agir’consiste à répondre par des initiatives concrètes qui rétablissent la justice»
Certains diocèses ont déjà entrepris ce chemin. En Colombie, par exemple, plusieurs Caritas diocésaines ont créé des ministères écologiques qui surveillent les projets miniers et offrent un accompagnement juridique et pastoral aux familles concernées. Aux Philippines, le réseau Eco-Convergence des évêques a favorisé une solide collaboration entre les institutions ecclésiales, les universitaires et les communautés autochtones afin de promouvoir des alternatives durables à l’exploitation destructrice.
Le document affirme s’enraciner dans la méthode «Voir – Juger – Agir». Comment cela se traduit-il concrètement dans les actions?
«Voir» signifie se rendre proche des personnes: écouter, recueillir les faits, comprendre la réalité de l’impact minier à travers les yeux de ceux qui la vivent chaque jour. «Juger», c’est discerner ces réalités à la lumière de l’Évangile et de la doctrine sociale de l’Église, en demandant l’assistance de l’Esprit à travers des principes tels que la dignité humaine, la solidarité, la destination universelle des biens, ainsi que la nécessité de conversion et de réconciliation de tous les acteurs du processus — un défi particulièrement exigeant. «Agir», enfin, consiste à répondre par des initiatives concrètes qui rétablissent la justice et favorisent un développement humain intégral.
«Le déséquilibre de pouvoir entre les multinationales et les communautés locales est immense»
Ce processus se manifeste déjà dans plusieurs expériences locales à travers le monde. Aux Philippines, dans le diocèse de Butuan, par exemple, des équipes pastorales vivent aux côtés des familles touchées par l’exploitation minière à ciel ouvert, les aidant à documenter les dommages environnementaux et à mener un plaidoyer non violent.
En République démocratique du Congo, les équipes de Caritas ont formé des responsables locaux à réaliser des évaluations environnementales indépendantes et à présenter leurs conclusions devant les autorités régionales et les instances ecclésiales.
Le document évoque d’importantes inégalités de pouvoir entre les entreprises minières et les communautés locales. Comment l’Église peut-elle exercer une influence concrète sans disposer des mêmes ressources financières ou politiques, et sans être accusée d’ingérence ou d’être instrumentalisée?
Le déséquilibre de pouvoir entre les multinationales et les communautés locales est immense, et constitue l’une des principales causes d’injustice dans le secteur minier. Caritas ne cherche pas à égaler la puissance des entreprises, mais à transformer la relation par la solidarité, l’information et l’autorité morale, en faisant tout son possible pour que les personnes affectées puissent être entendues par les autorités politiques et les compagnies minières elles-mêmes.
L’influence de l’Église ne réside pas dans la richesse, mais dans sa capacité à accompagner, à rassembler et à dire la vérité. Et lorsqu’il s’agit de dire la vérité, un principe fondamental de la doctrine sociale de l’Église est le respect de la dignité humaine de tous. Cela implique de tout faire pour parvenir au bien commun, sans céder à la logique selon laquelle il serait acceptable de sacrifier le bien-être de quelques-uns au profit du plus grand nombre.
«Les communautés doivent avoir accès à une information claire, indépendante et compréhensible»
C’est pourquoi Caritas renforce les communautés en tissant des alliances — reliant les voix locales aux réseaux nationaux et internationaux. Nous soutenons l’éducation aux droits juridiques, à la surveillance environnementale et à la communication, afin d’aider les communautés à défendre elles-mêmes leurs droits avec connaissance et assurance. L’Église utilise également son réseau mondial pour relier les témoignages locaux au plaidoyer international, veillant ainsi à ce que les abus ne restent pas cachés.
Ce travail de plaidoyer est un exercice de responsabilité morale. L’Église n’impose pas de solutions; elle amplifie la voix des pauvres et défend leur droit à participer pleinement aux décisions qui concernent leur vie, en s’efforçant d’établir des ponts entre les parties impliquées.
La notion de «consentement libre, préalable et éclairé» des populations locales est centrale. Comment l’Église peut-elle contribuer à faire en sorte que ce droit soit réellement respecté?
Le droit au consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) est au cœur de ce travail. Le document insiste sur le fait que ce consentement doit être véritable — non pas une formalité obtenue sous la pression ou par la désinformation. Les communautés doivent avoir accès à une information claire, indépendante et compréhensible; elles doivent être libres de délibérer selon leurs traditions et leurs valeurs; et leurs décisions doivent être respectées, même lorsqu’elles choisissent de dire non.
«Garantir un consentement véritable relève de la défense de la dignité humaine»
L’Église peut contribuer à rendre ce droit effectif de plusieurs manières. Caritas aide souvent les communautés à traduire les évaluations d’impact techniques, facilite l’accès à une assistance juridique et finance des études indépendantes lorsque les rapports des entreprises sont biaisés ou incomplets. Les paroisses peuvent offrir des espaces sûrs de dialogue et de discernement, où les communautés peuvent s’exprimer sans crainte.
Et lorsque les défenseurs de la terre sont menacés ou attaqués, l’Église leur donne visibilité et protection grâce à ses réseaux, augmentant ainsi le coût moral de l’intimidation et de la violence ciblée. En définitive, garantir un consentement véritable relève de la défense de la dignité humaine. C’est affirmer que les personnes et les écosystèmes exigent un respect total et profond, et qu’ils ne sont pas de simples marchandises destinées à maximiser les profits des actionnaires.
Le document se clôt sur la mémoire de militants assassinés pour avoir consacré leur vie à la défense de la terre, notamment en Amérique latine. Vous posez la question de reconnaître un nouveau «martyre écologique». L’Église est-elle prête à assumer ce langage?
La question de savoir s’il faut formaliser une catégorie de «martyre écologique» est posée comme une interrogation théologique à la fois profonde et urgente; la publication souligne la nécessité de reconnaissance, de mémoire et de mesures concrètes de protection pour sauver la vie de la nouvelle génération de militants écologistes. Elle appelle aussi à lutter contre l’impunité et la corruption, à différents niveaux des autorités, qui agissent souvent de connivence avec les intérêts privés. (cath.ch/imedia/ak/rz)
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