Le président nigérian Bola Tinubu a vivement réfuté la caractérisation du Nigeria comme «un pays intolérant sur le plan religieux». Donald Trump avait inscrit auparavant le Nigeria sur la liste des pays «particulièrement préoccupants» («Country of Particular Concern», CPC) en matière de liberté religieuse.
«Cela ne reflète pas notre réalité nationale et ne tient pas compte des efforts constants et sincères du gouvernement pour protéger la liberté de religion et de croyance de tous les Nigérians», a rétorqué le président nigérian, un musulman membre de l’ethnie yoruba.
Dans un message publié sur les réseaux sociaux critiquant ce qu’il a qualifié de «massacre massif» de chrétiens dans le pays, Trump a écrit que les États-Unis «cesseraient immédiatement toute aide et assistance au Nigeria» et a sommé le gouvernement nigérian d’«agir rapidement». Il a suggéré sur sa plateforme Truth Social que les États-Unis, si le gouvernement nigérian continue de tolérer les meurtres de chrétiens, pourraient très bien entrer dans ce pays désormais discrédité, «les armes à la main, pour éliminer complètement les terroristes islamiques qui commettent ces horribles atrocités».
Le mois dernier, les chefs religieux musulmans et chrétiens du Nigeria avaient ensemble rejeté l’accusation d’un sénateur américain Ted Cruz, qualifiant de «génocide» contre les chrétiens du pays les attaques du groupe radical musulman Boko Haram et, d’autres groupes armés comme l’ISWAP, l’État Islamique en Afrique de l’Ouest.
Pour les responsables religieux du Nigeria, le terme de «génocide» est une qualification «exagérée et susceptible d’approfondir les divisions dans un pays déjà fragile». A l’issue d’un récent séjour au Nigeria, le sénateur Cruz a posté le 7 octobre dernier sur son compte X que «depuis 2009, plus de 50’000 chrétiens ont été massacrés, plus de 18’000 églises et 2’000 écoles chrétiennes ont été détruites au Nigeria. C’est le résultat de décisions prises par des personnes spécifiques, dans des lieux spécifiques, à des moments précis – et cela en dit long sur ceux qui s’en prennent aux autorités maintenant que ces problèmes sont mis en lumière. Les Etats-Unis savent qui sont ces personnes et j’ai l’intention de les tenir responsables».
Réagissant aux propos du sénateur Cruz, le secrétaire général de l’organisation musulmane Jama’atu Nasril Islam (JNI), Aliyu Abubakar, et le révérend Joseph Hayab, président de la CAN (Association des chrétiens du Nigeria) dans les 19 Etats du Nord et le Territoire de la capitale fédérale (FCT), ont tous deux dénoncé les propos du sénateur américain. Cités par le quotidien nigérian, This Day, ils ont souligné que «les chrétiens et les musulmans sont tous deux attaqués de la même manière» par les groupes terroristes et que l’on ne peut pas dès lors parler de «génocide».
Sur quelque 240 millions d’habitants, dans ce pays 23 fois plus grand que la Suisse, des millions de personnes ont été déracinées au cours des ans, «déplacées pour survivre!», a confié à cath.ch Mgr Obiora Ike, professeur d’éthique et d’études interculturelles à l’Université Godfrey Okoye, à Enugu, dans l’ancien Biafra, au Sud-Est du Nigeria.
Des fanatiques religieux musulmans ont suivi les traces des politiciens qui, en 2000, ont sapé la démocratie au Nigeria en imposant par la force la charia islamique dans 12 Etats fédéraux, en contradiction avec la Constitution fédérale, déplore-t-il.
Plus de 16’000 chrétiens ont été tués en 4 ans dans des violences ciblées (de 2019 à octobre 2023), selon l’Observatoire pour la liberté religieuse en Afrique (ORFA) dans un rapport publié fin août 2024. Plus de 100’000 personnes ont été tuées en dix ans pour des motifs religieux, le chiffre le plus élevé de tous les pays du monde à l’heure actuelle, affirme Mgr Obiora Ike.
Le prêtre catholique, fervent défenseur des droits de l’homme, met en garde: les bergers nomades foulanis (peuls) musulmans, qui sont présent dans les 36 Etats fédéraux du Nigeria, sont responsables de bien davantage de meurtres que Boko Haram, le mouvement terroriste d’idéologie salafiste djihadiste qui avait lancé en 2009 une insurrection armée dans les Etats du nord du Nigeria.
«Le président Bola Tinubu, président de la république fédérale du Nigeria depuis le 29 mai 2023, qui a succédé au président Mohammed Buhari, (président de 2015 à 2023), qui était un fondamentaliste islamique avoué, est également musulman. Il a hérité du système instauré par le régime de Buhari. Le Nigeria bénéficie de l’appui financier de l’Arabie Saoudite et du soutien de l’OCI, l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) – anciennement Organisation de la Conférence islamique. Le but est d’islamiser le pays», assure Mgr Obiora Ike.
Il faut rappeler que les affrontements meurtriers entre les éleveurs peuls, des nomades armés principalement de religion musulmane, et les agriculteurs sédentaires, souvent chrétiens, sont monnaie courante et sont davantage causés par la compétition pour l’accès à la terre plutôt que des conflits interreligieux. Ces conflits sont aggravés par le changement climatique provoquant la sécheresse et le déplacement des troupeaux vers les terres cultivées.
Massad Boulos, «conseiller spécial de Donald Trump pour l’Afrique», a démenti les informations suggérant l’existence d’un génocide religieux au Nigeria et sur le fait que les chrétiens soient ciblés en particulier. «Ceux qui connaissent bien le terrain savent que le terrorisme n’a pas de couleur de religion, de tribus… Des personnes de toutes les religions et toutes les tribus meurent à cause d’actes de terrorisme. Boko Haram et l’Etat islamique tuent plus de musulmans que de chrétiens ! », a-t-il déclaré sur TVC News Nigeria, contredisant ainsi les propos menaçants de Trump. (cath.ch/tvc/cnn/be)
Jacques Berset
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/accuse-de-viser-les-chretiens-le-nigeria-dans-le-collimateur-de-trump/