APIC-Interview :
En Bolivie et en Suisse!
Bernard Bavaud, de l’agence APIC
Genève, 22 août 1999 (APIC) Le Valaisan Jacques Antoine de Preux, nouveau secrétaire général du Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE) à Genève, est fier des enfants boliviens qu’il a rencontrés durant 17 ans. Ils l’aident à prendre son nouvel engagement au sérieux. Marié à une Bolivienne, père de deux filles, il se dit heureux de poursuivre en Suisse son travail professionnel au service des enfants. Il s’interroge aussi sur des questions politiques suisses ou sur l’Eglise catholique. Le peuple bolivien l’a rendu tolérant, mais aussi exigeant.
APIC. Vous avez vécu de nombreuses années en Bolivie. De retour en Suisse, vous avez postulé pour le poste de secrétaire général du BICE. Pourquoi cet attrait spécial pour l’enfance?
J. A : Ce choix est sans doute lié à ma formation de licencié en sciences sociales et psycho-pédagogiques. Lié aussi à mon expérience de père. Mes deux filles, Nathalie et Fabienne, ont actuellement seize et dix-huit ans. Ma femme Susy et moi vivons des expériences très fortes et enrichissantes avec elles. Le choix du domaine de l’enfance est aussi la suite de mon travail en Bolivie dans des projets de développement centrés sur des enfants.
APIC: Comment cette expérience en Bolivie peut-elle servir dans votre nouvelle fonction ?
J. A. : Toute personne qui a vécu plusieurs années dans un pays du Sud, en contact quotidien avec la population défavorisée, rentre en Europe avec une vision du monde différente de celle qu’il avait avant de partir. Une quinzaine d’années passées en Bolivie, avec des visites dans les pays limitrophes m’ont ouvert de nouveaux horizons. Particulièrement les trois ans passés à la section bolivienne de Défense des Enfants International (DEI). La création et l’accompagnement de brigades d’enfants organisées pour la défense de leurs droits m’ont permis une approche très claire et profonde de la réalité de l’enfance aussi bien à la campagne qu’en ville. Tout ce bagage vécu sur le terrain va m’aider dans ma nouvelle tâche professionnelle. Je crois par ailleurs que certaines situations dans les poches de pauvreté qui existent aussi chez nous se rapprochent des réalités des pays du Sud. La charte du BICE affirme que la population cible rencontrée et aimée, ce sont « les enfants les plus démunis » de la planète. Où qu’ils soient.
APIC: En Suisse, le résultat de la votation populaire sur l’assurance maternité a beaucoup choqué. Quel est votre commentaire personnel ?
J. A. : En mon nom propre, mais aussi en tant que secrétaire général du BICE, je ressens une grave occasion manquée. Mais aussi une sorte d’impuissance face à la peur de la majorité qui a dit non. Notre Suisse se veut vraiment un îlot au milieu de l’Europe en construction. Que se passe-t-il? Pourquoi la majorité des Suisses ont encore tellement peur du partage et du risque d’une ouverture pour les mères et leurs enfants?
APIC: Rappelez-nous un moment de votre vécu avec des enfants en Bolivie?
J. A. : Je peux évoquer l’expérience, parmi beaucoup d’autres, d’un accompagnement extra-scolaire, pour des enfants de l’école primaire dans le village de San Lorenzo, au sud de la Bolivie dans le département de Tarija. Ou encore celle auprès des enfants de la zone minière de Bolivie du département d’Oruro. Lors de mes visites, j’ai rencontré des enfants très organisés, malgré peu de moyens, pour leurs activités culturelles. Les animateurs locaux avaient compris que la défense des droits des enfants passait à travers la valorisation de leurs valeurs culturelles, la musique, le dessin, le folklore et le sport. Ces enfants débordaient d’enthousiasme face à tout ce que l’institution leur proposait.
APIC : Les relations Nord Sud évoluent rapidement. Comment voyez-vous ce changement ?
J. A. : Grâce aux moyens de communication actuels, nous nous rapprochons inévitablement. On peut savoir rapidement ce qui se passe partout dans le monde. D’un autre côté, les différences entre pays riches et pauvres tendent à se creuser toujours davantage.
Lorsqu’on vit plusieurs années dans un pays du Sud frappé d’énormes problèmes économiques, mais qui vous offre d’autres richesses relationnelles, vécues au jour le jour, on ne peut se résoudre à ne regarder que le côté économique de la vie. Cela me tient à cœur. Je ne peux plus dire: « Ce pays est meilleur que l’autre ». Les expériences vécues dans les pays du sud nous aident à reprendre confiance pour l’avenir. Notre regard découvre alors aussi chez nous des trésors de tendresse et de solidarité. Même si en Suisse les gens semblent plus introvertis et plus attachés aux valeurs matérielles. J’espère pouvoir ici continuer à vivre cette ouverture apprise avec le peuple bolivien.
APIC: Le BICE, en tant qu’organisation internationale, s’adresse aussi aux pouvoirs politiques?
J: A : Dans le secteur des « droits des enfants », on ne peut pas rester neutres. Le BICE fait un travail de pression auprès des autorités concernées par les droits de l’enfant. La plupart des Etats ont signé la Convention des droits des enfants et officiellement ils doivent l’appliquer. Beaucoup ne le font peu ou pas du tout. Notre interpellation doit être claire: « Vous avez signé ces conventions. Honorez votre signature »: Notre position ne peut évidemment pas être liée à un parti politique d’opposition, même si nos revendications peuvent parfois coïncider.
APIC: Beaucoup d’habitants des pays du Nord se scandalisent du traitement des enfants qui travaillent dans les pays du Sud. Que fait le BICE dans ce domaine?
J. A. : Les pays du Nord de la planète insistent avant tout sur le respect à un traitement qui soit digne pour l’enfant en essayant d’éviter tout exploitation au travail. C’est une juste revendication. Mais il faut tenir compte de la réalité de très nombreux pays du Sud: des enfants sont obligés de travailler à un âge précoce. Malheureusement ils doivent faire passer leur droit au travail avant leurs revendications à un traitement auquel tout travailleur a droit. Notre position est un peu à la charnière de ces deux tendances. On doit accepter le fait qu’il y ait des enfants plus jeunes qui sont dans l’obligation de travailler. Ce qui constitue une dérogation aux normes du Bureau international du Travail (BIT). Il faut donc aussi lutter pour que l’Etat respecte les normes du BIT. Mais dans un autre côté, on ne peut pas abandonner enfants qui sont au travail. Il faut à tout prix les protéger. Le BICE, comme organisation internationale, est un peu le défenseur des deux positions. Il ne peut tout trancher d’un côté en oubliant la réalité actuelle.
APIC: Comment définiriez-vous, en quelques mots, l’action et l’impact du BICE en Suisse et dans le monde ?
J. A. : L’impact en Suisse est assez limité. Le BICE est beaucoup plus connu en France où il est né. Il continue d’y avoir son siège social. Notre organisation est active parmi les milieux internationaux qui s’occupent de l’enfance. L’impact qu’il a peut-être, c’est au niveau de certaines idées, assez originales. Il existe des courants par rapport à la philosophie de l’enfant, qui ne sont pas l’apanage du BICE , mais qui à l’intérieur du mouvement se sont développés d’une manière particulière. En particulier nous sommes attentifs à l’humour et au thème de la « resiliance ». Il s’agit de l’approche de la réussite d’une personne, dans un milieu tout à fait adverse et vivant une situation très délicate. Et qui pourtant s’en sort. Le BICE a beaucoup développé ce thème. « Resiliance » est un mot anglais qui vient aussi de la physique: une masse, après avoir subi un choc, retrouve sa forme initiale. Appliqué aux sciences sociales, il s’agit de la capacité de toute personne dans le besoin de pourvoir de s’en sortir et de surmonter les obstacles rencontrés.
APIC: Le BICE se dit catholique. Quelle est votre référence à la foi chrétienne? Comment le jeune catholique pratiquant valaisan a-t-il évolué sur ce plan en Bolivie? L’Evangile, est-ce encore important pour vous?
J. A. : J’ai la joie de répondre oui. Mais sans ostentation. Mes vingt premières années ont baigné dans le milieu catholique valaisan, plutôt tranquille et conservateur. Je faisais partie d’un chœur de jeunes à la paroisse de Ste-Croix à Sierre. Au moment de l’adolescence, au moment où l’on a beaucoup de questions et parfois des doutes sur l’Eglise, sur la messe du dimanche, sur la véracité de la foi, ce lien concret avec ce chœur de jeunes m’a marqué. Comme aussi d’avoir découvert la communauté œcuménique de Taizé.
La foi chrétienne je l’ai retrouvée et poursuivie en Bolivie, dès l’âge de 17 ans. Un enrichissement. Une religion plus liée à la justice humaine quotidienne, comme l’a illustré la théologie de la libération. Ensuite volontaire d’un mouvement chrétien de Suisse romande (Frères sans frontières, actuellement E-Changer), j’ai rencontré à nouveau en Bolivie des communautés chrétiennes vivantes aussi bien à la campagne qu’en ville.
Finalement je prends comme un signe de la Providence d’avoir abouti aujourd’hui au BICE. En apprenant que le BICE était un organisme catholique, j’étais un peu perplexe. Car, tout le monde le sait, il y a diverses tendances dans l’Eglise catholique. J’ai été rassuré quand j’ai pris connaissance des positions du BICE. Il se veut dans une Eglise engagée, qui n’a pas peur de revendiquer plus de justice. Le BICE est officiellement reconnu par le Saint-Siège. Nous avons donc certaines obligations officielles que l’on doit accepter. Avec toutes les lourdeurs de l’Eglise catholique d’aujourd’hui. Fin mai, j’ai fait un voyage à Rome avec notre présidente et notre assistant ecclésiastique, pour une visite de courtoisie dans les différents dicastères romains. Ainsi que des visites moins protocolaires dans des maisons mères d’institutions religieuses avec lesquelles nous travaillons dans les pays du Sud. C’est bon de savoir que nous sommes en lien avec le Vatican. Personnellement, je suis néanmoins plus enclin à travailler directement avec nos partenaires des Eglise locales. Je crois cependant qu’un organisme catholique ou chrétien qui travaille sur le terrain doit faire bouger un peu l’Eglise-institution, tellement lourde, et qui semble trop souvent éloignée de la réalité quotidienne des gens.
APIC : Une question qui me vous tient à cœur en débarquant à Genève?
J. A : J’aimerais garder la vision limpide des d’enfants sur le monde qu’ils découvrent. Malheureusement certains ont perdu ce regard, car leur enfance a été brisée ou salie! Nous regrettons toujours en grandissant de perdre cette simplicité et cette innocence, cet esprit d’enfance dont parle Jésus de Nazareth.– Certes, nous devons assumer et accepter notre évolution d’adultes, la vision sociale et politique du monde réel. Mais avec le regard émerveillé d’un enfant, nous pouvons peut-être trouver certaines réponses différentes dans un monde parfois horrible et cruel. Il est alors bon de « rester enfant ». (apic/ba)
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