La Vierge est de retour à la cathédrale de Lausanne

Alors que la cathédrale de Lausanne fête ses 750 ans, un projet original a permis de «redonner une tête» à la statue de la Vierge du narthex, décapitée à la Réforme. L’initiative s’inscrit dans un mouvement plus large d’un retour en grâce de la figure de Marie dans l’édifice protestant.

«Ici nous avons une statue de la Vierge de la cathédrale de Chartres qui a servi d’archétype», explique René Bugnion à cath.ch. Le passionné d’architecture et de patrimoine égrène son classeur tel un rosaire dans la Librairie du Valentin, à Lausanne, dont il est un habitué. La fascination du retraité pour l’art sacré est perceptible alors qu’il tourne les pages où sont regroupés les éléments du «Projet de restauration de la Vierge à l’Enfant du narthex de la cathédrale de Lausanne«, dont il est la cheville ouvrière.

«Une vision terrible»

La statue de la Mère de Dieu a été décapitée et l’enfant qu’elle tenait dans ses bras enlevé dans une démarche iconoclaste liée au passage de l’église au protestantisme, en 1536. D’autres œuvres d’art de l’édifice dédié à Notre-Dame en ont également fait les frais.

La Vierge du narthex de la cathédrale de Lausanne comme elle apparaît depuis 1536 | © DR

À l’occasion d’un passage à la cathédrale, il y a quelques années, René Bugnion découvre la petite statue étêtée qui surplombe le narthex (vestibule de l’église, entre le portail et la nef). «Cela a été une vision terrible», décrit-il, car ce catholique natif de Lausanne a une dévotion et une affection toute particulières pour Marie. Résolu à réparer cet acte, le retraité prend alors contact avec les autorités de la cathédrale pour voir ce qu’il est possible de faire. Il est bien accueilli, mais les responsables excluent le ciment et la truelle. Ils sont d’accord pour une reconstitution de la tête de la Vierge, du moment que cela reste virtuel.

L’IA à la rescousse

René Bugnion souscrit à l’option. D’autant plus qu’il y perçoit des opportunités sur le plan technologique et éducatif. Le retraité, qui a été dans la direction de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pendant 20 ans, continue de superviser des projets d’étudiants. Il se lance donc dans une collaboration avec Alexis Allemand, un étudiant en informatique spécialisé dans l’intelligence artificielle (IA) générative d’images. Le retraité, juriste de formation, n’est pas féru d’informatique, mais apporte sa profonde connaissance de l’art gothique.

L’objectif étant une «restauration-innovation» redonnant à la Vierge une forme correspondant au meilleur archétype de la statuaire gothique ainsi qu’au style des artisans de la cathédrale au début de sa construction, au 13e siècle.

Inculquer le sens du beau à la machine

Le duo se lance donc, courant 2024, dans ce travail de «fusion et juxtaposition» de différents modèles. «Alexis pianotait sur son ordinateur et je le dirigeais sur les canons de l’art gothique», explique René Bugnion. Un travail qui, au-delà d’avoir permis à l’étudiant de mettre en pratique ses compétences, a servi de validation de qualité pour les applications numériques en constante évolution.

Mais même si l’IA a aujourd’hui des capacités extraordinaires, elle ne peut pas (encore) se passer de l’expérience humaine. «Le problème c’est que dès que vous lancez l’IA, elle a des hallucinations, explique René Bugnion. On lui dit: ‘Fais-nous une Vierge gothique’, mais elle va chercher des modèles jusqu’au fin-fond de l’Inde… Après les premiers résultats, on s’est dit ‘on est fichu!’»

René Bugnion avec une reproduction sur tissu de « l’éveillée » | © Raphaël Zbinden

Il a donc fallu longuement «dialoguer» avec la machine, notamment en lui inculquant «le sens de la beauté». Pour ce faire, René et Alexis ont dû «nourrir» l’IA avec des archétypes de la splendeur gothique de cette époque. Parmi ceux-ci, la statuaire de la cathédrale de Chartres ou de Vézélay, dont la construction a été contemporaine de celle de Lausanne.

Le réveil de «l’éveilllée»

Mais René Bugnion est aussi allé chercher des archétypes à l’intérieur même de l’édifice vaudois. C’est en remarquant la statue de l’Assomption de Marie du célèbre Portail peint qu’il fait une importante découverte. Alors que l’œuvre n’est visible depuis le sol que de profil, c’est en la prenant en photo de face qu’il constate son incroyable beauté. Croyant tout d’abord qu’elle représente la Vierge, il finit par découvrir qu’il s’agit aussi de la fiancée du Cantique des cantiques.

«La Vierge récapitule en elle toute la création » – René Bugnion

Le passionné d’art gothique va surnommer cette figure «l’éveillée». Le seul bémol est que, prise en photo de face, une partie de son visage est masqué par le menton d’une autre statue du Portail peint. Le duo de «restaurateurs» se servira ainsi également de l’IA pour restituer son portrait en entier. Une image qui a donné lieu à des reproductions dans différents formats.

«Beaucoup de gens m’ont dit qu’ils voulaient la voir, la mettre chez eux, alors j’ai fait quelques photos et posters», explique René Bugnion. Une «éveillée» imprimée sur une bande de tissu est d’ailleurs exposée à la Librairie du Valentin.

Recherche de collaborations

Après de longs mois de travail, des reconstitutions en 2D et 3D de la Vierge du narthex ont vu le jour. Un résultat «relativement acquis», selon le retraité, qui rappelle que, dans le domaine, il est «très complexe» d’arriver à l’excellence. De cette aventure, un livre collectif a vu le jour en juin 2025, montrant que Notre-Dame de Lausanne «est le diadème de la mystique nuptiale médiévale en lien avec le Cantique des cantiques si cher à saint Bernard de Clairvaux et à son disciple et ami, saint Amédée, évêque de Lausanne.»

La version 3D de la Vierge du narthex, reconstituée par René Bugnion et Alexis Allemand | © DR

René Bugnion voudrait aller encore plus loin dans le projet. Alexis Allemand a pris une année sabbatique et le passionné d’art gothique cherche des étudiants qui pourraient l’aider. II pense à une collaboration avec Pyxis, le musée de l’art numérique, à Lausanne, ou à des applications plus concrètes de la reconstitution dans la cathédrale-même, notamment par hologramme.

Des cierges pour la ‘Madonnina’

En attendant, René Bugnion vit sa dévotion en allant régulièrement prier une statuette de Marie dans l’édifice. Car la Vierge y a fait depuis quelques années un retour discret. Un anonyme a en effet déposé dans la cathédrale réformée une petite effigie de la Mère de Dieu. La pasteure des lieux n’a pas voulu l’enlever, ce que le retraité décrit comme un «très beau geste de tolérance». L’artefact, surnommé la ‘Madonnina’ est ainsi devenu la première représentation entière en trois dimensions de la Vierge à trouver refuge dans l’édifice protestant depuis près de 500 ans.

Des personnes viennent désormais mettre des cierges et prier auprès de la statuette. Une petite réminiscence, pour René Bugnion, du temps où Lausanne était un haut lieu de pèlerinage marial. Au Moyen-Âge, plus de 70’000 personnes faisaient chaque année le chemin jusqu’à la cathédrale. Récemment, Mgr Martin Krebs, nonce apostolique en Suisse, est également venu mettre un cierge devant la ‘Madonnina’.

Marie, unificatrice et consolatrice

Une dévotion aujourd’hui plus nécessaire que jamais, assure le Lausannois né en 1957. «La Vierge récapitule en elle toute la création. Elle est à la fois fille du Père, mère du Fils et épouse du Saint-Esprit.» René Bugnion rappelle aussi qu’elle est un point de contact entre les religions. Marie est notamment citée 34 fois dans le Coran. Dans plusieurs endroits du monde, se déroulent des pèlerinages mariaux communs aux musulmans et aux chrétiens.

Elle possède aussi un immense pouvoir d’intercession, fait remarquer le retraité. Elle représente, surtout, une figure consolatrice majeure. Une dimension importante dans une période aussi troublée que la nôtre. (cath.ch/rz)

Référence du livre: En Quête d’une Cathédrale, de Jérusalem au Jardin du Cantique des cantiques à Lausanne, Librairie Le Valentin

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/la-vierge-est-de-retour-a-la-cathedrale-de-lausanne/