Lorsque Maria, la bonne, entre dans le bureau de Lazzaro Spallanzani, ce 5 avril 1778, elle n’en croit pas ses yeux. Des petits crapauds s’agitent en tous sens sur l’une des tables. Mais le plus étrange est que les batraciens sont affublés de caleçons. Devant l’air ahuri de la bonne, le prêtre part d’un rire sonore. «C’est une expérience Maria, il s’agit de découvrir le principe de reproduction des êtres vivants.»
La tâche de Lazzaro Spallanzani (1729-1799) est loin d’être futile. À son époque, on n’en sait encore que très peu sur les mécanismes de la reproduction. Si les ovules et les spermatozoïdes ont été observés au microscope, leur rôle reste mystérieux. Certains croient encore que les gamètes contiennent depuis la création du monde des homonculi (petits hommes) emboîtés les uns dans les autres. D’autres éminents spécialistes prétendent que les êtres vivants possèdent des atomes qui se détachent à un certain moment de l’organisme, permettant ainsi la transmission de la vie.
Le prêtre italien parvient, lui, à montrer que les gamètes des deux sexes sont indispensables à la conception, en tout cas chez les batraciens. De là son obsession à faire des crapauds mâles des égéries de Calvin Klein. Les animaux culottés éjaculent à la vue des grappes d’ovules pondues par les femelles. Mais la semence étant ainsi retenue, Lazzaro Spallanzani constate qu’aucune conception ne se produit. En revanche, chez les crapauds moins à la mode, de nombreux têtards apparaissent après quelques jours.
Mais le jésuite pousse plus loin ses recherches. Il effectue la première fécondation artificielle en déposant sur les œufs, depuis les caleçons souillés, le sperme des crapauds. Don Spallanzani réalise plus tard une fécondation chez une chienne, en introduisant dans son vagin de la semence collectée d’un mâle. Les chiots nés de cette expérience confirment que le sperme contient le principe actif de la reproduction.
Avec toutes ces manipulations, Lazzaro Spallanzani «a conscience de toucher au mystère de la vie, relate Le Livre des Merveilles. En a-t-il vraiment le droit, lui, prêtre de l’Église catholique?» En fait, il n’a jamais opposé sa vocation de savant et sa vocation religieuse, bien au contraire. L’Italien désirait ardemment comprendre les merveilles de la création pour mieux en rendre grâce et collaborer par ses recherches à l’œuvre divine.
Né à Reggio en Émilie, dans le nord de l’Italie en 1729, Lazzaro Spallanzani est destiné par son père à une carrière de juriste. Il le décevra quelque peu en optant pour le sacerdoce. En 1754, il est ordonné prêtre dans la Compagnie de Jésus et professeur à l’Université de Reggio, où il enseigne la logique, la métaphysique et la littérature grecque. Mais rien ne l’intéresse plus que les mystères de la nature. Il obtient de ses supérieurs de concilier ses recherches avec sa vie de prêtre. Il s’y adonnera avec passion et créativité. Outre la biologie, ce touche-à-tout réalisera des travaux pionniers en volcanologie, parmi les plus modernes du 18ᵉ siècle, ainsi que des observations systématiques des phénomènes atmosphériques.
« Lazzaro Spallanzini pratique les premières transplantations réussies de l’histoire de la biologie »
Il découvre en fait assez rapidement que la biologie de son époque manque de rigueur. Les naturalistes, même les plus éminents, restent sur le terrain théorique pour aborder la plupart des questions. Ils n’accordent qu’une part modeste à l’expérience.
Dès le début de ses recherches, alors qu’il n’est encore qu’un jeune abbé, Spallanzini veut aller au-delà des spéculations. Il met notamment au point des milieux de culture artificiels où il parvient à maintenir en vie des êtres très petits, qu’il observe au microscope. Pourquoi, dès lors, invoquer d’hypothétiques atomes vitaux, alors que la seule observation suffit à montrer que les organismes les plus infimes sont bel et bien vivants?
Cette découverte des micro-organismes ouvre la voie à Pasteur et aux vaccins. Dès 1768, alors qu’il hérite de la direction du Muséum de Pavie, le prêtre italien entreprend une série d’expériences révolutionnaires sur la régénération des êtres vivants élémentaires. Plus encore, il pratique sur eux les premières transplantations réussies de l’histoire de la biologie. Au fil des ans, il étend ses activités dans tous les secteurs de la discipline.
«Mais Spallanzini ne va pas plus loin; en conscience, il ne le peut probablement pas», suppute Le Livre des Merveilles. «Le prêtre italien sait qu’il est un mystère qui appartient à Dieu seul: celui de la vie spirituelle et singulière que Dieu insuffle à chaque être humain. Spallanzini sait que, là, l’homme de science est muet et laisse la parole à l’homme de foi.»
Ses recherches et ses méthodes ont cependant permis à d’autres d’aller beaucoup plus loin et de repousser les limites de la mortalité humaine. Claude Bernard, notamment, qui systématisera au siècle suivant la médecine expérimentale. On doit en particulier au savant français les notions qui ont grandement influencé le fondement de la physiologie moderne: le concept de milieu intérieur et celui de régulation du milieu intérieur (homéostasie). (cath.ch/livredesmerveilles/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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