«Ici, presque toutes les familles ont été touchées par la guerre, assure Taras Ovsianyk. C’est un frère, un voisin, un proche qui a été tué. Je crois que chacun souffre, mais d’une manière qui peut être très différente.»
Le prêtre gréco-catholique est en charge de la communauté ukrainienne de Lausanne depuis le 1er mars 2025. Il a remplacé dans cette fonction le Père Sviatoslav Horetskyi, parti à Genève. Originaire de la région de Lviv, dans l’ouest du pays, Taras Ovsianyk a quitté sa patrie en 2015 et n’y est pas retourné depuis. Sa connaissance de la situation en Ukraine lui vient donc principalement des récits des réfugiés qui fréquentent la communauté.
Les Ukrainiens n’étaient, jusqu’en février 2022, que très peu nombreux en Suisse romande. L’éclatement de la guerre a fait nettement augmenter cette population. Aujourd’hui, de 50 à 60 personnes assistent aux messes célébrées en langue ukrainienne et en rite byzantin (gréco-catholique) deux dimanches par mois dans l’église du Sacré-Cœur, à Lausanne. «Nous sommes très bien accueillis ici», souligne Taras Ovsianyk, qui tient à remercier la paroisse.

Au sens large, la communauté est fréquentée par une centaine de personnes, résidant en grande majorité dans le canton de Vaud. Mais le mot «communauté» ne convient pas tout à fait au prêtre gréco-catholique. Plus de 90% des participants aux messes et aux activités sont des réfugiés. Le reste est composé d’une population résidant de longue date dans la région. La présence des personnes réfugiées dépend largement de leur statut et de leur situation, souvent instables. «Donc notre plus grand défi est justement de ‘faire communauté’ et de ne laisser personne de côté, qu’il s’agisse d’Ukrainiens installés depuis longtemps ou de nouveaux arrivés.»
Pour répondre à cela, et même si la messe reste centrale, un certain nombre d’activités collectives, parfois sans lien direct avec la religion, ont été mises en place. Un temps de partage est notamment proposé après les célébrations. «Nous faisons une petite catéchèse pour approfondir les sujets brûlants de l’actualité ou des thématiques particulières de la Bible. Cela peut-être la haine ou l’amour pour les ennemis…»
Des sujets qui tournent, évidemment, fréquemment autour de la guerre. «Ce sont des questions qui apparaissent dans les conversations privées», note le prêtre. »Les gens s’interrogent sur le mal, sur la souffrance dans le monde, le pourquoi de ce qui leur arrive…»
Le prêtre habitant Fribourg depuis 2023 est toujours disponible pour éclairer les personnes sur des points de théologie ou apporter un soutien à ceux qui le demandent. Il reste cependant modeste sur ce qu’il peut apporter. «Je suis conscient que n’étant plus en Ukraine depuis dix ans, je ne peux pas vraiment comprendre ce qu’ont vécu ces gens. Souvent, il est plus réconfortant pour une femme qui a dû fuir à cause des bombardements de discuter avec une autre femme qui a traversé la même chose.» Pour le prêtre, le principal avantage de la communauté est donc de permettre aux Ukrainiens de se rencontrer, de partager leur parole, d’évacuer leurs émotions, et finalement de se soutenir les uns les autres.
Taras Ovsianyk relève les situations de vie très différentes qui demandent une approche adaptée. «Certains Ukrainiens ont du travail, parlent déjà le français, sont bien intégrés. D’autres ont plus de difficultés à s’acclimater à la Suisse. Des personnes qui ont dû partir n’avaient jamais mis les pieds à l’étranger avant. Pour les plus âgés, apprendre la langue peut être compliqué.»
Mais le prêtre explique «ne pas faire de hiérarchie dans la souffrance». «Des personnes ont vécu des choses vraiment horribles, mais parviennent à les surmonter. D’autres rencontrent des obstacles que l’on pourrait trouver moins graves, mais ont moins de ressources pour y faire face. Tous ont droit au même soutien.»
Les messes et activités communes offrent aux Ukrainiens de Suisse romande un moyen de se reconnecter avec leur langue et leur culture. Des sorties telles que des pique-niques ou des pèlerinages – dont un à Lourdes en 2025 – sont organisées régulièrement.
Des événements sont aussi vécus au sein de la communauté locale. L’Épiphanie, ainsi que Nouvel An sont notamment fêtés avec les paroissiens du Sacré-Cœur. Le 29 novembre prochain, la communauté ukrainienne participera à la messe de l’Avent à la cathédrale de Lausanne, présidée par Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). La célébration sera plurilingue et animée par les différentes missions et communautés linguistiques présentes dans le canton de Vaud. «Il est important d’avoir des contacts réguliers avec l’Église en Suisse et avec les autres communautés, souligne le prêtre ukrainien. Même si l’on ne comprend pas la langue et qu’il est difficile de participer, le principal est de pouvoir prier ensemble, d’être présents.»
« Au fond de la tête de tous, il y a la situation en Ukraine, la façon dont elle va évoluer »
La communauté connecte comme aucune autre structure les Ukrainiens de la région. La majeure partie des personnes qui viennent au Sacré-Cœur n’étaient pas proches de l’Église lorsqu’elles étaient en Ukraine, devine Taras Ovsianyk. «Certains ont fréquenté les messes et sont devenus pratiquants, ils ont commencé à demander des sacrements». Le prêtre relève toutefois la difficulté de pratiquer sa foi lorsque l’on est forcé à l’exil. Il admet que de nombreuses personnes qui pratiquaient en Ukraine ont arrêté d’aller à l’église en arrivant en Suisse.
La communauté de Lausanne accueille en fait bien au-delà de l’Église gréco-catholique, voire catholique. «Un certain nombre de personnes d’autres confessions viennent aux messes. Des orthodoxes, notamment. Mais je ne demande pas, bien sûr, la confession des gens. Pour les orthodoxes, du moment qu’il y a l’intercommunion, l’Eucharistie n’est pas un problème.» L’importante diversité religieuse de l’Ukraine fait que l’hospitalité inter-ecclésiale est dans les mœurs. «Les gens ont l’habitude de choisir l’église qui est la plus proche de chez eux et qui fournit un service correct. Ils ne cherchent pas forcément un culte qui correspond à leur confession.»
La grande solidarité et l’élan vital qui traversent la communauté font que, malgré la situation douloureuse, la guerre et l’exil peuvent être oubliés, rendant possibles de nombreux moments de joie, souligne son responsable. Des liens forts se sont tissés entre ses membres, ce qui se manifeste notamment par des projets spontanés. Une chorale de chants traditionnels d’une dizaine de personnes s’est par exemple créée.
Mais, pour Taras Ovsianyk, le plus grand défi pour l’esprit communautaire est l’incertitude face à l’avenir. «Au fond de la tête de tous, il y a la situation en Ukraine, la façon dont elle va évoluer. Et cela rend difficile de se projeter dans le temps. On se demande forcément: ‘où sera-t-on dans un an? Se retrouvera-t-on ici avec les mêmes personnes?’» (cath.ch/rz)
Ordonné prêtre en 2018 en Ukraine, Taras Ovsianyk, 32 ans, assure la charge pastorale des communautés ukrainophones catholiques de rite byzantin à Lausanne et à Bâle. Il poursuit parallèlement un doctorat en exégèse biblique du Nouveau Testament et des écrits intertestamentaires à l’Université de Fribourg. Il a précédemment étudié et vécu en France, en Italie et en Israël. LB
Raphaël Zbinden
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