Quatre papes ont précédé Léon XIV en Turquie, pivot entre l’Occident et l’Orient

En posant le pied en Turquie le 27 novembre prochain, Léon XIV sera le cinquième pape à visiter ce pays, après Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François. Le principal objectif de ces voyages a toujours été de manifester le dialogue fraternel entre Rome et Constantinople, et donc avec le monde orthodoxe, mais la dimension interreligieuse a pris une importance croissante dans le contexte très particulier de l’islam turc. I.MEDIA revient sur les enjeux des quatre précédents voyages.

1967: Paul VI, le pape du rapprochement avec l’orthodoxie

Le premier pape à se rendre en Turquie est Paul VI, les 25 et 26 juillet 1967. Ce cinquième voyage apostolique du pontife italien (après la Terre sainte, l’Inde, New York et Fatima) lui permet alors de poser de nouveaux jalons œcuméniques, dans la lignée du Concile Vatican II. L’enjeu principal est en effet sa visite au Phanar, le siège du patriarcat de Constantinople, pour y retrouver Athénagoras (1886-1972), patriarche avec lequel il a établi de spectaculaires avancées pour le rétablissement de la confiance entre catholiques et orthodoxes.

Trois ans auparavant, sa rencontre historique avec Athénagoras à Jérusalem avait permis d’ouvrir la voie à la levée, l’année suivante, des excommunications réciproques entre Rome et Constantinople formulées 910 ans auparavant, lors du Grand Schisme de 1054. Sa visite de juillet 1967, qui précède celle d’Athénagoras à Rome quelques mois plus tard, est l’occasion de Paul VI de s’exprimer clairement en faveur d’un rétablissement de la communion avec l’Église orthodoxe.

Paul VI rencontre le patriarche de Constantinople Athénagoras, ici à Jérusalem. Cette image fera le tour du monde | © Vatican Media

«Si l’unité de foi est requise pour la pleine communion, la diversité d’usages n’y est pas un obstacle, bien au contraire», déclare Paul VI durant sa visite au siège de ce patriarcat disposant d’une autorité symbolique sur l’ensemble du monde orthodoxe. 

«La charité nous permet de mieux prendre conscience de la profondeur même de notre unité, en même temps qu’elle rend plus douloureuse l’impossibilité actuelle de voir cette unité s’épanouir en concélébration, et nous incite à tout mettre en œuvre pour hâter la venue de ce jour du Seigneur», lance Paul VI, estimant qu’il incombe aux chefs des Églises de guider leurs fidèles «sur la voie qui conduit à la pleine communion retrouvée». 

Outre cette étape à Istanbul, Paul VI se rend aussi à Ephèse, pour visiter la maison de la Vierge Marie. Ce sanctuaire, à la fois visité par les chrétiens et les musulmans, est le fruit d’une tradition assyrienne – probablement symbolique – selon laquelle Marie fut emmenée dans ce lieu par l’évangéliste Jean après la crucifixion du Christ afin de fuir les persécutions à Jérusalem.

Ce voyage lui donne aussi l’occasion de saluer les autorités et d’exprimer son soutien à la population de la Turquie, affectée peu avant le voyage par un violent tremblement de terre. Paul VI bénéficie d’une certaine proximité de la Turquie avec le Saint-Siège, liée au parcours de son prédécesseur Jean XXIII. Mgr Angelo Roncalli avait en effet occupé la charge de délégué apostolique en Turquie entre 1935 et 1944, un rôle dans lequel il s’était déployé avec un charisme inattendu. Il avait choqué ses propres supérieurs à Rome en assumant de demeurer en civil, compte tenu des règles de laïcité en vigueur en Turquie, et en intégrant la langue turque dans certaines séquences liturgiques.

1979: Jean Paul II lance la tradition du voyage de la Saint-André

Après le très bref pontificat de Jean Paul Ier qui, naturellement n’eut pas le temps de voyager malgré son vif intérêt pour les questions œcuméniques, Jean Paul II choisit la Turquie comme destination de son quatrième voyage apostolique, du 28 au 30 novembre 1979. La date du 30 novembre correspond à la Saint-André, patron de l’Église de Constantinople: ce calendrier sera également choisi par les successeurs de Jean Paul II qui se rendront en Turquie au début de leur pontificat.

Dans la continuité de Paul VI, le pontife polonais est reçu par le successeur d’Athénagoras, le patriarche Dimitrios Ier (1914-1991) et lui confirme le désir de «marcher ensemble vers cette pleine unité que de tristes circonstances historiques ont blessée, surtout au cours du deuxième millénaire». Dans une déclaration commune, Jean-Paul II et Dimitrios Ier appellent à une «purification de la mémoire collective de nos Églises» et instituent la commission mixte catholique-orthodoxe pour le dialogue théologique. Jean-Paul II se rend aussi à Ephèse pour y célébrer une messe, et salue les autorités turques à Izmir. 

2006: Benoît XVI, un voyage parasité par la controverse de Ratisbonne

Si l’enjeu œcuménique est naturellement prégnant aussi pour la visite de Benoît XVI du 28 novembre au 1er décembre 2006, l’attention médiatique se déplace vers la question brûlante du dialogue avec l’islam, quelques semaines après son discours prononcé à Ratisbonne, en Allemagne, dans lequel il avait cité un empereur byzantin assimilant l’islam à la violence. De violentes manifestations s’étaient alors produites dans certains pays à majorité musulmane, conduisant même à l’assassinat, en Somalie, de la religieuse italienne Leonella Sgorbati, qui sera béatifiée en 2018.

Malgré des manifestations hostiles à sa venue, Benoît XVI parvient à désamorcer la tension lors de sa rencontre avec les autorités musulmanes, et en prenant l’initiative de visiter la Mosquée Bleue à Istanbul, alors que cette étape ne figurait pas dans le programme initial. Les images du pape se déchaussant et prenant un temps de méditation auprès du mufti d’Istanbul, Mustafa Cagrici, représentent un signe de respect très apprécié par la population musulmane turque. Le pape allemand visite aussi la basilique Sainte-Sophie, qui était alors un simple musée.

30 novembre 2006: Visite de Benoît XVI à la Mosquée Bleue d’Istanbul | Arch./Alessia Guiliani CPP/Ciric

Un aspect original de ce voyage sera aussi l’éloge inattendu formulé par Benoît XVI à l’égard du modèle turc de laïcité. «Sans doute est-il utile de rappeler que le Père de la Turquie moderne, Kemal Atatürk, avait devant lui la Constitution française, comme modèle de reconstruction de la Turquie», déclare Benoît XVI dans l’avion le conduisant vers Ankara, première étape de ce voyage. «À l’origine de la Turquie moderne figure le dialogue avec la raison européenne et avec sa pensée, sa façon de vivre, pour être réalisé de façon nouvelle dans un contexte historique et religieux différent», déclare le pontife allemand avec une délicatesse perçue avec étonnement en Turquie.

Le pape se rendit aussi à Ephèse et à Istanbul, où l’enjeu œcuménique fut naturellement un point central de ce voyage. Le patriarche Bartholomée Ier reçoit Benoît XVI au Phanar, dans une ambiance fraternelle mais avec là encore les tensions internationales en filigrane. «Nous encourageons l’établissement de rapports plus étroits entre les chrétiens et d’un dialogue interreligieux authentique et loyal, en vue de lutter contre toute forme de violence et de discrimination», déclarèrent les deux chefs d’Église dans une déclaration commune. 

Ils promirent de persévérer dans «la marche vers la pleine unité» avec l’objectif de rétablir «la pleine communion», tout en confirmant le mandat confié à la commission mixte catholique-orthodoxe, après quelques années de suspension des travaux, pour traiter les «questions encore controversées». 

2014: François et le cap vers l’Orient

Huit ans plus tard, c’est le regard tourné vers un Moyen-Orient à feu et à sang que François s’envole vers la Turquie. Ce voyage, organisé du 28 au 30 novembre 2014, met en lumière le choix posé par le Saint-Siège de s’appuyer sur la Turquie comme interlocuteur incontournable pour affronter les défis géopolitiques de la région, l’accueil des migrants en fuite de la Syrie et de l’Irak, quelques mois après l’offensive de Daech sur Mossoul et la plaine de Ninive.

Reçu par le président Recep Tayyip Erdogan à Ankara dans un palais présidentiel où il est est le premier chef d’État étranger à visiter, François se rend le lendemain à Istanbul et visite Sainte-Sophie et la Mosquée bleue, avant de célébrer une messe en la cathédrale catholique du Saint-Esprit puis de rencontrer le patriarche Bartholomée Ier à deux reprises. 

Le pape François, patriarche d’Occident et le patriarche oecuménique Bartholomée, ici en 2014, discutent dans la perspective des 1700 ans du Concile de Nicée, en 2025 | © Wikimedia Commons

Les deux chefs d’Église signent une déclaration commune. «Nous exprimons notre sincère et ferme intention, dans l’obéissance à la volonté de Notre Seigneur Jésus Christ, d’intensifier nos efforts pour la promotion de la pleine unité entre tous les chrétiens et surtout entre catholiques et orthodoxes», écrivent François et Bartholomée, qui s’étaient retrouvés à Jérusalem six mois auparavant. Les deux hommes développeront une forte amitié au fil de la décennie.

«Nous ne pouvons pas nous résigner à un Moyen-Orient sans les chrétiens qui y ont professé le nom de Jésus pendant deux mille ans», avertissent le pape et le patriarche dans ce texte marqué par la situation dramatique des chrétiens d’Irak et de Syrie. «L’Église restera à vos côtés et continuera à soutenir votre cause à la face du monde », promet François dans ses derniers mots prononcés sur le sol turc, devant des réfugiés pris en charge par les religieux salésiens.  

Si son état de santé le lui avait permis, François serait probablement revenu une seconde fois en Turquie au printemps dernier afin de participer à la commémoration du Concile de Nicée, initialement prévue pour la fin du mois de mai. Avec six mois de décalage, le premier voyage de Léon XIV sera donc une occasion de «boucler la boucle» en assumant le dernier engagement international prévu par le pape François. (cath.ch/imedia/cd/bh)

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