À Rome avec Fratello: «J’ai vraiment vu l’Église des pauvres ici»

À l’occasion du Jubilé des pauvres et de la IXe Journée mondiale des pauvres – qu’elle avait inspirée au pape François – l’association Fratello a accompagné près de 1’500 francophones, dont une centaine de Suisse, à Rome du 14 au 16 novembre 2025. I.Média a suivi ces pèlerins, qui connaissent ou ont connu la précarité, accompagnateurs et personnes engagées auprès des nécessiteux, dans leur périple «un peu fou» qui les a amenés à rencontrer Léon XIV au Vatican.

Reportage: Camille Dalmas / I.Média

Dimanche 16 novembre, sur la place Saint-Pierre, Laurent, une casquette rose sur la tête, ne semble plus savoir où poser son regard, lui qui découvre Rome pour la première fois. Ce grand barbu aux yeux clairs confie avoir été «choqué» par sa découverte du Vatican, et notamment de l’intérieur de la basilique Saint-Pierre, où il a assisté à la messe de Léon XIV. «C’est grandiose, un lieu d’histoire, je ne sais pas comment expliquer ça», raconte de sa voix rocailleuse ce soixantenaire, venu avec un petit groupe de l’agglomération de Rouen.

Pendant les trois derniers jours, Laurent a beaucoup marché dans Rome, beaucoup visité. Une de ses collègues explique avoir été très marquée par des tableaux «absolument magnifiques» du Caravage, qu’ils sont allés contempler ensemble dans l’église Saint-Louis-des-Français. Ce célèbre «Triptyque de saint Matthieu» était tout particulièrement aimé de François, qui avait retrouvé sa propre vocation dans celle peinte par le génie italien de la lumière et des ombres.

L’héritage de François au cœur du Jubilé

À Rome, le souvenir du pape argentin, créateur de la Journée mondiale des pauvres en 2017, est toujours présent, plus de six mois après sa mort. Alors qu’il accompagne le groupe rouennais, Wilson, «extraordinairement marqué» par ce séjour, se dit heureux de constater que «Léon XIV a vraiment repris l’héritage de François». «J’ai vraiment vu l’Église des pauvres ici», assure-t-il, les mains sur le cœur pour dire toute sa gratitude.

Lors de l’Angélus ce dimanche, Léon XIV a annoncé «remettre» symboliquement au peuple de Dieu son exhortation apostolique Dilexi te, parue quelques semaines auparavant. Le pontife a confié avoir complété «avec une grande joie» ce document dont son prédécesseur avait commencé la rédaction peu avant sa mort.

Un dîner solidaire

Comme François avant lui, le pape américano-péruvien a organisé un déjeuner solidaire au Vatican, avec des sans-abris, des familles en difficulté, des chômeurs et des migrants, tous rassemblés dans la salle Paul VI. Mais il n’y avait pas assez de place pour les 1’500 pèlerins de Fratello, qui ont finalement pu organiser leur pique-nique fraternel dans les jardins du Vatican, juste à côté de la reproduction de la grotte de Lourdes.

Ce repas convivial, point d’orgue de trois jours de pèlerinage, a été interrompu par l’arrivée soudaine du pape, accueilli par les vivats des «Fratelli» – les membres du réseau Fratello. Visiblement heureux de cette rencontre, Léon XIV les a gratifiés d’un petit discours improvisé, en partie en français. «La fraternité, oui, c’est la vie», leur a-t-il affirmé dans la langue de Molière avant de les bénir. Il a aussi chaleureusement remercié les organisateurs de ce pèlerinage pour leur engagement.

«Si on est là, c’est parce qu’on a notre place», assure Dalia-Agnès, une Parisienne qui explique avoir vécu un «séjour intense, plein de grâce», mais reconnaît être aussi un peu déçue de ne pas avoir pu échanger avec Léon XIV, qui est resté seulement une dizaine de minutes. Cette quadragénaire, en recherche d’une alternance comme assistante de direction, confie en revanche avoir été très marquée par sa rencontre avec le cardinal François Bustillo, lors d’un temps d’échange à l’église de la Trinité-des-Monts. «Il a montré une grande sensibilité pour les personnes qui sont vulnérables, qui connaissent la précarité», assure-t-elle.

Derrière Notre-Dame de Tendresse

S’insérant dans l’agenda bien chargé du Jubilé, le pèlerinage de Fratello n’est pas passé inaperçu à Rome, où les casquettes et foulards roses des participants apparaissaient à tous les coins de rue du centre historique. Des visites, des messes, mais aussi deux veillées ont été exceptionnellement organisées dans la Ville éternelle. La première s’est tenue vendredi soir à Saint-Paul-hors-les-Murs, où un «chœur des Fratelli», constitué de personnes touchées par la précarité et professionnels du gospel, a ravi son auditoire.

Puis il y a eu le temps de prière marial à la lumière des bougies sur la place Saint-Pierre, marqué par une longue procession autour de l’obélisque, derrière la statue de Notre-Dame de Tendresse. Gisèle, une soixantenaire de Romont (FR) passée par la précarité, a suivi l’effigie mariale, que l’on avait habillée d’un patchwork de tissus envoyés du monde entier, se réjouissant de ce «temps de grâce».

La Suissesse confie avoir un peu hésité à venir, notamment parce qu’elle est protestante, mais s’être finalement laissée convaincre: elle a beaucoup d’amis catholiques, notamment dans une chorale où elle chante régulièrement. «C’est un peu fou, mais je me suis vraiment laissée imprégner par toute cette fraternité et cette espérance», explique-t-elle, contente d’avoir fait «tellement de choses», notamment une visite marquante de la caserne de la Garde suisse.

Nicolas, très recueilli, suit lui aussi la procession. Ce jeune homme vit dans une colocation de l’association Lazare à Toulouse depuis quelques mois, où il partage son quotidien avec d’anciens sans-abri. Plusieurs d’entre eux ont demandé à les accompagner à Rome, et ils ont passé ensemble la «Porte sainte». «C’est très important que l’Église organise ce genre d’événement, parce que tout prend sens à partir du moment où on passe à l’action et où on se met au service de son prochain», insiste-t-il. (cath.ch/imedia/cd/bh)

| © R. Zbinden

Les pauvres à la première place
«Je garde cette image du banquet que les pauvres ont partagé le dimanche midi dans les jardins du Vatican. Les gens ont été très touchés et se sont sentis privilégiés. C’était beau de voir leur joie. Je suis toujours touché lorsque les pauvres se retrouvent à la première place. Dommage que ce soit de temps en temps», confie le diacre Pascal Bregnard à cath.ch.
Il a été sensible au fait que le pape rappelle, comme dans son exhortation apostolique Dilexi te, que l’Eglise devait être partie prenante dans la lutte contre la pauvreté et qu’elle ne pouvait pas passer à côté des pauvres. «L’espérance pour les pauvres, ce n’est pas de la sculpture sur nuages, c’est agir maintenant!», lance-t-il.
Au titre de l’anecdote: «Vendredi soir, à la veillée miséricorde, à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, je voyais bien qu’un participant n’osait pas se rendre seul à l’autel déposer son intention de prière. Je lui ai proposé de l’accompagner, son visage s’est éclairé. C’est le sens de la vie fraternelle: accompagner les plus fragiles, ne serait-ce que sur un bout de chemin.» BH

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