La RKZ veut séparer vie privée et mandat ecclésial

Les personnes en situation de vie ›irrégulière’ selon le droit de l’Église peuvent-elles recevoir un mandat épiscopal pour travailler en Église? Pour les évêques suisses, cette question doit essentiellement être traitée au cas par cas. La Conférence centrale catholique romaine (RKZ) suggère de son côté le 18 novembre 2025, une approche globale avec une portée juridique réelle.


Pour la Conférence centrale catholique romaine (RKZ) le document des évêques suisses sur le lien entre le mode de vie des agents pastoraux et le mandat épiscopal* qui leur est confié ›n’atteint pas encore son objectif’. Plutôt que traiter au cas par cas les agents pastoraux vivant en situation ›irrégulière’ selon le droit de l’Église, la RKZ demande une décision de principe générale avec une incidence juridique réelle concernant le droit du travail.

Dans le droit du travail

Selon la RKZ la vie privée des agents pastoraux dans l’Église suisse ne devrait plus avoir d’importance au regard du droit du travail. C’est ce qu’avait demandé il y a deux ans l’organisation faîtière des Églises cantonales. La vie de couple ne devrait pas avoir d’incidence ni sur l’embauche ni sur le licenciement des personnes.

Après ›l’état des lieux’ présenté par la Conférence des évêques suisses (CES) le 17 novembre 2025, cet objectif «n’est pas encore atteint », déplore la RKZ. «Cette question du mode de vie est un sujet important pour nous, car elle concerne de nombreux agents pastoraux», a indiqué à kath.ch Urs Brosi, secrétaire général de la RKZ. «C’est pourquoi nous voulons persévérer.»

Les évêques auraient pu en décider autrement

La RKZ se réfère en particulier à la réglementation de la Conférence épiscopale allemande de 2022. Celle-ci stipule que le mode de vie ne doit être pris en compte ni pour l’embauche ni pour le licenciement. «Le droit canonique offre une marge de manœuvre juridique», explique Urs Brosi. C’est pourquoi la Conférence épiscopale allemande n’a reçu aucune critique de la part du Vatican. Le secrétaire de la RKZ est convaincu que les évêques suisses auraient également pu en tirer parti.


Le lien entre vie privée et mandat épiscopal (mission canonique) concerne les collaborateurs et collaboratrices qui vivent dans des relations dites ›irrégulières’. Il s’agit par exemple de personnes vivant en partenariat hétérosexuel ou homosexuel hors mariage, de personnes mariées uniquement civilement ou divorcées et remariées. Selon les attentes des évêques, ces personnes devraient se rapprocher des idéaux de la vie chrétienne. Pour tous ceux qui ne sont pas mariés à l’église, cela signifie, selon la doctrine catholique, devoir vivre dans la chasteté et l’abstinence, rappelle la RKZ dans son communiqué.

Prudence des évêques

Certes que les évêques suisses s’expriment avec prudence et réserve sur ces situations. Mais ils rappellent que « l’organisation des relations » et une « approche responsable de la sexualité » restent des critères pour le service de l’Église. «Les agents pastoraux dont la situation personnelle s’écarte des directives de l’Église savent que cela peut avoir des conséquences sur leur mission.» Mais pour la RKZ, avoir renoncé à établir un catalogue de règles et de critères pour cette appréciation est une erreur.

Explorer les possibilités juridiques

La RKZ indique vouloir défendre sa revendication dans le cadre d’un dialogue direct avec les évêques et en soutenant les collectivités ecclésiastiques cantonales qui explorent les possibilités juridiques. Si aucune solution consensuelle n’est trouvée, la situation pourrait dégénérer en conflit et peser sur le système ecclésiastique dual qui prévaut en Suisse, estime Urs Brosi.

Un ‘état des lieux’ qui reflète la complexité des situations

Dans leur document intitulé : «État des lieux de la pratique dans les diocèses suisses en ce qui concerne le lien entre le mandat épiscopal et le mode de vie des prêtres, des diacres et des agents pastoraux laïcs et agentes pastorales laïques» les évêques suisses ont apporté leur vision de ces situations. Le titre de leur prise de position révèle déjà en lui seul l’extrême prudence des responsables.

Après un développement historique et théologique assez approfondi, du IIIe siècle à Amoris Laetitia du pape François en 2016, les évêques ont décidé de ne pas publier de catalogue de règles et de critères, mais proposent de prendre compte des réalités actuelles de la vie et invitent au discernement spirituel. «Deux personnes peuvent faire la même chose, mais ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas seulement l’apparence extérieure, mais aussi l’attitude du cœur qui détermine si nos actions sont conformes à l’Évangile,» reléve le document.

Rester en dialogue

La CES reprend cependant le no 297 d’Amoris Laetitia dans lequel le pape François donne un critère de discernement important: «Je ne me réfère pas seulement aux divorcés engagés dans une nouvelle union, mais à tous, en quelque situation qu’ils se trouvent. Bien entendu, si quelqu’un fait ostentation d’un péché objectif comme si ce péché faisait partie de l’idéal chrétien, ou veut imposer une chose différente de ce qu’enseigne l’Église, il ne peut prétendre donner des cours de catéchèse ou prêcher, et dans ce sens il y a quelque chose qui le sépare de la communauté (cf. Mt 18, 17). Il faut réécouter l’annonce de l’Évangile et l’invitation à la conversion.»
«Pour nous, évêques de Suisse, il est très important de rester en dialogue personnel, honnête et fraternel avec les agents pastoraux», concluent-ils.
Le cas par cas retenu par les évêques suisses résulte aussi de la structure de l’Église catholique ou chaque évêque est responsable de son diocèse et où la Conférence des évêques n’a pas de compétence canonique sur les diocèses qui la compose. (cath.ch/mp)

*Il faut préciser que de nombreux employés l’Église, notamment dans les domaines administratif, financier, technique, éducatif, matériel etc, ne sont pas au bénéfice d’une mission canonique et ne sont donc pas soumis à ces prescriptions.

Un cas dans le diocèse de Sion… et au Vatican
Parmi les cas qui défrayent régulièrement la chronique autour des modes de vie des agents pastoraux, un d’entre eux a concerné le diocèse de Sion en 2018. Une jeune femme de 27 ans a du quitter son emploi d’agente pastorale laïque à cause de sa relation avec un homme en instance de divorce, rapportait alors Le Nouvelliste.
Convoquée à évêché à plusieurs reprises pour parler de sa situation personnelle, après diverses rumeurs, elle se voit alors priée de ›choisir’ dans un délai de six mois. Comme elle refuse de quitter son compagnon, l’évêque lui signifie son licenciement.
«Quelqu’un qui est mandaté officiellement par l’évêque pour collaborer à l’annonce de l’Évangile s’engage à faire ce que l’Église propose. Si ce n’est pas le cas, ›l’incohérence’ des comportements scandalisera communauté et pose problème. C’est aussi pour éviter ce choc, que nous avons été amenés à prendre cette décision», expliquait alors Mgr Lovey.
Le lien a cependant été maintenu entre le diocèse et cette personne. Elle a été réintégrée cinq ans plus tard. Mgr Lovey lui a redonné un mandat, précisément au nom du discernement «au cas par cas», et du constat que la situation de scandale, qui prévalait en 2017, n’était plus actuelle. Elle travaille actuellement toujours en pastorale.
La banque du Vatican (IOR) a elle même connu ce genre de situation. Deux de ses employés, qui venaient de vivre un parcours de reconnaissance de nullité de leurs premiers mariages, avaient décidé de se remarier. Or les statuts de la Banque excluent d’employer deux conjoints. Après une plainte, le tribunal leur a finalement donné raison et l’affaire s’est terminée par un Happy End. MP

Vie privée et mandat professionnel
La question du lien entre vie privée et mandat professionnel ne touche pas que les Églises. Deux cas récents ont suscité l’intérêt des médias.
En septembre 2025 Laurent Freixe, le directeur général de Nestlé, a été licencié avec effet immédiat en septembre 2025 en raison d’une «relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée directe». Cette décision a été prise après une enquête interne qui a révélé une infraction au code de conduite professionnelle de l’entreprise. Cette relation, bien que consensuelle, violait les règles internes de Nestlé.
En couple avec une femme membre de la direction générale de la Banque cantonale de Fribourg, son directeur des opérations quittera son poste le 30 novembre après 25 ans de présence. «Certains jugeront que nous n’avons pas agi assez vite. Nous avons suivi nos valeurs», estimait dans La liberté Alex Geissbühler,président du Conseil d’administration de la BCF. MP

Maurice Page

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