APIC – Dossier
Victimes « d’une chasse aux sorcières »?
Paris, 6 juillet 1999 (APIC) Des Eglises françaises évangéliques et pentecôtistes se disent victimes d’une chasse aux sorcières. La question divise: sectes ou pas sectes. Tant il est vrai que dans certaines « Eglises » du moins, on s’autoproclame pasteur un peu facilement. La confusion est grande. Au niveau de la mission interministérielle sur les sectes on parle d’une vigilance nécessaire. Alors que du côté de la Fédération protestant de France la tendance est à la minimalisation du phénomène pourtant grandissant.
Des Eglises évangéliques, s’estimant soumises à la pression des associations anti-secte, parlent de chasse aux sorcières. Alain Vivien, président de la mission interministérielle sur les sectes, préfère pour sa part parler de vigilance et s’en tient au principe républicain de liberté religieuse. Comme le révèle « Le Christianisme au XXe siècle », cela n’empêche pas « certains dérapages ». Un pasteur du Sud-Ouest a notamment été mis en garde-à-vue suite à une plainte pour « manipulation mentale ». Le statut d’association cultuelle est mis en cause.
En mars dernier un pasteur d’une Eglise évangélique du Sud-Ouest de la France sort de chez lui. Deux voitures de gendarmerie s’arrêtent; et le cauchemar commence: perquisition au domicile du pasteur et dans les locaux de l’Eglise. La secrétaire, la trésorière, un ancien conseiller de paroisse et le pasteur sont emmenés manu militari, escortés par six véhicules de gendarmerie. S’en suivent plus de cinq heures de garde-à-vue, pendant lesquelles les gendarmes traquent les supposés secrets des ordinateurs de l’Eglise, feuillettent la littérature saisie et épluchent les comptes.
Manipulation
Quel crime avaient-ils donc commis? Ce que de nombreuses Eglises évangéliques se voient reprocher régulièrement: un ex-membre estime soudainement avoir été « mentalement manipulé » et s’être fait escroquer. Une plainte a en effet été déposée par une jeune femme qui avait demandé de l’aide quatre ans auparavant, lors du divorce de ses parents: manipulation mentale, non-assistance à personne en détresse et, pour faire bonne mesure, détournement de fonds. L’Eglise en question revendiquant des pratiques pentecôtisantes (prière pour les malades, délivrance), l’interrogatoire a porté sur ses « pratiques de sorcellerie ».
Dans la foulée, le pasteur et ses collaborateurs ont dû s’expliquer sur le fonctionnement et l’utilisation de la « taxation financière » des membres. En effet, les Eglises évangéliques fonctionnent le plus souvent grâce aux dîmes et aux offrandes. Mais le pasteur en question n’est venu au ministère que sur le tard. Retraité, il vit donc de sa retraite civile et non des deniers de l’Eglise. Deux mois plus tôt, un autre pasteur évangélique de la région avait eu droit au même traitement. Dans l’affaire qui nous concerne, le tribunal s’apprêterait à rendre un avis de non-lieu, le juge ayant même déclaré le dossier « grotesque ».
« Lucrative entreprise familiale »
A plusieurs centaines de kilomètres de là, une autre Eglise évangélique est régulièrement contrôlée et taxée de secte tant par de mauvais plaisants que par certains services de l’Etat. Le Centre Roger Ikor contre les manipulations mentales n’hésite pas à qualifier de « lucrative entreprise familiale » « La Mission du Plein Evangile – La Porte ouverte chrétienne », à Mulhouse, dont les pasteurs ne gagnent que 7’000 francs français de salaire mensuel (chiffres vérifiés par l’administration fiscale), sans voiture ni logement de fonction.
Que reproche-t-on aux cadres de cette Eglise? De s’être autoproclamés pasteurs. De fait, les fils et les gendres du fondateur ont été placés aux postes clés. Jean Peterschmitt, toujours président de l’assemblée évangélique qu’il a créée il y a une trentaine d’années, a décidé de remanier son organigramme pour éviter les procès d’intention. Cette assemblée est devenue une église fréquentée. Installée dans un ancien supermarché, elle réunit près de deux mille personnes tous les dimanches et assure l’instruction religieuse de 500 enfants environ. En fait d’embrigadement, elle baptise – par immersion – les convertis qui en font la demande, cependant « il faut attendre une année après le baptême pour pouvoir devenir membre de l’Eglise », explique Samuel Peterschmitt, fils du fondateur. Quant aux dîmes et offrandes, contrairement à ce qu’affirme le Centre Roger Ikor, aucun appel de fonds n’est fait.
Statut des associations cultuelles à revoir
En France, diverses associations anti-sectes se sont créées ces vingt dernières années. Selon Samuel Peterschmitt, celles-ci fondent leurs accusations sur les témoignages des déçus ou des proches choqués par le choix de leur parent ou ami. L’Etat n’est pas en reste, avec des groupes parlementaires travaillant sur la question, et avec la création de la Mission interministérielle sur les sectes. Or cet organe est présidé par Alain Vivien, ancien président du Centre Roger Ikor contre les manipulations mentales. Il n’en faut pas plus pour que les Eglises évangéliques crient à la discrimination religieuse. Quant aux autres Eglises chrétiennes, elles ne connaissent de difficultés qu’en matière de réforme fiscale des associations. Selon des observateurs, les tracasseries proviennent du statut bâtard des associations cultuelles fonctionnant sur le droit associatif de 1901. Ce statut des associations cultuelles est attribué par le ministère de l’Intérieur si toutes les conditions d’honorabilité sont remplies, c’est-à-dire s’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, pas d’escroquerie, pas de manipulation mentale…
Certaines Eglises évangéliques, quant à elles, invoquent l’Arrêt du Conseil d’Etat qui stipule que le « fait cultuel » est établi par les statuts de l’association. Aux yeux de Alain Vivien, le débat est ailleurs: « Nous devons nous montrer vigilants devant la recrudescence des groupes qui se déclarent à but religieux alors que ce motif semble masquer d’autres activités à but bassement commercial comme la formation professionnelle et les thérapies. De même les Témoins de Jéhovah, qui ont saisi 40 juridictions pour faire établir la réalité de leur objectif cultuel, ont peut-être eu gain de cause en première instance. Mais ils ont perdu tous les procès en appel. Le Conseil d’Etat a en effet rendu un avis en 1977 qui établit que, pour être considérée cultuelle, l’association doit faciliter l’exercice d’un culte, ne pas se livrer à des activités commerciales, respecter l’ordre public, c’est-à-dire l’ensemble des lois qui réégissent un Etat ».
La protection de l’enfant
Et A. Vivien de renchérir: « Dans ces conditions, il n’y a pas un tribunal administratif qui donnerait raison aux Témoins de Jéhovah en raison de leur refus de respecter le service national, même par le biais de l’objection de conscience, et leur refus de certains soins médicaux pour leurs enfants. Leur interprétation des textes qu’ils invoquent les regarde. Le suicide n’est pas interdit en France. En revanche, il est interdit d’attenter à la vie des enfants. En cela, je ne vois pas pourquoi la République serait suspecte de persécuter les Témoins de Jéhovah ».
En ce qui concerne les Eglises évangéliques, Alain Vivien récuse tout parti pris: « Il nous arrive fréquemment de renvoyer des gens qui viennent nous voir pour mettre en doute l’honorabilité d’une association cultuelle suite à une rupture familiale. Nous ne sommes pas là pour nous immiscer dans des affaires sentimentales. En matière de religion, c’est la règle républicaine qui doit s’imposer. Il n’est pas qustion de porter le moindre jugement sur les croyances des uns et des autres. Tant que je présiderai cette Mission, il en sera ainsi ».
Alain Vivien souligne qu’il a parfois dû rappeler aux maires qu’ils n’ont pas le droit d’interdire l’installation d’un groupe religieux sur le territoire de leur commune si le plan d’occupation des sols le permet et si aucune des nuisances invoquées n’est motivée. Et de rappeler que la Mission interministérielle n’est pas limitée à recevoir les doléances de ceux qui s’estiment victimes d’une secte. « En cas de problèmes: il ne faut pas hésiter à appeler la Mission interministérielle. Les Eglises évangéliques peuvent venir nous voir ».
Divergence?
La Fédération protestante de France (FPF), par Christian Seytre, son secrétaire général, donne son interprétation de la divergence entre le Ministère de l’Intérieur et le Conseil d’Etat à propos du statut d’association cultuelle:
« Dans Le Monde du 1er août 97, le ministre de l’Intérieur Chevènement disait qu’il était « seul habilité à reconnaître une association cultuelle ». Tandis que le Conseil d’Etat considère que ce sont les statuts d’une association qui lui donnent son caractère cultuel.
Est-ce que le fait, pour une Eglise, d’appartenir à la FPF, permet de lever toute ambiguïté? « Si une association a des statuts de 1905, le fait d’être a la FPF la met effectivement à l’abri d’être qualifiée de secte. Par contre, le rôle de la Fédération n’est pas de donner un « label », comme le voudraient les autorités politiques. La FPF n’est pas mandatée pour cela. Tout groupe qui respecte la loi de 1905 doit être reconnu comme une Eglise conformément à la loi, qu’il soit membre ou non de la Fédération. Toute Eglise qui adhère a la FPF doit le faire dans un souci de communion, en acceptant pleinement sa charte. Il s’agit d’un pacte fédératif, et non de se mettre seulement à l’abri d’être qualifié de secte ».
« Mon sentiment à la suite de la parution du rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur la situation patrimoniale et financière des sectes? « Il y a un réel problème avec tel ou tel groupe qui se qualifie d’Eglise et ne l’est pas, telle la Scientologie, relève Christian Seytre. Mais ce rapport pose d’autres questions: sur quels critères, par exemple, des Eglises évangéliques ont-elles reçu le questionnaire permettant d’établir le rapport? Pourquoi des groupes, auxquels on ne donne pas la possibilité de se défendre, se retrouvent-ils dans des listes qui circulent partout, et même dans les services des impôts? Cela est indigne d’un Etat de droit. On ne peul pas, au nom de la préservation de la liberté de personnes fragiles qui risquent de tomber dans des sectes, remettre en cause la liberté de conscience et la liberté de religion, qui sont un « droit sacré » dans une démocratie ». (apic/spp/pr)
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