Mathilde Warda, à Istanbul, pour cath.ch
Une poignée de personnes sont installées dans les rangs pour assister à la messe en turc. Dans le fond de l’église de Saint-Antoine de Padoue, les portes restent ouvertes, des passants vont et viennent, certains restent quelques minutes pour écouter ou prennent des photos ou des vidéos.
Dans l’église résonne l’orgue, joué par Can Sümbüloğlu. C’est aussi lui qui jouera, avec d’autres musiciens, pour le pape Léon XIV, lors de la messe célébrée à la « Volkswagen Arena » à Istanbul, durant sa visite en Turquie du 27 au 30 novembre. «Je suis doublement heureux, parce que je vais participer à la cérémonie, nous allons voir notre nouveau pape, et parce que je vais contribuer à la musique», s’enthousiasme ce diplômé du conservatoire sur un banc après la messe, une croix autour du cou.

Au milieu de l’avenue Istiklal, rue commerçante et très passante d’Istanbul, l’église de briques rouges est la plus visitée de la ville. Chaque jour, environ 7’000 personnes en semaine, et 10 à 15’000 le week-end, passent ses portes, d’après le Père franciscain Andrew Hochstedler, vicaire paroissial, citoyen américain qui est né et a grandi à Istanbul.
Parmi elles, certains sont les croyants catholiques qui vivent à Istanbul. «Nous avons quatre communautés linguistiques différentes», explique le Père franciscain, une communauté de locuteurs du turc, de l’anglais, de l’italien et du polonais. Des messes sont célébrées dans chacune de ces langues.
«Mais la majorité des personnes qui franchissent nos portes sont soit Turques, musulmanes ou laïques, non chrétiennes, soit des touristes qui se promènent dans la rue», ajoute le prêtre.
Au sein de l’église se rencontrent alors plusieurs confessions et pratiques religieuses. «Traditionnellement, et cela continue encore aujourd’hui, des milliers de Turcs non chrétiens viennent allumer une bougie. Il s’agit d’une pratique populaire très ancienne en Turquie», remarque-t-il.
Cette diversité nourrit un dialogue interreligieux, également entretenu par les prêtres. Tous les mardis, ils se relaient pour «s’asseoir dans l’église toute la journée, rencontrer les personnes et prier pour elles», commente le Père Andrew. «Ce sont parfois des chrétiens, qui viennent se confesser, mais le plus souvent ce sont des Turcs qui viennent prier. De temps en temps, ils viennent d’autres villes, ils ont entendu dire que c’était ici qu’ils devaient venir. Parfois, même des imams les envoient ici».

La République turque est laïque, mais l’islam sunnite est largement majoritaire. Parmi la minorité chrétienne, les orthodoxes sont les plus nombreux, Léon XIV rencontrera d’ailleurs le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée. Orthodoxes, catholiques, latins, arméniens, syriaques… Une diversité de chrétiens ont habité la Turquie. Leur présence perdure même si elle a drastiquement diminué au siècle dernier, affectée notamment par le génocide arménien et les persécutions contre les Grecs orthodoxes. Aujourd’hui, «on parle de 25’000 catholiques latins en Turquie (voir encadré), dont au moins 15’000 dans le vicariat d’Istanbul», estime l’abbé Nicola Masedu, curé de la cathédrale du Saint-Esprit.
Les relations sont plus apaisées, même si l’Église fait toujours face à des difficultés, telles que son absence de statut juridique. En 2023, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a même inauguré une Église syriaque orthodoxe à Istanbul. Première église construite sous la République turque, fondée en 1923, elle est aussi au programme de la visite du pape.
La protection des églises est aussi prise au sérieux, une voiture de police est postée devant l’église Saint-Antoine de Padoue, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et parfois également présente devant l’entrée de la Cathédrale. Les mesures de sécurité ont été renforcées en janvier 2024 après l’attaque de l’Église Santa-Maria, revendiquée par l’État islamique, qui a fait un mort – de confession musulmane. Près de deux ans plus tard, les croyants interrogés ne se sentent pas particulièrement en danger.
Être catholique en Turquie en 2025, c’est faire partie d’une minorité qui recouvre une multitude de situations. Tilda Çanlı, à la guitare et au chant pendant la messe à Saint-Antoine, est catholique syriaque. «Je fréquente cette église depuis mon enfance. Ma mère était très croyante, l’un des plus grands héritages qu’elle m’ait laissés est mon attachement à cette église».
Elle souligne le partage entre les Églises: «Nous sommes œcuméniques. Nous sommes tous ensemble. Nous le sommes aussi avec les autres Églises, avec les catholiques arméniens, les syriaques anciens. Nous avons beaucoup de liens».
Tilda Çanlı évoque sa foi et son église avec beaucoup d’enthousiasme. «Je suis aussi allée en Italie. J’ai été très impressionnée, mais je suis contente d’être en Turquie, d’être dans un pays musulman. C’est ici que je suis chez moi.»
Pour Tarkan, servant de l’autel à Saint-Antoine, qui s’est converti il y a quelques années, vivre sa foi semble plus difficile. «Ma mère ne le sait pas», explique-t-il. «Il faut bien sûr cacher certaines choses. Vous ne pouvez pas porter votre collier aussi librement à l’extérieur. Vous devez le cacher à votre famille», détaille Tarkan, même s’il assure se sentir en sécurité.
Il y a quelques conversions par an, affirme le curé de la cathédrale du Saint-Esprit, avec une préparation qui dure entre deux à trois ans. Mais le prêtre salésien insiste toutefois, «nous ne faisons aucun prosélytisme». Le prêtre constate aussi que ceux qui souhaitent se convertir rencontrent parfois des difficultés dans leur famille.


La cathédrale, où le pape Léon XIV se rendra, est à moins de deux kilomètres de l’Église Saint-Antoine. Adossée à un lycée privé francophone, elle n’est pas visible depuis l’avenue. Là aussi, des messes ont lieu dans plusieurs langues: français, italien, anglais et turc, celle du dimanche en anglais est la plus fréquentée, explique l’abbé Masedu.
Les pèlerins en Turquie sont aussi accueillis dans l’église et y célèbrent des messes. Cette année en particulier, avec le 1700ᵉ anniversaire du Concile de Nicée, beaucoup de groupes viennent honorer cet évènement sur le lieu du concile, à Iznik. «Ils arrivent ou partent d’Istanbul, donc ils en profitent pour venir célébrer une messe ici ou à Saint-Antoine», détaille le curé de la cathédrale. Parfois des messes ont lieu simultanément dans la chapelle et dans la cathédrale dans des langues différentes.
Dans le quartier de Bomonti, à une trentaine de minutes à pied de la cathédrale, les Petites Sœurs des Pauvres dirigent une maison de retraite. Sur une ardoise à l’entrée de la salle à manger, la venue du pape dans l’établissement est annoncée. «La visite du pape dans cette maison est quelque chose d’extraordinaire, et nous en sommes très heureux», se réjouit le médecin de la maison, Mario Rogenbuke, également responsable des communautés néo-catéchuménales à l’église Saint-Antoine.
Parmi les catholiques de Turquie, on compte aussi les levantins. Comme Mario Rogenbuke, ce sont les descendants d’européens venus s’installer sous l’Empire ottoman, ils seraient aujourd’hui environ 1’000 à Istanbul, estime-t-il, avec une population vieillissante. Du côté de son père, sa famille est venue d’Allemagne dans les années 1850 et d’Italie au début XXᵉ du côté maternel.
«Être catholique en Turquie est confortable», soutient-il. «Nous ne rencontrons aucune difficulté à Istanbul. Au contraire, nos églises sont particulièrement défendues et protégées.» Il alerte cependant sur la nécessité de soutiens étrangers pour faire perdurer la présence chrétienne en Turquie.
Chez les catholiques en Turquie, l’impatience est palpable. «Nous sommes une toute petite communauté, et pourtant, le pape, qui dirige toute notre Église dans le monde entier, vient ici pour son tout premier voyage, s’enthousiasme le Père Andrew. Cela vous procure un réel sentiment de joie et d’espoir». (cath.ch/mw/bh)
La Turquie, pays de 84 millions d’habitants, compte environ 90’000 chrétiens. On estime à 60’000 le nombre d’Arméniens, majoritairement (55’000) rattachés à l’Église apostolique arménienne autocéphale, et à 25’000 le nombre de catholiques, se partageant entre les quatre rites latin, arménien, syriaque et grec. On compte aussi de 2’000 à 3’000 grecs-orthodoxes et à peine 1’000 anglicans et protestants. BH
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