Jacques Berset, pour ACN
Mgr Jacques Mourad était l’hôte, le 23 novembre 2025, de la paroisse Saint-Antoine de Padoue, à Genève, dans le cadre de la «RedWeek», la campagne de sensibilisation d’«Aide à l’Eglise en Détresse ACN» sur la réalité des chrétiens discriminés et persécutés sur tous les continents.
Le peuple syrien rejette le modèle d’islam rigide importé de l’étranger qu’on veut lui imposer, qui ne correspond pas à son histoire pluri-centenaire, faite d’influences ethniques, culturelles et religieuses multiples. Au lieu de prendre ses responsabilités face aux réalités dramatiques sur le terrain, l’Occident détourne les yeux du Moyen-Orient, de la Terre Sainte. Les responsables occidentaux cèdent à la propagande du président Trump, qui veut remodeler la région au profit d’Israël, déplore le prélat né en 1968 à Alep, au nord-ouest de la Syrie.
«Notre pays a été transmis des mains russes aux mains américaines, on est passé de pire à encore pire…» L’ancien djihadiste Ahmed al-Charaa [président intérimaire de la République arabe syrienne depuis le 29 janvier 2025] a été reçu à la Maison Blanche par Donald Trump le 10 novembre dernier.
«Notre pays a été transmis des mains russes aux mains américaines, on est passé de pire à encore pire…»
«Le peuple syrien se demande quels sont les rapports entre eux. Ils agissent comme un lobby, une mafia, qui décide de l’avenir d’un peuple indépendant sans aucune consultation, dans son dos… le peuple n’a rien à dire. Toutes les initiatives du gouvernement sont décidées malgré le peuple, sans le peuple, contre le peuple! A mon avis, si al-Charaa n’avait pas l’aval de Trump, il ne pourrait rien faire…»
Dans la ville de Homs, tout le monde – alaouites, chrétiens, druzes, sunnites –, «tout le monde vit dans une atmosphère de peur et il n’y a aucune stabilité ni sécurité. Il y a un manque de confiance réciproque entre la majorité du peuple et le gouvernement».

A Homs, des gens sont enlevés, tués, des hommes, des femmes disparaissent tous les jours. Il y a de nombreux enlèvements crapuleux pour des demandes de rançons. Ce sont surtout les alaouites [membres de la minorité religieuse dont est issu le président déchu Bachar al-Assad, ndlr] qui sont les premières victimes d’actes de vengeance. Mais les chrétiens ne sont pas épargnés. Beaucoup veulent partir: avant la guerre, qui a débuté en 2011, les chrétiens étaient près de deux millions, «maintenant, ils sont moins d’un quart, et c’est encore une vision optimiste!»
A la différence de Damas ou d’Alep, où l’on ne voit pas des milices armées dans les rues – hormis la police ou les forces de sécurité officielles – à Homs, il y a plein de jeunes armés dans la ville. «Ce sont des groupes de bédouins qui ont passé un accord avec le gouvernement, et ont combattu aux côtés des troupes gouvernementales contre les druzes à Suweida, une ville du sud du pays à majorité druze, où ils ont commis des massacres».
Le gouvernement utilise ces groupes de bédouins pour faire peur à la population. Ils commettent des agressions avec l’aval du pouvoir, qui les protège. «Ils ne le font pas pour des raisons politiques. Ce sont des actes de pur banditisme. Un de mes prêtres a été attaqué pour le voler, mais il n’a pas été blessé. On ne peut pas parler de persécution religieuse contre les chrétiens spécifiquement, les sunnites étant aussi visés. Pour ceux qui sont actuellement au pouvoir, dans leur mentalité, tous les Syriens qui ne veulent pas suivre leur ligne, leur manière de voir l’islam, sont des ‘murtadd’. C’est-à-dire que pour ce gouvernement, ce sont des musulmans qui ont quitté l’islam, à savoir des apostats».
Quant aux chrétiens, ils sont considérés comme des ‘dhimmis’, c’est-à-dire des ‘protégés’, des ‘soumis’ placés sous la protection de l’islam en position inférieure. Dans la réalité, ce sont des formules utilisées non pas pour manifester de la bienveillance envers les chrétiens, mais pour discriminer.
« Le pays, dans l’histoire, n’a jamais accueilli un islam fanatique»
L’archevêque syriaque catholique de Homs veut que les chrétiens, comme les autres, soient traités en tant que citoyens, avec les mêmes droits et devoirs. Ce qui différencie la situation actuelle de l’époque d’al-Assad, c’est la claire volonté du régime d’islamiser la société syrienne. Malgré les pressions exercées sur les gens afin qu’ils se plient à la vision du nouveau pouvoir, les sunnites syriens résistent, «parce que le pays, dans l’histoire, n’a jamais accueilli un islam fanatique».
Quant à l’avenir de la Syrie, Mgr Jacques Mourad considère qu’il est difficile à cerner. «Les Israéliens ont encore pris une partie des terres au sud de la Syrie, ils sont à 40 kilomètres de Damas, les alaouites sont ciblés – ils ont perdu toutes leurs ressources et leurs emplois – , il n’y a plus de routes sûres pour se rendre à l’étranger. Comme il n’y a plus de travail au Liban, les gens préfèrent rester au pays, même si le niveau de pauvreté, qui touche une grande majorité, a encore augmenté depuis la chute du régime d’al-Assad».
Il n’y a pas de statistiques actuelles sur la pauvreté, mais nombre de familles ne mangent qu’un repas par jour et n’ont pas d’argent pour se chauffer alors que l’hiver arrive.
«Très rares sont les familles qui peuvent s’acheter du mazout. Nous pouvons aider des familles grâce à l’argent versé par des associations catholiques en Europe, mais ce n’est pas suffisant pour couvrir les besoins les plus essentiels, comme la santé. La situation sanitaire est très mauvaise et se péjore tous les jours. Beaucoup tombent malades et s’adressent à l’Eglise pour être aidés, mais nos moyens sont limités. Tous les mois, nous dépensons plus de 10’000 euros pour des aides humanitaires dans le domaine de la santé, mais les transferts d’argent depuis l’étranger sont toujours difficiles».
En effet, même si Trump a annoncé la levée du «Caesar Act», tout reste bloqué. Ce décret interdisait, depuis 2020, les investissements étrangers et les transactions économiques associées au gouvernement syrien. « Le Caesra Act » sanctionnait aussi tout gouvernement ou toute entité privée qui aidait le régime de Damas ou contribuait à la reconstruction de la Syrie, sur place. «Les sanctions sont toujours en vigueur…», déplore Jacques Mourad.
Malgré cette situation dramatique, que Mgr Jacques Mourad décrit comme un «chapitre sombre de l’histoire de la Syrie, un passage plein de souffrances», l’archevêque syriaque de Homs voit que beaucoup de messages d’espérance reviennent à la surface grâce à des jeunes courageux issus de toutes les confessions. «Malgré un climat tendu, ils s’engagent dans des mouvements sociaux et culturels qui rendent tout de même la vie optimiste», conclut-il. (cath.ch/be)
Mgr Jacques Mourad
Mgr Jacques Mourad est né à Alep, en Syrie, le 28 juin 1968. Moine de la communauté Al-Khalil fondée par le jésuite italien Paolo Dall’Oglio disparu aux mains des djihadistes de Daech, l’État islamique. Il avait fondé avec lui la communauté monastique de Mar Moussa, à 80 km au nord de Damas, et prononcé ses vœux le 20 juillet 1993. Le Père Jacques Mourad a été enlevé le 21 mai 2015 par des combattants de Daech, dans son monastère de Mar Elian (Saint Julien), à Al-Qaryatayn, dans le désert, entre Homs et Palmyre. Otage entre mai et octobre 2015, le Père Jacques Mourad fera l’expérience de la torture, de l’horreur et de la dépression, trouvant refuge dans la prière. Il s’échappera ensuite à moto avec la complicité d’amis musulmans.
Les terroristes ont entretemps rasé le monastère de Mar Elian, un monument du Ve siècle, que Jacques Mourad avait restauré avec l’aide de compagnons et qui était un symbole de la coexistence entre chrétiens et musulmans. Il a livré en 2018 son témoignage dans un livre intitulé Un moine en otage, le combat pour la paix d’un prisonnier des djihadistes (Ed de l’Emmanuel). Le Synode des évêques de l’Église syriaque-catholique a élu le Père Jacques Mourad pour prendre la tête de l’archidiocèse syro-catholique de Homs (Syrie) le 7 janvier 2023. JB
Qui sont les Syriaques-catholiques?
Depuis 1783, l’Église catholique syriaque est rattachée officiellement à Rome. Depuis le 20 janvier 2009, elle est gouvernée par le patriarche Ignace Youssef Younan III, né le 15 novembre 1944 à Hassaké (Syrie). Il porte le titre de Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient L’Église syriaque regroupe 175’000 fidèles. Sa diaspora se retrouve dans plusieurs pays, dont le Liban et l’Irak. JB
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