Plus de mal que de bien

La Suisse vient de procéder à un enterrement de première classe de l’impôt sur les successions. Alors que la défaite de l’initiative était prévisible et annoncée par les sondages, son ampleur a surpris jusque dans les rangs de ses adversaires.

En effet, des études récentes confirment, année après année, que la concentration des fortunes ne cesse de progresser en Suisse avec 42% des actifs détenus par 1% de la population, avec environ la moitié du pactole aux mains d’un pour mille de la population. Les niveaux de concentration de patrimoines atteints par la Suisse sont supérieurs même à ceux des États-Unis.

Il faut toutefois rappeler que la concentration accrue résulte aussi d’un effet purement mécanique lié à la hausse des cours boursiers et des prix immobiliers. Selon le vieil adage, l’enrichissement vient aussi en dormant, mais seulement quand l’économie va.

Comment expliquer que, dans cette situation, qu’en dépit des velléités redistributives que suscitent régulièrement – pour preuve la polarisation actuelle de la France autour de la taxe Zucman – les grandes fortunes, plus de trois votants sur quatre se soient dressés pour défendre l’intégrité des héritages de quelque milliers de personnes disposant de fortunes supérieures à 50 millions?

«La deuxième raison du rejet est sans doute liée à la perspective de l’exode des grandes fortunes»

La première raison du très faible score vient sans doute du fait que pour soutenir l’initiative il fallait à la fois être d’accord avec la taxation à 50% des héritages supérieurs à 50 millions, et avec l’affectation exclusive du produit de cet impôt à la protection de l’environnement. Cet amalgame entre deux objets bien différents a eu de la peine à emporter l’adhésion au-delà du noyau de la gauche écologique.

La deuxième raison, est sans doute liée à l’argument largement utilisé par les opposants à la taxation de la perspective de l’exode des grandes fortunes et de la perte d’attractivité de la Suisse pour d’éventuels nouveaux arrivants. En effet, du fait de leur domiciliation en Suisse, les détenteurs des grandes fortunes sont des contribuables comme les autres imposés sur la fortune et sur le revenu, à moins qu’ils ne bénéficient d’arrangements forfaitaires au niveaux communal, cantonal ou fédéral. Si l’impôt effectif sur la fortune semble être inférieur à un pour mille, l’impôt sur des revenus importants n’est pas négligeable.

Une partie substantielle de l’opposition à l’initiative vient de ceux qui, au terme d’un calcul approximatif coûts/bénéfices, sont arrivés à la conclusion que la contribution des grandes fortunes soulage la charge fiscale générale, et qu’il vaut mieux ne pas les effrayer en agitant le spectre d’une fiscalisation radicale – à 50% – des transmissions, laquelle pourrait les pousser au départ.

«L’initiative en question a fait une victime collatérale de toute première importance – la question de la justice sociale»

Face à la peur de déclencher un exode des riches susceptible d’entraîner un manque à gagner pour les finances publiques, lequel pourrait, le cas échéant déboucher sur une hausse d’impôts pour tous, l’argument de justice sociale tombe à plat. En effet, magnanimes, nous aimons tous penser à la redistribution entre le sommet et le bas-fond de la pyramide des revenus ou de la fortune. Or une telle redistribution évite soigneusement de toucher les classes moyennes, ce qui permet à nous – classes moyennes – de tirer notre épingle du jeu. Le scénario après l’exode serait différent et ferait potentiellement passer à la caisse justement les classes moyennes qui l’ont bien compris, et ont voté massivement en conséquence, pour préserver le statu quo.

En effet l’initiative, en mariant une fiscalité caricaturale avec une fixation sur la protection de l’environnement, a noyé la problématique autrement plus complexe de la justice sociale. Le verdict des urnes est sans appel, il restera longtemps dans les mémoires. Il faudra que beaucoup d’eau passe sous les ponts helvétiques pour que la question de la fiscalité de succession revienne sur les devants de la scène politique. Plus qu’un coup d’épée dans l’eau l’initiative en question a fait une victime collatérale de toute première importance – la question de la justice sociale.

Paul H. Dembinski

3 décembre 2025

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